Lorsque je dis à Lynn de laisser notre affrontement derrière nous et de ne pas s’en sentir coupable, elle baissa la tête et eut l’air affligée, ne serait-ce qu’un instant. Ce fut fugace, mais je le perçus tout de même car je lui prêtais une grande attention. Il y avait des personnes qui avaient besoin qu’on les réprimande pour leurs actions pour qu’elles soient capables d’aller de l’avant, et ça semblait être son cas. Mais d’un autre côté, je ne pouvais pas faire machine arrière sans risquer de passer pour un indécis à ses yeux. Peut-être pourrais-je régler ce détail par la suite. De toute façon, j’avais d’autres problèmes plus urgents à régler. A savoir ne pas perdre tous mes moyens quand elle plongeait son regard dans le mien. Et ne pas passer pour un lourdingue en étant trop prévenant. Raaah, j’avais pas envie de tout gâcher !
Son air éternellement froid se fissura un moment quand je lui dis ce que j’étais venu me procurer jusqu’ici. Je n’étais pas un spécialiste, loin de là, mais même un idiot devait se rendre compte qu’une épée faisait plus de dégâts qu’un coup de poing ou de pied. Et deux épées devaient donc être encore plus dévastatrices. A condition de savoir s’en servir bien entendu. Pour m’être retrouvé de l’autre côté de la lame, je parlais en connaissance de cause en disant que c’était bien le cas. Et encore, ma magie s’avérait particulièrement efficace pour se défendre contre ce genre d’offensive. Ce qui n’avait pas empêché ma défaite. Il me faudrait du temps avant de pouvoir utiliser correctement ce nouveau style de combat, mais en m’aidant un peu de mes pouvoirs, je devrais pouvoir m’en sortir honorablement.

J’étais une fois de plus plongé dans mes pensées, et je n’émergeai que lorsque je vis Lynn s’arrêter d’avancer. Elle prit une pose contemplative, et se mit à réfléchir. Mais à quelle demande ? La professionnelle ou l’autre plus personnelle ? Dans tous les cas, le fait qu’elle y pense était plutôt encourageant, car ça ne signifiait pas un refus absolu de sa part. Il n’empêche que cette attente risquait de me rendre fou. Il faudrait vraiment que je corrige cet aspect de ma personnalité. Était-ce pour ça qu’Erik était resté célibataire ? Et qu’il ne m’avait jamais rien expliqué à ce sujet ? Pour être honnête, la situation ne s’était jamais présentée à moi non plus. C’était seulement depuis notre rencontre dans la forêt d’Iria que j’étais aussi… Fébrile.
Heureusement pour moi, ou malheureusement, je n’en étais pas encore sûr, la jeune fille ne parla plus que des lames et du style de combat particulier qu’elle employait. Et j’avais eu une bonne idée, car elle semblait y être experte. Elle abordait des critères dont je n’avais pas tenu compte, et d’autres dont j’ignorais même l’existence. Elle me conseilla la boutique d’un artisan et me proposa même de m’y mener. Je lui emboitai donc le pas el la remerciant de son aide et me disant que j’avais vraiment eu beaucoup de chance de tomber sur elle ici. Sans une personne d’expérience, j’aurais plus que probablement fait de grosses erreurs. Et même si le marchand m’aurait sans doute conseillé, il était bien plus agréable de pouvoir compter sur elle.
Ne sachant pas quoi lui dire à présent, je l’accompagnais sans dire un mot, surtout qu’elle avait évité l’autre sujet. A moins qu’elle ne l’ait oublié, absorbée qu’elle était par ses explications sur les armes. J’étais devant un dilemme. Si je lui rappelais pour rien, je risquais d’avoir l’air obnubilé, mais si ça lui était réellement sorti de l’esprit, et que je gardais le silence, je risquais de laisser passer une occasion qui ne se représenterait pas de sitôt. Devant le poids de cette décision, je marquais une longue pause, tandis que Lynn continuait d’avancer sans parler elle non plus. Au bout d’un moment qui me sembla durer une éternité, elle se retourna et me cribla de questions sur le type d’épées que je souhaitais acquérir, en me conseillant une fois de plus. Puis, tout naturellement, comme si de rien n’était, elle accéda à ma demande concernant le dîner, non sans une pointe d’humour.
Je dus me retenir de sauter de joie, mais je ne fus pas certain de réussir à masquer le soulagement et la joie que je ressentis à cet instant. Le plus simple, et le mieux, était d’abord de lui répondre.

Mmh… Je ne suis pas certain de savoir. Et puis, ce qui me plaira et ce qui me conviendra sont certainement deux choses différentes. Je suppose que je pourrais me décider en voyant les articles en question devant moi. Et puis, tu seras là pour m’aider, pas vrai ? J’espère que tu ne le prendras pas mal, mais, lorsque tu parles d’armes, tu as l’air plutôt enthousiaste. Sans doute car c’est un sujet dans lequel tu es confortable.

Puis, pausant mes poings sur mes hanches, je la regardai des pieds à la tête, prenant bien garde à ce qu’elle me voie, et répondis avec amusement.

Vu ton gabarit, je ne pense pas que tu consommes tant que ça, mais vu le service que tu me rends, c’est avec grand plaisir que je suis prêt à risquer cette dépense. Après tout, c’est la moindre des choses.

J’avais volontairement repris la même expression qu’elle, espérant ainsi  réduire un peu plus la distance entre nous. Un instant après, nous arrivions devant l’échoppe dont elle m’avait parlé. Je posai la main sur la poignée, puis après une hésitation, je me tournai vers elle.

Je te demanderai juste, si tu es d’accord, de me laisser choisir seul, quitte à me dire ensuite que je suis un crétin et à m’expliquer dans les grandes largeurs pourquoi, mais c’est comme ça que je fonctionne. En faisant mes propres expériences et en apprenant de mes erreurs.

Sur ces derniers mots, je poussai la porte et entrai, avant de m’arrêter, stupéfait par le nombre et la variété de ce que je voyais autour de moi. Je laissai également aller mes pouvoirs, non pas pour manipuler, car dans un endroit pareil, je risquais une maladresse, mais plutôt pour sentir le métal. Devant la qualité de celui-ci, j’eus une certitude. Si je ne trouvais pas ce qu’il me fallait ici, je ne le trouverais nulle part. Puis, après un moment, je sentis comme une sorte de résonnance. Je me dirigeai vers elle, et en ouvrant les yeux, je vis deux lames faces à moi.


Ce sont elles. Dis-je soudain empli d’une certitude déconcertante. Je les sortis de leur fourreau et les pris en main pour tester les critères dont Lynn m’avait parlé plus tôt. La largeur des poignées convenaient à mes mains. Le poids était idéal : assez lourd pour avoir de l’impact, mais assez léger pour être aisément manipulé, manuellement ou magiquement. La longueur me convenait aussi, par rapport à ma grande taille, et, bien qu’elles ne fussent pas strictement identiques, elles s’accordaient parfaitement.
A croire qu’elles avaient été faites pour moi.
Après un moment, je me rendis compte que je me comportais comme un enfant qui vient de voir ses cadeaux de Noël, et tâchant de reprendre mon sérieux, je m’adressai à la jeune mercenaire à côté de moi.

Je vais prendre celles-ci. Les critères répondent assez à ceux que tu m’as expliqués, et bien que ce ne soient pas à strictement parler des lames jumelles, elles sont de tailles et de poids identiques. Elles me conviendront, je le sens.

Je me dirigeai alors vers le comptoir et les déposai précautionneusement dessus, avant de regarder le marchand.

Je vais vous acheter ces deux lames. A combien sont-elles ?

Spoiler:

Mithridate regardait les deux  personnes entrer dans sa boutique. Ses lunettes rondes rabaissées, les yeux par-dessus ses verres. Non, il ne doutait pas d’eux, mais on ne savait jamais ce qu’ils pouvaient faire. Le jeune client réagissait comme un enfant en ayant vu ce qu’il voulait. Une lame blanche et une plus sombre que le vendeur avait lui-même forgé quelques années auparavant. Certes, le vieil homme n’avait plus la vue nécessaire à la forge de fines lames, mais son fils, maintenant forgeron et assistant, faisait lui-même du bon travail. Un peu de fierté se faisait sentir dans le petit cœur du vieil homme qui souriait en coin. Lorsque le jeune homme et la demoiselle s’approchèrent du comptoir il regarda un instant les deux épées qui allaient quitter sa boutique, comme des enfants qui s’en allaient vivre leurs aventures. La question du prix vint vite à se poser et le gaillard répondit alors avec un petit sourire.

« Je peux vous faire un prix, cela fait bien longtemps qu’elles sont présentes dans la boutique. Vous ne serez pas déçus par ces deux épées, croyez-en mon expérience. Alors… Alors…  525.000 Jewels le tout. Vous voulez encore visiter la boutique si quelque chose vous intéresse ? »