C’était une journée comme une autre à Mac Anu. Du moins, pour Alfonso « le borgne ».
Forgeron de père en fils depuis des générations, l’homme à la fine moustache et à l’accent du sud très prononcé était connu pour ses créations fantastiques. Son nom trainait sur les lèvres de tous les amateurs d’arme et ils étaient plus d’un aventurier à rêver d’une lame, d’une masse ou d’une hache forgée de sa main. Pas étonnant qu’il doive frapper sur une enclume du matin au soir, du lundi au dimanche. Les trente-cinq heures ?! Au diable les trente-cinq heures ! Plus que pour l’argent ou la renommée, il travaillait pour sa passion. Plus d’un artisan se lasserait de son travail après plus de quarante années de labeur. Mais pas lui.

Alors qu’il travaillait avec ardeur, son regard fut attiré par deux jeunes inconnus accompagné d’un animal ; Des potentiels clients, sans doute. Mais cela ne le concernait pas puisque les deux étrangers se dirigèrent vers Fernando, « l’aveugle ».

Fernando était le fils d’Alfonso. Son surnom, qui n’était qu’un surnom, lui fut donné car tout ce que pouvait faire son père, il le faisait moins bien. Certes, il était capable de quelques coups d’éclat qui dévoilaient son talent inexploité. Mais on préférait retenir de lui que quelques créations ratées. Ce dernier, voyant qu’il avait pour la première fois depuis longtemps des clients, s’arrêta de travailler et esquissa un immense sourire.

« HOLA ! Amigo ! Ze zuis content que vous zoyez la ! Vous n’avez pas choizi la mauvaize perzonne ! Mouahaha. Montrez-moi votre arme ? » Lança-t-il avant d’attraper le fameux trident. « C’est oune zolie trident qué vala ! Je penze que ze pourrais la retaper. 350 000 jewels, oune après-midi et vous aurez la plus belle créacion de la décennie ! » Le croire ou ne pas le croire ? Toujours est-il que ce matin, son horoscope lui prédisait que sa bonne étoile le regardait.

« Comme vous voulez ! » Lança simplement le trentenaire, toujours avec un sourire accroché aux lèvres. C’était le genre de sourire franc, plein de bons sentiments, qui vous donnaient envie de faire confiance en quelqu’un. Et pour tout vous dire, Fernando n’avait pas envie de décevoir les deux jeunes qui se tenaient devant lui. Cela faisait tellement longtemps qu’on ne lui avait plus confié d’armes ou de requêtes qu’il se sentait rouillé. Et pour cette même raison, il souhaitait faire de son mieux pour satisfaire les magiciens de Quatro Cerberus. Alors qu’il tenait fermement le manche du trident, le forgeron se mit à le regarder sous tous les angles, n’hésitant pas à enclencher le mécanisme pour le comprendre. C’était une belle arme, cela allait sans dire, mais il se sentait capable de la rendre encore meilleure. Plus légère, plus résistante, peut-être même plus perforante et létale. Les armes de qualité supérieure n’étaient pas nommées tel quel pour rien, après tout !

Sans prendre une avance sur son salaire, et sans ajouter un mot supplémentaire, le fils du Borgne se mit au travail. Il retroussa ses manches, attrapa ses outils et commença à faire ce que les forgerons de Mac Anu savaient si bien faire. Créer des œuvres d’arts. La dévotion qu’il affichait était tellement inhabituelle que d’autres artisans, ceux qui avaient leurs échoppes à côté, s’avancèrent pour le voir à l’œuvre. Il était connu pour sa nonchalance et ses échecs. Mais soudainement, on se souvint de quelques belles pièces qu’il avait réussi à créer.

Pendant plusieurs heures, on n’entendait que lui. La fonte des minerais, le marteau sur l’enclume, le métal brûlant faisant évaporer l’eau, le bruit du soufflet. Sa concentration était, du point de vu des connaisseurs, admirable. Travailler pour faire plaisir ces deux « enfants » avait comme rallumé la flamme au fond de lui. Et après des heures de travail acharné, il posa le trident sur un tissu, lui-même posé sur la table. Il l’observa, le contempla. Sa requête avait été accomplie. « Et voilà votre arme. Plus légère, plus rézizstante, plus maniable. Ezzayez la pour voir ! » Lança le bonhomme, fier de son travail, avant d’ajouter toujours avec son accent particulier « Merci d’être venu me confier ce travail à moi. Ze vous zuis redevable. Malheureuzement, ze ne peux pas diminuer le prix. Les matériaux étaient plutôt chers. »