C'était bien beau d'accéder à une liberté par la fugue mais il fallait aussi s'assurer qu'elle demeurât effective et totale. Ma question devait trouver une réponse et je ne renoncerai jamais à dénicher à n'importe quel prix la résolution de mon problème. Quel était-il ? Malgré le fait que je n'avais plus aucune autorité au-dessus de moi, je restais en tout lieu dépendante en quelques institutions pour mes besoins naturels. En effet, même si j'avais dérobé de l'argent à mon Papa-chéri, je savais très bien qu'il viendrait le jour où je ne pourrais plus compter dessus. Et que ferais-je ? Je devais alors chercher un moyen concret pour survivre. Le plus évident demeurait de travailler dans cette auberge, où j'avais, disons élu domicile par défaut, n'ayant aucun matériel pour dormir à la belle étoile.

Et cependant, alors que je m'émancipais en bénéficiant d'une paie, je dépendrais alors de mon patron, ne pouvant vagabonder alors de ville en ville, de pays en pays pour découvrir tous les secrets que mon âme se réclamait de découvrir. Je pestais alors dans ma chambre le soir, seule. Je refusai catégoriquement de servir ces gens d'ici. J'aurais bien trop l'impression d'avoir réduit mon idéal et de souffrir comme toutes ces âmes qui ne reconnaissaient jamais la liberté que je voulais atteindre. Pour moi, elle était atteignable, je ne la laisserai pas me filer ! Par mon sabre, je me promis de trouver la solution, tandis que mes économies s'écoulaient paisiblement.

Quelques jours déjà que j'étais arrivée affamée en ce lieu, faisant la rencontre de Shina et Ken, deux mages qui m'avaient inspiré une certaine fascination. Apres cela, je n'avais pas pris la peine de quitter Val. Pourquoi ? J'avais l'impression de devoir trouver ma réponse, de remédier à mon problème financier avant de songer à quitter la ville. Une seconde peur m'habita alors. Et si Shonsu retrouvait mes traces ? A la seule pensée de Papa, mon corps frémissait tout entier et mes jambes tremblaient tant et si bien qu'elles refusaient de me porter. Je quittai alors mon poste à la fenêtre pour venir m'étaler sur mon lit. Dans ma pitoyable condition de fugitive, je pleurais amèrement, espérant qu'aucun voisin de chambre ne put m'entendre. Mes larmes avaient le gout de la déception de mon projet. Si Papa venait jusqu'à l'auberge, il me ramènerait de force et je ne savais même pas si j'avais le courage de lui résister. Cette nuit-là, je la passais sous mes draps, versant des larmes et songeant à la dernière vision que j'eus de Shonsu.

*Papa était droit, avec son air fier que je lui connaissais si bien et je me sentis comme absorbée comme dans une réalité secondaire. En une poignée de secondes, je vis son regard se métamorphoser comme si sa seule envie était de me sauter dessus. J'étais devenue une proie et plus son fils. Je vis... Je le vis toucher à ma poitrine, m’empêchant de bouger sur mon lit, essayant de m'arracher mon haut tant bien que mal. Il était alors un démon, me fournissant bien trop de baisers à mon gout. Dans l'instant d’après, j'avais retrouvé mon vrai père en face de moi, et ce que j'imaginai être une vision s'évanouit alors.*

J'en frissonnai encore, je n'étais plus moi-même lorsque j'y repensai avec une telle intensité. Comment s’ôter cela de l'esprit ? J'essayais de savoir désespérément ce qui pouvait pousser Papa dans une telle extrémité. J'avais eu cette vision à deux occurrences. J'espérais tellement pouvoir évacuer mon malheur par les larmes mais malgré le fait que j'en pleurais durant chaque nuit, au cours de la soirée suivante, tout me reprenait. Il fallait que je brise ce cercle vicieux.

Apres m’être habillée, je descendis assez tôt de ma chambre louée à bon prix et à l'accoutumée, je saluai l'aubergiste qui m'appréciait toujours autant. Par la suite, je m'isolai à une table, seule et j'écrivais le déroulement de ma nuit avec un crayon, qui se réduisait à vue d’œil, sur un petit carnet dont j'avais fait l'acquisition dans une boutique du village. Tous les matins depuis mon arrivée, je m'étais habituée à ce petit rituel. Généralement, après avoir couché mes émotions sur papier, je me sentais libérée et plus avenante. Il fallait aussi que j'eus mangé de quoi remplir mon petit ventre criant famine, cela allait de soi. L'aubergiste, qui commençait à me connaitre assez bien, concernant mon appétit, m'apporta de quoi déjeuner. J'eus bientôt sur ma table un grand plateau de bois verni, où étaient disposés un pot de confiture aux baies, du miel, du beurre et une bonne grosse miche de pain. Je n'avais aucun mal à dévorer ce pain mais je prenais mon temps, essayant de ne pas tacher mon carnet.

Je n'avais aucune idée de qui pouvait bien se présenter dans l'auberge de bon matin et je ne quittais pas ma table des yeux. Je voulais simplement finir au plus vite de coucher mes émotions pour entamer ma véritable journée. Mon sourire finirait bien par se redessiner. Pour le moment, je devais sembler bien sérieuse, peut-être bien plus aventurière que je ne l'étais réellement, avec mon sabre sur le coté. Je croisais mes jambes nues sous la table, ne me souciant pas du regard d'autres. Je savais bien qu'en ce lieu, certains se réjouissaient de ma vue chaque matin. Je n'avais aucune idée du pourquoi, mais ce n'était pas pour me déplaire. J'amenais un peu de joie, c'était déjà ça.

Mes cheveux cascadaient sur mes épaules découvertes et le long de mon dos, certaines mèches me revenant sans cesse au visage, au point qu'environ une fois par minute, je me devais de recorriger ma coiffure, de façon négligée. Je devais avoir l'air concentrée car en vérité je l'étais, je ne voulais rien perdre de ma nuit et me rappeler de tout, pour pouvoir mieux l'oublier plus tard. Je pris une tartine au miel, croquai dedans, tout en songeant à la suite de mon écrit, le regard ailleurs. J'étais dans un monde de visions cauchemardesques.