(Ce flashback se déroule sept ans plus tôt. Rachel avait 15 ans et Seika 17 ans.)


Les Hommes idéalisaient depuis des temps immémoriaux un chiffre en particulier. C’était un chiffre puissant, mystique et vénérable. Mais une maigre poignée d’individus spéciaux le voyait d’un tout autre regard. Ils le détestaient probablement plus que n’importe quoi d’autre de leur jeune existence. Et pour empirer cette journée en particulier, le 7 juillet marqua l’anniversaire d’une perte douloureuse. Les plus respectables créatures du monde, les puissants dragons, disparurent en laissant un héritage chacun derrière. Rachel était celui du dragon d’acier, un être aux écailles dur et froid mais avec un cœur chaud. Sa vie n’était plus la même qu’à l’époque de la forêt ancestrale. 7 ans après sa fuite de la forêt, elle s’était trouvé un nouveau train de vie moins sédentaire. À bord d’une caravane, elle grandit et évolua aux côtés de son mentor, le vieux mage Zelgius. Leur transport allait partout sur le royaume avec son lot de petites attaques de pillards vite électrocutés par son propriétaire. De l’Ouest, ils avaient fait les autres points cardinaux et frotté la couche extérieure du centre. Même s’ils revenaient de nouveau sur chaque territoire et repassaient dans quelques villes ou villages, jamais la jeune adolescente ne se sentit ennuyée.

Rachel avait incroyablement changé depuis sa petite enfance de fille de dragon. Autrefois elle mangeait les ustensiles et les objets en métal comme si ce n’était que de la nourriture. Désormais, et avec la discipline de son père adoptif, elle mangeait sans croquer plus loin que la vrai nourriture. Son stress devant les hommes normaux se calma définitivement et son attitude sociale prit d’énormes progrès. Elle ne pouvait s’empêcher de trouver ces règles de bienséance restrictives et étrange. Son doigt n’arrivait pas à toucher directement la raison de sa pensée, pas encore. Elle le savait, tout simplement. Puisqu’elle restait une fille de dragon, ses sens et ses instincts étaient trop importants pour les renier tant et aussi longtemps qu’elle vivrait. Mais surtout, l’adolescente craignait une autre « punition » du vieux Zelgius, une bonne méthode pour la maintenir sage. Encore heureux qu’il soit aimé de sa protégée.

À l’orée de la forêt de Tornac, les voyageurs perpétuels firent leur arrêt pour le reste de la journée. La crépuscule se baigna à l’horizon et couvrit l’air de son voile rougeâtre. Prenant leur repas, Rachel se fit donner une responsabilité soudaine. Son mentor comptait partir de son bord, vers les ruines, pour y faire une exploration. Ou bien il comptait rencontrer quelqu’un sans que Rachel ne le sache. Bref, une heure plus tard, elle se retrouva seule à garder la caravane seule sans savoir quand il reviendrait. Il ne fut pas imprudent, puisqu’il laissa l’adolescente dans un secteur peu fréquenté et avec un minimum de danger. Bref, Rachel resta seule devant le feu qu’elle devait entretenir. Un soupir trahissait son humeur positive du jour. Elle appréciait de mieux en mieux les hommes. Pourtant, c’était une torture perpétuelle de se savoir différente de l’intérieur sans avoir le courage de l’admettre à quiconque. Ses larmes embrouillèrent sa vue. Comme un rideau clôturant la pièce de théâtre, ses paupières se refermèrent sur le spectacle du feu dansant pour s’assoupir via même le sol.

Spoiler:

C’était un rêve récurrent et très significateur. Elle datait de sept années plus tôt, l’âge d’or de sa jeunesse dans une forêt de l’ouest avec son père. Étendue contre le sol de sa maison, l’enfant avait été victime d’une terrible maladie Peut-être n’était-ce qu’une forte fièvre, mais ça ne l’empêchait pas de se retrouver affaiblie et vulnérable. En rétrospective, son père dragon savait pour son départ soudain, d’où le fait qu’il l’avait laissé approché, lui, cet homme. Rachel rêvait plus exactement de cet humain mystérieux et terrifiant, une espèce sordide de bon samaritain cachant péniblement une fixation tordue sur la gamine. Sa science la fit récupérer juste à temps pour se retrouver seule et avec une dette qui la hantait quelque part dans son inconscience. Elle appelait son père à l’aide, en vain. L’ombre menaçante de cet homme voila la jeune pourfendeuse de dragons. Puis, elle ouvrit brutalement les yeux avec le cœur palpitant dans sa poitrine. Voilà pourquoi elle avait fui la forêt ancestrale, pourquoi elle avait dû apprendre à vivre aux côtés d’humain normal. Le temps n’était pas encore arrivé pour confronter son cauchemar dans le monde réel.

Comment n’avait-elle pas sursauté à son réveil brusque ? L’entraînement de son mentor pourrait être en cause. Du moins, elle aura l’occasion de le tester. En alerte, elle sentit très facilement l’odeur étrangère pénétrant dans la caravane pour voler quelque chose. C’était bien la première fois qu’un petit criminel venait gâcher la réputation de la forêt de Tornac. Avec un feu de camp affaibli, Rachel se redressa silencieusement et scruta les formes de l’intrus. Corps mince, élancé, et pourtant, la brunette ne voyait qu’un homme affamé qui lui tournait le dos. Elle grogna en silence, les canines éveillées.

Sa magie avait grandi. Son pouvoir pouvait enfin se développer sur la superficie de son corps en une armure d’écailles solides mais inutile contre les terribles éclairs d’un mage de foudre. Toutefois, Rachel n’en n’était qu’au stade partiel, un membre ou deux du corps. Ses bras furent ceux qui se transformèrent. L’adolescente se jeta sur l’inconnu par derrière. Elle tenta de lui prendre avec force le bras et de le tirer hors de la caravane.

- Je ne te laisserai pas voler mon mentor ! Je suis jeune, mais je sais résister aux malfrats.

En vérité, elle n’avait pas combattu autant de voleurs que cela, puisque Zelgius s’en chargeait le plus clair du temps. Rachel avait malgré tout l’assurance pour vaincre l’inconnu si nécessaire. Mais une fois assez proche de la faible lumière, elle réalisa que ce type était en fait une autre demoiselle seule, sans famille et voulant vivre. Sa main de fer relâcha le bras, sous le coup de la surprise, sans qu’elle abandonne une posture de combat.

- Qui es-tu ? Pourquoi tu n’as personne avec qui vivre ?

Le pied posé dans la caravane j’humais cette odeur de nourriture succulente, mais mes sens restaient malgré tout en éveil. Je ne pouvais pas me permettre de me faire arrêter bêtement en volant à manger… surtout quand on connaissait mes antécédents. Il était difficile de pouvoir manger à sa faim dans ce Royaume où tout n’était que pour les nobles familles qui ne laissaient que des os à ronger au restant de la population. Pourtant, mon « père » avait toujours fait en sorte de me nourrir sans que la famine ne me guette, mais aujourd’hui … sans lui pour m’épauler, la faim était une chose quotidienne…

Posant ma main sur quelque chose qui devait être du jambon, je m’apprêtais à le tirer vers moi lorsqu’un frisson se mit à parcourir mon dos. La personne endormie devant le feu de camp ne l’était plus et cette dernière devait sûrement être placée derrière moi attendant le bon moment pour se jeter sur moi. Il était trop tard pour réagir et l’odeur qui se dégageait de ce lieu me semblait bien familier sans que je ne puisse dire pourquoi.

Une main de mon assaillant attrapa alors mon bras avec force pour me faire sortir de la roulotte. Je ne résistais pas, même s’il m’aurait été aisé d’attraper mon katana placé dans mon dos pour le retourner contre mon agresseur. Ce dernier, ou plutôt cette dernière, portait une armure partielle sur son corps, je l’ai senti lorsqu’elle m’avait attrapé le bras. A présent que nous nous faisions face, je pouvais également constater qu’elle ne devait pas être plus âgée que moi, peut-être avait-elle un ou deux ans de moins. Que faisait-elle ici sans personne pour la protéger ? Où se trouvait son fameux mentor ?

Un léger sourire apparu alors sur mon visage lorsqu’elle mentionna qu’elle savait résister aux malfrats. Je ne l’en imaginais pas capable et pour cause, elle me semblait bien frêle et peu habituée à être seule. Sa main tenait toujours fermement mon bras attendant peut-être une réponse ou une réaction de ma part. Je la voyais m’observer de haut en bas, un regain de lueur lui dévoila mon visage ce qui la fit relâcher mon bras de surprise. Elle gardait ses mains levées comme si elle était prête à en découdre avec moi. Un nouveau sourire amusé s’afficha sur mon visage.

Alors que je serrais ma main sur mon bras pour me frotter un peu ce dernier afin de refaire circulé mon sang correctement, la jeune inconnue me demanda qui j’étais et si j’avais quelqu’un avec qui vivre… Je stoppais alors mon action et m’accroupis devant le feu.

« - Tu devrais surveiller le feu, si ce dernier n’est pas entretenu il va s’éteindre et tu attireras de bien vilaines bêtes. »

Je n’aimais pas parler de moi et surtout pas raconter mon histoire, les hommes étaient pires que des animaux et pour eux tout va pour le mieux tant qu’on ne parle pas de dragons. Je me concentrais suffisamment sur le feu pour me réchauffer et surtout pour tenter de le raviver sans éveiller mes pouvoirs de Dragon Slater. Avec de l’entrainement j’étais parvenue à contrôler ma magie pour qu’elle passe inaperçue aux yeux des hommes. Je pointais alors un doigt en direction des flammes et résistant à l’envie de laisser ces dernières lécher ma main, je fis grandir le feu en rajoutant un peu du mien.

« - Que fais-tu ici sans ton mentor ? »

Mes yeux continuaient à fixer les flammes qui dansaient sur le bois. Je ne cherchais pas à regarder la jeune fille et savait qu’elle devait encore être en position de défense au cas où je viendrais à l’attaquer au moment où elle s’y attendrait le moins. Ce n’était pas dans mes habitudes de combattre les filles.

« - Tu peux te rassurer, je ne t’attaquerai pas. Je n’en ai pas l’intention ! »

Rachel mangeait à sa faim. Toutefois, l’impression que son corps reflétait ne laissait rien paraître de la sorte. Loin de paraître robuste, elle se savait visuellement frêle et peu forte au simple coup d’œil. Son manque d’expérience se lisait dans son langage corporel. Donc, sa petite menace ne valait pas mieux qu’un coup d’épée dans l’eau. L’inconnue de genre féminin avait réagi tout simplement d’un sourire amusé. La jeune adolescente ne fléchit pas pour autant. Elle se préparait mentalement à échanger des coups avec une voleuse prête à tuer pour se nourrir. N’empêche que l’attitude détendue de la rouquine dérangeait la gardienne du camp de fortune. Son ton avait haussé légèrement lorsqu’elle lui posa des questions dont les réponses ne vinrent pas la satisfaire. La fille de deux ans son aîné s’accroupit alors devant le feu et brisa tout éventuel conflit. Rachel eut une expression de surprise instantané. Ce n’était pas une situation habituelle comme elle se l’était imaginé à nombreuses reprises. Était-ce une tactique feinte ? Ses poings ne se détendirent qu’après beaucoup de doute, de méfiance exagérée sur une belle personne sans aucune animosité négative dans son regard et ni dans sa gestuelle. Même que celle-ci l’aida à réanimer le feu mourant d’une flamme nouvelle et vigoureuse. Ce qu’elle nota également fut l’absence d’incantation magique, un peu comme son armure d’écailles. Une coïncidence, peut-être.

Rachel avait évité bon nombre de mauvaises rencontres grâce à son mentor. Pas par faiblesse, mais par nature, cette même nature qui la fit lâcher ses poings et son armure partielle d’acier. Elle aimait sa vie actuelle de découverte et de non-violence. Se défendre était inévitable, la brutalité gratuite restait dégoûtante. La jeune brunette n’avait pas un cœur d’acier comme le supposait sa magie d’exception. Dans un geste de compassion, elle trancha un morceau de jambon précédant la cible de la voleuse de grand chemin et le lui offrit avec un reste de soupe. Tous les deux réchauffés et cuits par le feu. Mais surtout, elle avait la bonté de répondre à une parfaite inconnue.

- Il est occupé quelque part dans les ruines. Cet endroit a toujours été sécuritaire et il a confiance en mon pouvoir.

Elle prit place devant le feu de camp, assises et jambes croisés. Son regard détailla son invité surprise avec plus d’attention. La dragon slayer avait croisé des femmes dans les villes, des humaines dans la fleur de l’âge ou âgées comme son père adoptif. Mais jamais elle n’avait croisé une autre fille de sa génération. Pour une rôdeuse, cette rouquine solitaire avait des atouts très évidents. Une chance que Rachel ne connaissait pas le terme de Jalousie.

- Tu as la magie du feu. Je pense que la tienne a quelque chose de particulier. Mais ce qui m’a le plus surprise est ton odeur. Tu sens la nature dans toute sa pureté…comme moi.

Elle renifla légèrement en direction de l’inconnue. L’odeur subtile de la végétation et du bois abaissa sa façade de jeune humaine normale. Des habitudes propres à sa nature de fille de dragons s’excitaient devant une présence déjà aussi rassurante. Encore trop tôt pour le lui dire, Rachel finit par se présenter.

- Je suis Rachel, de l’ouest du continent.

J’écoutais tous les faits et gestes de la jeune fille sans lâcher des yeux le feu que j’entretenais à l’aide d’un morceau de bois pour retourner les brindilles et les feuilles qui en composaient sa combustion. Ce dernier me faisait me sentir bien, sa chaleur léchait mon visage et dans mes yeux on aurait pu y voir des flammes virevolter tellement mes pupilles appréciaient ce divin spectacle. Il me faisait envie ce feu, j’aurais tant voulu m’y lover pour me rassurer comme lorsque je le faisais en me collant contre mon « père ». Cette odeur de chaud me faisait revivre, le froid qui régnait dans mon cœur fondait peu à peu lorsque je restais à son contact. Mais cela ne m’était pas possible… Aux yeux de mon interlocutrice cela aurait paru étrange et je n’avais pas besoin que quelqu’un s’imagine que je suis devenue complètement cinglée.

L’occupante de cette clairière semblait se détendre au fur et à mesure qu’elle m’observait. J’entendis alors celle-ci se déplacer pour trancher du jambon dans la roulotte. Je décidais donc de ne pas faire de gestes brusques pour éviter de lui faire peur. On ne pouvait pas connaître à l’avance les réactions d’une parfaite inconnue, surtout quand cette dernière maniait un couteau immense pour la viande en la coupant de manière précise. Je souriais doucement en me remémorant mes premiers pas en solitaire, c’était il n’y a pas si longtemps encore et d’une certaine manière cette demoiselle me rappelait ma méfiance vis-à-vis des autres, méfiance que je cultive toujours surtout auprès de la gent masculine.

La jeune femme s’approcha alors de moi pour m’offrir un morceau de jambon ainsi qu’un fond de soupe qu’elle avait fait réchauffer sur le feu que j’entretenais encore. C’était un repas plus que suffisant pour assouvir le faim que je ressentais. Je lui soufflai alors un léger merci et m’installa plus confortablement pour profiter d’une dégustation tranquille qui allait pour une fois me changer des repas avalés sur le pouce en fuyant les lieux de mes larcins. L’apprentie finit par me répondre que son mentor s’était absenté pour faire quelque chose dans les ruines. Il avait pensé que les lieux étaient sécurisés et qu’elle saurait se défendre. Il avait sûrement raison, mais un doute planait encore. Si j’avais été quelqu’un d’autre de plus robuste ou de plus cruel, j’aurais très certainement pu me défaire de cette jeune fille, qui malgré tout sait se défendre.

Je fis mine d’hocher la tête en avalant la soupe doucement, mais restant tout de même aux aguets. Cela faisait trop longtemps déjà que je vagabondais pour laisser tomber ma vigilance. Ce n’était pas tant les réactions soudaines dont pouvait faire preuve la jeune femme, mais depuis quelques temps j’avais eu la sensation désagréable d’être suivie. Je continuais alors à manger, essayant de fuir le regard que l’occupante de la roulotte posait sur moi. J’en déduisais qu’elle était en train de me détailler. Puis elle se mit à aborder un sujet que je n’aimais pas aborder, pire que cela elle semblait avoir des soupçons sur ma magie. Je ne pouvais pas lui en vouloir, j’en avais également vis-à-vis d’elle, mais je n’aimais pas en parler.

Voilà qu’à présent elle se mettait à humer mon odeur… Je me sentais alors mal à l’aise et hésitait à avaler d’une traite le reste de la soupe avec le morceau de jambon encore tiède pour filer aussi sec dans les bois. Mais un comportement tel que celui-là aurait sûrement confirmé ses soupçons, quoi que je pouvais me faire trop d’idées et que mon côté solitaire me jouait encore des tours en me faisant fuir toutes relations sociales.

Elle ne me laissa pas le temps de répondre puisque cette dernière se présenta sous le prénom de Rachel venant apparemment de l’Ouest du continent. Les politesses d’usage étaient lancées et il ne m’était pas possible de ne pas lui répondre à mon tour, d’autant plus que la jeune femme avait pris le temps et sur ses réserves pour me donner gracieusement à manger. Je terminais alors ma soupe et posant le bol sur le sol, je me présentais.

« - Je m’appelle Seika et je viens d’un peu partout ».

Je ne connaissais pas vraiment mes origines, du moins je n’avais jamais eu un véritable lieu auquel je pouvais m’identifier. Il nous arrivait souvent de devoir déplacer notre habitation avec Igneel pour éviter de rencontrer directement les hommes.

J’entamais le morceau de jambon en regardant Rachel et me demandait ce qu’elle était exactement. C’est ainsi que ma curiosité l’emporta et que je lui demandai :

« - Tu sembles en connaître un rayon en matière de magie, je sais que tu es porteuse de magie, mais je ne parviens pas à identifier la tienne. Quelle est-elle ? ».

Il était rare pour moi de passer du temps dans un même lieu et surtout de le passer à essayer de discuter avec une parfaite étrangère, qui pourtant au vue de l’odeur me semblait étrangement familière. Je chassais alors cette idée de la tête car je pensais à quelque chose qui ne pouvait clairement pas arriver, je n’y croyais tout simplement pas.

Spoiler:

Niveau subtilité, Rachel était une nullarde. Depuis la disparition de son père, elle avait eu à apprendre pleins de coutumes qui n’étaient pas les siennes et devoir apprivoiser son côté plus sauvage de dragon. Elle avait beau avoir un mentor pour assumer son développement en tant que personne, il restait trop de choses à apprendre. La jeune brunette ne se souciait pas de l’histoire personnelle des gens, comme si elle les voyait que comme des êtres avec seulement un présent. Sa franchise et son interrogation non retenues parvenaient donc à titiller ou toucher directement leur passé. Rachel prenait alors vite conscience que son emportement n’apportait pas juste que de la détente mais parfois de l’inconfort. Son invitée du soir réagit de méfiance. De petites mimiques subtiles indiquaient une rupture de l’ambiance chaleureuse autour du feu de camp. C’était un besoin soudain de fuite, d’échapper à l’attention trop évidente de l’adolescente. Nul besoin d’attendre plus longtemps, elle recula le bout de son museau de quelques pouces de la demoiselle solitaire. D’une expression confuse s’enchaîne de l’inquiétude et de l’embarras. Son père adoptif le réprimanderait si jamais il avait eu la scène. Elle le savait ! Et pourtant, cette odeur forte et humble prenait le dessus sur ses bonnes manières.

D’où l’idée pour désamorcer la petite tension, elle se présenta la première. Puis, elle apprit le nom de sa camarade de fortune : Seika. Un nom qui se distinguait, un nom qui marquait la personne dans son authenticité. Autrement dit, il n’y avait pas de deuxième Seika dans ce pays, pas pour Rachel. Et dans tout ce continent, aucune ville ni aucune région était attachée à la vagabonde. Comment était-ce possible ? Elle devait bien avoir vécu quelque part, non ? La brunette fronça les sourcils non pas par colère mais par réflexe enfantin. Venir un peu partout dans le sens de grandir loin des humains ? Et ce n’était qu’en songeant au début de sa propre vie que son corps se figea. Même sa respiration s’arrêta.

- Non…pourquoi est-ce qu’il ne m’aurait rien dit…

Quand le souffle reprit, le rythme de son cœur bondit dans sa poitrine. Quand Seika lui parla ensuite de magie, que son hôte en possédait, la rencontre deviendrait plus qu’une conversation entre deux étrangères. Rachel tourna nerveusement la tête, incapable de cacher des gestes non-verbaux qui sautait aux yeux de la flamboyante demoiselle. Elle se serra les poings fermement, se balançait le corps comme sur une chaise berçante et avait une perle de nervosité sur sa tempe. Sept ans de vie commune avec un mentor, un humain, lui fit comprendre le besoin de garder son secret loin du plus grand nombre de gens. Elle craignait de revivre ce moment où elle révéla son pouvoir dans une ruelle de Pyrée et fut enfermée dans une cellule pour des jours.

Rachel chercha dans le regard de Seika quelque chose, n’importe quel éclat pour lui donner du courage. Elle chuchota alors n’être qu’une débutante et avoir remarqué l’intérêt de la rouquine pour l’élément de la vie. Sa tête se baissa et observa le bol de soupe vide.

- Je veux te faire confiance. Pitié, dit-moi que je peux te montrer mon plus grand secret sans le regretter.

Non, aucune des deux adolescentes étaient complètement humaines. C’était un moment unique dans sa vie et de haute importance. Rachel prit la cuillère en métal et demanda à Seika de le tenir par le manche. Elle se rapprocha et posa un genou sur le sol pour faire face à la cuillère. D’un coup, elle goba l’ustensile comme pour boire un bouillon qui n’existait pas. Mais très vite elle remua la mâchoire et croqua l’objet. Elle avança un peu la bouche et croqua de nouveau. Puis en posant sa main sur celle de la spectatrice, elle éveilla les mêmes écailles qui avaient agrippé l'épaule au tout début.

Je sentais bien que ma présentation interloquait fortement Rachel. La jeune demoiselle fronça ses sourcils montrant bien son incompréhension sur mon origine. Il était vrai que déclarer qu’on venait de partout et qu’en ce sens on n’avait pas de région d’attache, cela pouvait être intriguant. Je préférais simplement ignorer sa réaction en mangeant un morceau du jambon que mon hôte m’avait offert.

M’interrogeant également sur cette dernière, j’en vins à lui demander quelle était sa magie. Elle semblait nerveuse, son regard se voulait fuyant et ses mains semblaient moites lorsqu’elle serra les poings. Un nouveau malaise venait de se créer, mais cette fois-ci j’en étais l’origine. Visiblement Rachel luttait contre elle-même, révéler sa magie ou se taire… Je ne connaissais que trop bien ce sentiment. Je devais me faire violence chaque jour pour cacher le pouvoir que m’avait transmis mon « père ». J’en étais venu à choisir de me faire passer pour une simple mage de feu et cette affirmation semblait combler les quelques rencontres que je faisais, sauf celles qui ne faisait que me traquer… Mais là encore, il s’agissait d’une autre histoire. Je portais alors pleinement mon attention sur la jeune fille qui se balançait lentement et qui semblait finalement avoir reporté son regard vers moi. J’essayais de comprendre ce qu’elle cherchait à me dire à travers ses grands yeux inquiets. Un léger sourire se voulant rassurant illumina mon visage comme pour l’encourager à se livrer à moi.

Elle regarda le bol de soupe que j’avais terminé avant de me demander si elle pouvait avoir confiance en moi, qu’elle voulait me montrer son plus grand secret sans avoir à regretter son geste. Je l’observais silencieusement et commençais à entrevoir la possibilité qu’elle était comme moi, que sa magie ne pouvait pas être révélée à n’importe quel quidam sans que ça ne finisse par prendre des proportions énormes.

Hochant légèrement la tête, toujours silencieuse, je posais le jambon dans le bol de soupe vide pour fixer pleinement mon attention sur Rachel. J’attrapais alors la cuillère en métal que cette dernière me tendait en me demanda de la tenir par le manche. Ce qui je fis sans soulever la moindre question, bien que je ne comprenais pas où elle voulait en venir avec cette cuillère.

La demoiselle s’avança lentement vers moi, le genou posé sur le sol pour être à la même hauteur que le couvert. Tout à coup, elle goba l’ustensile de cuisine et finit par le croquer… Sous le coup de la surprise, j’avais écarquillé mes yeux et ouvert la bouche sans émettre le moindre son. Elle répéta son office en mangeant le reste de la cuillère avant de poser sa main sur la mienne. Des écailles étaient apparues et ma surprise n’en fut que plus grande !

C’était une fille de Dragon ! Un Dragon Slayer ! En posant mon regard sur le visage de Rachel, je m’aperçus qu’elle appréhendait ma réaction et me rendant compte que ma bouche était ouverte, je la refermai aussitôt. Quelle surprise ! Mais comment cela pouvait-il être possible ? N’étais-je donc pas la seule à en être une ? Y en avait-il d’autres ?

Restant silencieuse à m’interroger sur cette nouvelle possibilité, je finis par scruter autour de nous pour tenter de repérer la présence d’un Dragon… Mais je savais au fond de moi que c’était peine perdue, je savais qu’ils avaient disparus ce jour du 7 juillet 777… J’avais suffisamment entendu la joie de la population retentir et faire la fête jusqu’au petit matin pour en être bien informée... Je sentais à nouveau ce vide immense en moi… Cette sensation d’avoir été abandonnée une nouvelle fois. Mon visage exprimait un simple froncement de sourcils, tandis que mes mains se serrèrent sur mes jambes.

Ne sachant que dire face à un tel secret ainsi révélé, je me reculais un peu et embrasais chaque parcelle de mon corps sur lequel apparaissaient quelques écailles notamment sur les bras et les joues. Je ne voulais pas lui faire peur et ne sachant quoi dire verbalement, je lui montrais simplement ma véritable magie. Ce moment fut bref. Je veillais toujours à ce que personne ne sache ce que j’étais réellement et avais toujours peur qu’on me cherche à cause de cette particularité qu’appréciaient les Mages Noirs les plus horribles du Royaume. J’esquissais un léger sourire avant de déclarer :

« - Nous ne sommes pas unique ! »

La vérité éclata au grand soir à Tornac. Ce n’était pas une morsure qui se concluait avec des dents cassés mais bien une paire de canines acérées qui transforma le métal en nourriture pour une jeune adolescente. Ses écailles robustes démontraient une magie inhabituelle qui n’était pas de la simple manipulation du fer. Rachel était une pourfendeuse de dragons, éduquée pour maîtriser cette magie rare par un père dragon. Même pour elle, le soulagement de pouvoir le dire sans conséquence était son plus grand bonheur après avoir été adoptée. Le jugement des autres se révélait bien cruels durant sa vie. Cela l’empêchait de parler, la contraignait à se cacher derrière un ex-mage solitaire. Elle levait les yeux vers Seika et vit la surprise et la consternation, comme tout le monde. Toutefois, elle se sentait rassurée ; son instinct n’allait pas la faillir. L’odeur qui émanait de la rousse ne lui donnait aucun doute sur sa décision de tout révéler.

Rachel recula tout de suite après sa dégustation. Il ne restait plus qu’à attendre un verdict, une réaction de l’invitée. Et elle ne le regretta pas. Cette adolescente sans père, sans parent, découvrit ne pas être seule sur ce monde avec Seika qui montrait ses écailles. Un feu embrasait les parties écaillées, étincelant le regard de Rachel dont le cœur battait fort. Une famille ! Elle existait. Une sœur, un frère, ou plusieurs d’entre eux en même temps, ça restait une famille de chasseurs de dragons éparpillée sur le continent. La brunette tomba à genoux et se serra les bras contre elle. Ses yeux pleurèrent des rivières. Tant de craintes et d’incertitudes avaient cédés ; les émotions la submergèrent.

- Mon père…il m’a dit de faire confiances aux Hommes. Il me l’a dit comme si j’allais le perdre pour toujours. Mais…j’ai une grande sœur ! Je peux aimer quelqu’un de tout mon cœur !

Son ouïe était en alerte. La dernière chose qui lui fallait était le retour de son mentor. Désormais, le plus qu’il revenait, le meilleur. Rachel désirait maintenant rester le plus longtemps avec Seika. Une simple accolade de plusieurs minutes ou discuter de leur vie à chacune, n’importe quoi suffirait à soigner l’éruption de larmes de joie et la calmer. Elle releva la tête, encore trop paralysée pour essuyer son visage humidifiée. Elle décida de ne plus se détourner d’un chasseur de dragons, d’une présence qui la rassurait plus que son propre père adoptif. D’un grand effort, elle parvint à tendre son bras, ses doigts. Couverts d’écailles, elle caressa celles de Seika sur les joues. Feu et fer se rencontrant et se tolérant mutuellement, non pas comme la foudre qui la blessait. L’harmonie élémentaire la fascinait.

Ce que je n’avais pas prévu c’était la réaction de Rachel. Elle semblait si heureuse de se trouver une famille, une sœur. Je ne bougeais plus et observait ses réactions. Elle retomba à genoux et serra ses bras contre elle. Elle se mettait alors à pleurer… je me demandais ce qu’il convenait de faire dans une telle situation, mais aucune réponse ne tombait du ciel alors je restais silencieuse et attendait.

Elle me donnait une information importante, le Dragon l’ayant élevé était un « père », comme le mien. A ceci près qu’elle mangeait du fer… et que moi je mangeais du feu. C’était somme toute réducteur, mais à ce moment-là je pensais qu’il n’existait pas de « maman » chez les Dragons. Un mot fit tinter mes oreilles : « aimer ». Je ne savais pas ce que cela pouvait représenter, mais l’amour j’en avais souffert à la disparition d’Igneel. Je ne voulais plus en souffrir. Je ne réagissais donc pas, attendant la suite des évènements. Je restais au aguets car je me savais suivie et cela depuis seulement quelques semaines. Mon odorat essayait de repérer mon suiveur… Pas la moindre trace pour l’instant. Je devais rester attentive à ce qui m’entourait et ne pas me laisser surprendre. C’était sans compter les doigts couverts d’écailles de la jeune demoiselle qui me faisait face et qui effleurèrent ma joue. Je sursautais alors face à cet élan qui me semblait étrange. Jusqu’à présent aucun être n’avait eu l’occasion de me toucher, je n’en laissais jamais le temps à mes interlocuteurs.

Je savais qu’en sursautant j’allais surprendre la Dragon Slayer de Fer. Elle n’allait certainement pas comprendre le mouvement de recul qui s’en suivait. Je fis disparaître les écailles rouges feu et prit une grande inspiration. Je ne devais pas plus m’attarder. Je ne tenais pas à attirer mes suiveurs dans le campement de cette jeune fille qui semblait gentille. Et puis même, mes affaires restaient mes affaires. Il allait falloir trouver une excuse pour que je puisse m’éclipser en douceur et disparaître comme j’étais arrivée.

« - Excuse-moi d’avoir sursauté ! Je ne m’attendais pas à ce que tu me touches ».

Je réalisais un sourire maladroit pour prouver à quel point j’étais désolée de ce mouvement de recul. J’avais toujours été mal à l’aise avec les marques d’affection, je ne savais pas vraiment de quoi il pouvait s’agir à proprement parler et il n’était pas l’heure pour moi d’apprendre cela. J’étais une solitaire convaincue et je ne pouvais pas me lier avec quelqu’un sous peine de la voir disparaître à nouveau.

Me relevant et regardant pendant un instant le feu de camp, je finis par fixer Rachel.

« - Il n’est pas possible pour moi de rester ici ! Veille cependant sur le feu, il y a de drôles de créatures dans les environs ».

Je reculais alors lentement en m’éloignant du feu et de sa chaleur, mes yeux ne quittaient pas la Dragon Slayer. Je lui souris une dernière fois et partait alors en courant telle une voleuse.

*Merci pour tout !*

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