La nuit fut longue, très longue. À peine trois petites heures de sommeil ou presque, la jeune mage ne put fermer les yeux du reste de l’interminable soirée. C’était sans compter la difficulté incroyable de reconnaître le jour et la nuit dans cette ville de la corruption. Vivre se résumait pour bien des gens à établir un quotidien durable, une routine si l’on pouvait dire. Rachel en avait vu des individus, surtout des victimes de ses actes de mage indépendant, qui s’étaient opposés de manière désespéré. C’était comme si perdre leurs trésors ou leur réputation signifiait la fin du monde. Cette attitude révélait la crainte du changement, la crainte de l’inconnu et de ses mystères. Comment pouvait-on les blâmer puisqu’ils sont tous – ou presque – des mammifères ? Quand eux-mêmes fonctionnait selon un ordre bien établi ? Rachel resta donc éveillée, désormais consciente de sa vulnérabilité et de ce destin qui frappait par-delà les plus solides écailles d’acier de son corps. Elle se leva, tourna en rond et se perdit dans ses songes. En jetant un regard sur son sac de voyage, toujours aussi discret sous son sombre manteau, elle se rappela des vêtements de rechange qui s’y trouvaient. Une certaine vermine qui se prétendait humain et scientifique les lui avait offerts, une ordure lui tracassant la tête à chaque période de l’année où il fallait retourner à l’Ouest du pays. Avec sa tenue partiellement en lambeaux, elle s’écœurait du fait qu’elle devra les porter très bientôt.

Rachel accrocha son sac sous son large vêtement et sortit. Un silence de mort dans une taverne vide la fit se sentir à l’aise. Surtout que le commanditaire n’avait pas donné signe de vie depuis la remise du masque. Dehors, elle prit une bonne bouffée d’air malgré la pollution qui circulait un peu. Toutefois, il fallut qu’un individu la surprenne et se fige de choc. Rachel le détailla ; il était paralysé de peur et cherchait une sortie de secours. La demoiselle l’agrippa furtivement et le plaqua au mur. Il ne fallut même pas un interrogatoire pour obtenir sa réponse. C’était un verdict choc qu’elle découvrit avant même de voir les affiches : Sa tête mise à prix par le conseil ! Impossible ! Le pire des cauchemars de la Dame de Fer se concrétisa en un seul instant. Cet employeur, ce traître, ce détritus, ce bâtard, cet animal sans honneur…aucun juron résonnant dans sa tête ne pouvait la satisfaire. Et ce type dans la rue en paya le prix de son crâne fracassé contre le mur. Nul besoin de retenir ses coups maintenant que le poignard fut planté dans son dos pour de bon. On la voulait vivante ou morte, davantage vivant imaginait-elle, et cela n’était pas une option. Hespéria devait regorgée de beaucoup de gens sans scrupules prêts à recevoir une récompense dans cette affaire. Elle se faufila donc dans les plus petites rues en ce début de matinée. D’abord d’un pas calme, elle n’hésiterait pas à courir une fois repérée.

Son petit doigt lui disait que ce chevalier était le même homme que celui de la taverne. Jamais elle ne l’oublierait. Elle le traquerait comme un animal sauvage ou bien elle tomberait sur lui pour seulement en faire de la bouillie de son corps. Ludwig Pulse sera un homme mort, tôt ou tard.

La haine était une vile séductrice. Une fois invitée dans son esprit clair mais surtout indépendant, elle développa une déviation de toute concentration et une dépendance excessive à la colère. On ne l’appelait pas un pêché capital pour rien puisque même Rachel avait soif de meurtre et de sang sur tous les responsables de sa débâcle. Le réseau souterrain, les courtiers de l’ombre, ses employeurs les plus fidèles, aucun d’eux ne pourrait venir à son aide ni même tenter de la contacter. Car non seulement l’avis de recherche serait-il déjà partout dans le pays, mais aussi avoir la plus haute instance magique aux trousses était trop dangereux. Pas question de les mener à un seul contact de la pègre pour ensuite les voir mettre massivement aux arrêts des criminels influents. Rachel était seule, livrée à elle-même et une rage si enivrante, elle fit l’erreur d’être repérée. Son talent pour la dissimulation s’était ridiculement détérioré et sa déchéance ne semblait plus vouloir s’arrêter. Elle les haïssait tellement, désormais. Si seulement sa pensé pouvait encore fonctionner entre son mépris et son mode survie – la mage devait échapper à une horde soudaine de chevaliers runiques après tout – surement que la jeune magicienne verrait une toute autre histoire à cette fausse accusation des officiels du Conseil. Elle se serait doutée de quelque chose, elle se serait doutée que ce n’était que pour la forme cette histoire d’agression. Et si le crime organisé n’était pas l’objectif, alors il ne restait que…

D’autres chevaliers révélèrent leur présence et formèrent tous ensembles une belle meute de mages sur ses talons. Elle continua de courir sans perdre son souffle. Des piques d’acier furent lancés contre ses poursuivants pour les ralentir. Quand sa tête tourna pour regarder derrière, un froid terrifiant fut donné à tous ces hommes. Aucun d’eux ne recula, trop téméraire pour se méfier du pouvoir qu’ils veulent capturer. Mais surtout, une brochette de prétentieux se croyant fort en groupe de plusieurs. « Patience, jeune chasseuse de dragons ! » se disait-elle. Une fois ses pouvoirs plus évolués, son sourire reviendrait et l’arrogance des hommes remise à leur place.

Tout le monde traversa les ruelles à un rythme effarant. Rien ne fonctionna pour repousser les assaillants. Il n’y avait que bel et bien la fuite. Si peu d’options s’offraient à elle. Même le souffle du dragon serait une erreur dans cette situation, aussi restreints que soit ces lignes creuses entre les bâtiments. Ce ne fut qu’en retournant de nouveau la tête que Rachel arriva sur la plage. Rapidement la surface de sable perturba sa course folle au point de trébucher et interrompre complètement sa fuite. Toutefois, il lui fallut un obstacle tout aussi inattendu. C’était une humaine aux cheveux blonds, l’erreur dans le portrait, la cause d’une confrontation désastreuse ici-même. Rachel se retourna contre le sable amer, grognant comme une bête avec les yeux injectés de sang. Son calvaire ne pouvait être plus pire que maintenant.

- Saleté…tu veux t’en prendre à moi, toi aussi ?!?! Je n’ai pas de temps à perdre avec une maudite humaine comme toi alors que je suis trahie sans arrêt par tes semblables !

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Son ton de voix n’avait plus la même corde naturelle que d’habitude. La bête en elle se mêlait avec la dame en détresse comme une alliance forcée pour la survie. À présent que le goût salé et putride du sable d’Hespéria empestait sa bouche, il ne restait plus qu’une directe confrontation avec ce ramassis de vermines humaines qui n’écouterait en rien les arguments d’une dangereuse fugitive. Avant cela, Rachel crache du sable de sa bouche et releva la tête et dévisagea avec mépris la responsable de cette tournure de circonstance. Cette autre humaine faisait à peu près sa taille. Son physique albinos l’aurait bien plus intrigué que cela sans son humeur exécrable. Rachel se serait ouverte, permis de découvrir en détail les caractéristiques de la belle créature du nom de Quatie, ainsi que de sa compagne. Mais la demoiselle au regard rouge comme le sang qui l’observait avec un petit air sympathique ne comprenait en rien la situation dans laquelle elle s’enfonçait à son tour. Il ne fallait pas plus de temps pour que la troupe de chevaliers bloque la sortie de la plage. La mage en cavale connaissait déjà la suite : le chef de l’unité la somma de se rendre sans plus de résistance ou bien c’est le conflit ouvert. Au moins, il aura la bienséance de la présenter à la parfaite inconnue dans ce tableau.

D’un geste fort, elle repoussa la main amicale de la demoiselle albinos. Car non seulement elle n’était pas la bienvenue dans l’affaire en cours, mais aussi parce qu’elle était une mage officielle. Un autre ennemi potentiel se tenait à proximité et la relation entre les chevaliers runiques et les guildes légales rendait fort probable dans quelle camp irait Quatie. Bref, Rachel respirait de manière anarchique, prise de panique et de colère. L’impasse, la défaite, c’était une sensation horrible pour une chasseuse de dragons si fière de ses origines, le prédateur devenant le gibier à traquer sans relâche. Les fixant avec férocité, le sang lui monta à la tête et la fit rougir de haine. Ses écailles d’acier s’hérissèrent sur tout son corps, surement de manière involontaire. Avant de savoir la position définitive de la mage de la célèbre guilde Fairy Tail, elle fit un pas en avant. Son index inquisiteur pointa le chef de l’unité.

- Vous voulez de la servitude, de l’obéissance complète ? Commencez plutôt par me dire la vérité, rien que la vérité. Oubliez ces « accusations » orchestrées par votre conseil de la magie et dites-moi : Que voulez-vous vraiment de moi ?

Rachel n’était qu’une mage indépendante et forcément coupable de gestes douteux. Mais si le royaume cherchait vraiment sa mort, jamais on n’aurait mis au point un stratagème aussi inutile qu’encombrant à organiser. On voulait une justification pour l’emporter quelque part et obtenir quelque chose. Là, la Dame de Fer leur offrait une chance de la calmer et de clarifier l’affaire. Si ces hommes n’étaient que des instruments, alors plus rien n’empêcherait la suite des hostilités.

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La formation encercla les deux femmes magiciennes ainsi que le compagnon de l’albinos, désormais obligées de se tenir en garde et de surveiller ses arrières. Elle fixa d’une rage froide le chef de l’unité des chevaliers runiques. La réponse qu’elle espérait entendre pourrait tellement changer la dynamique de leur relation. Aussi colérique fut-elle, ce n’était son genre d’impliquer des inconnus dans ses affaires personnelles. Alors, elle laissa l’individu parler et expliquer à nouveau les charges portées contre sa personne. La même attaque contre le convoi orchestrée par leur supérieur, les mêmes assauts contre le gardien du convoi et le vol du masque parce qu’il fallait un objet de valeur pour justifier leur mandat d’arrestation. Ainsi, Rachel devait admettre que ces types n’étaient que des pions. Ils ignoraient probablement tout de ce qui se préparait dans leur propre dos.

- J’ignore si vous le faites volontairement ou non, mais vous êtes vraiment stupides de continuer à me mentir de la sorte. L’issu aurait été plus pacifique pour tout le monde.

Elle soupira de déception, levant le regard vers l’écran de nuages gris. Le monde sous-terrain ne venait pas à son aide, il choisissait de rester cacher au lieu de venir en aide à leur unique agent indépendant. Son boulot quotidien n’existait plus, surtout si elle parvenait à s’en sortir vivante. Rachel rebaissa son regard sévère sur ses adversaires, toujours en ignorant sa compagne de fortune. Elle retira son manteau noir pour le déchirer de manière symbolique. Sa carrière de voleuses de l’ombre était terminée, plus rien ne servirait de se couvrir de mystère. Par conséquent, elle n’avait plus besoin à cacher son talent inné, son pouvoir unique et sa force brute encore insoupçonnée. Elle jugea ensuite la jeune albinos du coin de l’œil avec une attitude plus disciplinée. Son sixième sens lui disait que cette personne avait une magie puissante, voir même dangereuse. Son côté dragon ne la décevait pas souvent en la matière, et la réaction du chevalier encourageait cette déduction. La Dame de Fer se mit donc en tête un ordre de priorité avec un sourire presque amusé. L’évocation de ce masque de malheur et de son pouvoir « dangereux » ressemblait à une mauvaise excuse.

- Ce masque, un danger monumental ? Et pourquoi n’avoir pas ajouté plus de protection à un convoi qui venait directement dans vos bras ? Pourquoi était-ce si facile de le voler et de massacrer votre ami ? Finalement, je commence à me lasser de votre mise en scène à la con. Vous vouliez à ce point le conflit ouvert avec moi ? Je vous le donnerai…et m’assurerai que votre dernier souffle le soit pour de bon !

Un pas lourd vers l’avant s’en suivit, puis un autre. Rachel n’avait pas craint son adversaire robuste lors de l’affaire du convoi. Ce n’était donc pas un autre qui la ferait trembler et reculer avec dieu sait quelles menaces. Se doutant qu’un piège pouvait l’empêcher de sortir de la formation de chevaliers, sa priorité était bien sûr une exécution rapide de ce clown devant elle. Une accélération soudaine et une transformation rapide de son bras droit en lame s’activèrent ensemble pour une attaque chirurgicale au niveau du ventre de l’homme. Tout de suite après, échec ou non, elle sauta sur le côté et restait prête à réagir.

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C’était la toute première que cela lui arrivait. Après tout, Rachel se connaissait pour son calme, son raisonnement et sa patience. Son ancien mentor avait pris soin de la protéger elle-même d’une dangereuse réaction et de la plupart des mauvaises décisions que prenaient une jeune demoiselle encore incapable de s’ouvrir complètement aux difficultés imprévisibles de la vie. Cette fois, elle avait craqué. Dans son esprit, ces hommes devaient connaître l’intention de leurs supérieurs. Si seulement elle pouvait le savoir, elle offrirait son effort pour effacer les fausses fautes qui pesaient sur sa personne. Mais voilà, elle avait besoin de défoulé sa frustration sur le chef de cet unité. Son élan réduisait rapidement la distance avec son adversaire, ses griffes prêtent à frapper. Mais avant d’élancer son bras pour le coup violent, une barrière noire bloqua sa route. La couleur pouvait surprendre, mais le son et sa nature élémentaire désamorça toutes les émotions de la Dame de fer. C’était de la foudre, sa faiblesse la plus directe. C’était aussi la magie que son mentor utilisait et avait permis de contrôler l’adolescente de l’époque. Les punitions, Rachel s’en souviendrait pour toujours et cela la fit arrêter net dans sa course allant jusqu’à glisser de nouveau sur le sable.

La mage venant d’une guilde mis un terme à une confrontation avant même que celle-ci débuta. Peut-être que l’intervention évita ainsi plus de troubles que Rachel pouvait supporter. Mais surtout, jouer le médiateur encouragerait tout le monde à parler au lieu de cacher des informations cruciales. Rachel haletait fortement pour calmer ou plutôt cacher la colère grognant dans sa gorge. Car certes, le dialogue pouvait reprendre, mais l’exigence du chef d’escouade lui était impossible à remplir. Le masque n’était plus en sa possession. Le responsable de cette affaire avait pris soin de ne pas lui laisser un moyen de négociation consistant. Encore une fois, elle se disait que le conseil voulait la capturer pour un plan de plus grande envergure. Elle lâche un soupir, annulant son épée de fer.

- Je n’ai plus votre masque. Le supérieur de votre ordre qui a mis ma tête à prix est celui qui possède le masque. Je suis prête à m’excuser de mon geste, mais il faut me croire quand je dis que ça sent le piège.

Peut importe la réaction, rien de cela suffirait. Rachel devait offrir quelque chose de plus valable que des mots et une défense faible de la sorte. Si on cherchait à utiliser ces hommes pour une sale besogne, alors la pourfendeuse de dragons devait plutôt les mettre de son côté ou essayer de le faire. Alors, il fallait contre vents et marées se montrer coopératif, avec ces chevaliers et la mage de foudre.

- Je ne souhaite pas me faire capturer…en revanche, je peux jouer le jeu si vous faites de même. Contactez cet homme ou je ne sais qui et essayez de soutirer des informations d’eux. Je n’ai rien pour vous à moins de connaître plus de détails de vos patrons. Vous en pensez quoi ?

(Bouh, le retour enfin !)

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