Année 783. Un jeune garçon âgé d’une dizaine d’années marchait dans les rues de la célèbre cité qu’était Magnolia. Des garçons comme lui, il y en avait certainement des milliers, mais il était pourtant très différent de tous ces autres êtres et sur plusieurs points. Il se faisait déjà remarquer par son physique atypique, à savoir des cheveux gris aux reflets argentés à l’instar des personnes âgées, un short bleu tout ce qu’il y avait de plus normal et une veste jaune sans manches et ouverte devant pour laisser apercevoir son torse. En réalité, son style vestimentaire était fait pour accueillir toute la fraicheur environnante, mais ses vêtements étaient déchirés par endroits, n’importe qui pouvait remarquer qu’il avait dû traverser une quelconque épreuve pour les mettre dans cet état. Le second point le plus intrigant était sans nul doute le bagage qu’il avait sur le dos: long et fin; un œil avisé pouvait deviner la forme d’une épée sous le tissu, mais les autres devaient imaginer tout et n’importe quoi. En fait, ce bagage était l’objet le plus précieux du jeune garçon aux yeux bleus et y toucher revenait à se frotter à sa froide colère.

Pour ne rien cacher, cet enfant, c’était moi, âgé très exactement de neuf ans. Cela faisait plus d’une année que mon père était mort dans la tempête qui avait emporté le bateau sur lequel nous étions transportés. J’avais réussi à survivre par mes propres moyens, toujours à l’aide de ma magie, je ne pouvais pas faire autrement pour m’en sortir en réalité. De plus, l’épée que mon défunt père m’avait légué avait attiré le regard de certaines personnes avides de biens d’autrui, autrement dit, j’avais dû les semer et même me battre contre plusieurs d’entre eux, ce qui expliquait mon état actuel en entrant dans Magnolia. J’essayais de ne pas attirer le regard de la foule, mais c’était peine perdue, je les voyais tous du coin de l’œil me dévisager et se demander ce qu’il m’était arrivé. Je faisais comme si de rien n’était tout en sentant quand même mes joues me brûler à cause de la gêne que j’éprouvais d’être le centre de leur attention.

Si j’étais venu à Magnolia en traversant un nombre inconnu de kilomètres, c’était pour une seule et unique raison, j’avais entendu parler d’une guilde rassemblant de très puissants mages. J’avais dans l’optique de l’intégrer, j’étais un mage après tout, je pouvais être dans une guilde, mais par-dessus tout, je voulais devenir plus fort que jamais. Je serais alors tellement puissant que je pourrais protéger ce qui m’était cher, néanmoins, je n’avais plus grand-chose que je pouvais qualifier de tel. Non, il fallait que je le fasse, il fallait que je sois aussi puissant que mon père pour lui montrer qu’il pouvait être fier de moi, je ne pouvais pas le décevoir, je voulais l’entendre une nouvelle fois me féliciter. Je sentais les larmes me monter aux yeux, mais je les chassais d’un revers de main pour me concentrer sur ma tache principale: trouver cette fameuse guilde. Dans mon esprit, ce devait être l’un des plus grands bâtiments de la ville, avec l’emblème bien visible pour que tous les mages sachent où aller pour les trouver.

Finalement, je me retrouvais devant un bâtiment qui était vraisemblablement celui que je recherchais, mais j’étais à présent assailli de doutes. Et si jamais je n’étais pas à la hauteur de leurs tests d’entrée ? D’ailleurs, y avait-il des tests ? Et de quelle nature seront-ils ? Tant de questions qui me freinaient et qui m’empêchaient de faire le pas qui ferait toute la différence, pourtant, je rassemblais tout mon courage et je poussais la porte le plus silencieusement possible pour éviter de me faire remarquer. La première chose que je pouvais remarquer, c’était que l’ambiance était vraiment remarquable, soit j’étais arrivé pendant un jour de fête, soit ils étaient tous comme ça tout le temps, ce qui ne serait pas désagréable en fait. Gardant mon épée dissimulée sous le tissu, j’avançais petit à petit sans me faire remarquer par quelqu’un. Maintenant, il fallait que je trouve la personne la plus vieille du lieu, bah oui, logiquement, elle serait le Maître de la guilde et il fallait la voir pour intégrer ses rangs. Toutefois, je ne parvenais absolument pas à la trouver dans tout ce remue-ménage, pourtant, quelqu’un finit par se rendre compte de ma présence dans ce lieu.

Je cherchais toujours la personne qui pourrait se charger de mon intégration dans cette guilde et je rageais légèrement de ne pas pouvoir la trouver. Allez savoir pourquoi, mais je sentais que je devais me retourner à ce moment et c’était ce que j’avais fait. Pourquoi ? Je n’en avais strictement aucune idée, peut-être que le destin avait décidé de me tendre la main à cet instant présent et m’avait obligé à rencontrer la personne qui se trouvait devant moi. À moins que ce ne soit mon instinct qui m’avait soufflé de me retourner, mais dans tous les cas, le résultat était le même, une force inconnue avait fait en sorte que je sois en face de ce jeune garçon de mon âge. Il me semblait plutôt que j’étais plus âgé que lui, vu la différence de taille entre nous deux, c’était une conclusion hâtive que je pourrais faire, mais je ne le pensais pas. Tout simplement parce que mon père m’avait toujours répété que les illusions étaient les pires ennemies de l’Homme. Quoi qu’il en soit, je détaillais le jeune arrivant qui avait failli trébucher avant de se reprendre et de rire légèrement, sûrement pour évacuer la gêne occasionnée. Il avait les cheveux bruns tout en pétard, bien différents des miens qui tombaient tout autour de ma tête et qui possédait une teinte bien plus claire, néanmoins, ses yeux étaient de la même couleur que les miens. En réalité, pas tout à fait, son bleu était plus foncé alors que mes yeux tendaient plutôt vers le vert.

_ Bonjour et bienvenue à Fairy Tail ! Je m’appelle Yue Hikaru ! Quel est ton nom ?
_ F-Fubuki… Tsuya…

Pourquoi lui avais-je répondu directement ? Certes, j’avais hésité et bégayé en répondant tout en gardant un visage inexpressif, mais il était étrange que la réponse soit venue aussi rapidement. D’habitude, je me méfiais des gens, je ne leur ouvrais jamais les portes de mon espace personnel tant qu’ils ne l’avaient pas mérité selon mes critères. Pourtant, je lui avais répondu, à lui, ce petit brun, ce dénommé Yue. Peut-être que son sourire franc m’avait permis de dépasser mes propres règles… Je n’étais sûr de rien… Je remarquais qu’il me détaillait de la tête aux pieds, ce qui me mettait mal à l’aise, surtout lorsque l’on savait dans quel état j’étais. Après un long voyage comme celui que j’avais fait, il était un peu normal de ressortir comme je l’étais à l’instant. L’expression de son visage se métamorphosait au fur et à mesure de son inspection silencieuse, sa mine enjouée devenait de plus en plus soucieuse de mon état. Que pouvais-je lui dire pour qu’il évite de me poser des questions que je ne voulais pas entendre ? Est-ce qu’il allait mal le prendre si je lui demandais de m’amener tout de suite au Maître de la guilde ? Trop de questions se posaient dans mon esprit, comme à mon habitude d’ailleurs, je ne pouvais pas m’en empêcher…

Alors que je ne m’y attendais absolument pas, il me prit la main pour m’emmener dans un coin plus tranquille, un peu à l’écart de toute l’agitation de la guilde. Le contact me surprit au plus haut point. Ce n’était pas aussi rude qu’avec mon père qui ne pensait qu’à m’entrainer tout en veillant affectueusement sur moi à sa manière, c’était aussi différent de toutes ces personnes qui m’arrêtaient pour me demander ce que je transportais d’un air avide. Oui, j’avais là quelque chose de bien différent, c’était doux, ça m’apportait une douce chaleur à l’intérieur du corps, comme si un feu réconfortant s’installait en moi. Je ne savais pas comment réagir à cela, si bien que je me laissais guider à l’instar d’une simple coquille vide de toute volonté. Il me montra ensuite un siège pour que je puisse m’asseoir et je le fis tout en prenant soin de poser correctement l’épée que j’avais sous le tissu qui la recouvrait toujours. Je croisai de nouveau son regard et je pouvais remarquer qu’il semblait toujours aussi inquiet pour moi, d’ailleurs, il n’attendit pas pour me le faire savoir de vive voix:

_ Est-ce que tout va bien ? J’ai l’impression que tu as fait une longue route pour parvenir jusqu’ici. Tu as besoin de repos.

Les derniers mots formaient une phrase affirmative, ce n’était pas une question qu’il me posait, c’était comme s’il m’ordonnait d’aller me reposer, ou plutôt qu’il me le conseillait. Je ne savais pas comment réagir face à autant d’attention, mon père n’avait jamais réagi de cette manière pour moi et c’était nouveau cette manière de faire. Que devais-je lui répondre ? Il paraissait si gentil, j’étais certain qu’il ne ferait pas de mal à une mouche et puis, je voulais qu’il sourit de nouveau, le voir avec cette mine était démoralisant. Je mis un temps d’arrêt dans mes pensées avant de reprendre de plus belle. Pourquoi voulais-je le voir sourire ? Pourquoi ne voulais-je pas lui faire de la peine et faire naître le souci en lui ? Personne n’avait été aussi attentif à mon sujet, si bien que, sans le vouloir, Yue venait de me toucher au plus profond de mon être. D’ailleurs, il méritait une réponse et, toujours sans montrer la moindre émotion sur mon visage, je la lui donnais d’un ton plat:

_ Ça va très bien, le voyage a juste été long, mais je n’ai besoin de rien. Je veux juste re…


Je n’avais même pas eu le temps de lui dire ce que je voulais réellement, à savoir intégrer la guilde que mon estomac se montrait un peu bruyant. Le rouge me monta immédiatement aux joues et la gêne m’envahit tandis que je baissai la tête pour la cacher. Il était vrai que je n’avais pas mangé depuis un moment, les maigres vivres que j’étais parvenu à voler avaient duré le maximum de temps, juste assez pour arriver en ville. J’avais toujours mes yeux rivés sur mes genoux tout en essayant de chasser la gêne de mon visage avant de reprendre la conversation là où je l’avais involontairement laissée. Comment allait réagir Yue devant une telle scène ?

J’avais trop honte de moi ! Alors que Yue était là en train de se demander ce qui m’était arrivé et qu’il cherchait un moyen d’égayer l’atmosphère plus que glaciale, mon estomac avait décidé qu’il était temps de me rappeler qu’il devait être rempli. Je n’arrivais même plus à reprendre mes esprits, j’étais bloqué dans ma propre gêne et je me sentais vraiment ridicule, mon père m’avait appris que la première impression était importante pour tout, je me demandais ce que devait penser Yue de moi. Prenant mon courage à deux mains, je relevais la tête pour me rendre compte que j’étais seul. Où était passé le petit brun ? M’avait-il trouvé tellement pathétique qu’il s’était éloigné de moi au plus vite pendant que j’avais la tête baisée ? Non, je ne le pensais pas, il n’avait pas l’air d’être ce genre de personnes, sans compter que l’impression qu’il m’avait faite était encore présente dans tout mon corps. Finalement, il revint chargé  d’un plateau qui accueillait un beau repas, il le posa à côté de moi avant de s’installer à son tour. Il avait l’air d’avoir retrouvé le sourire et c’était l’essentiel pour moi, je ne voulais pas qu’il soit triste par ma faute.

_ Tiens, c’est pour toi ! Offert par la maison ! Toi qui disais que tu n’avais besoin de rien, ton ventre l’a demandé à ta place ! Mange et boit autant que tu veux. Si tu as besoin de quoi que ce soit d’autre, je suis là Fubuki. N’hésite pas à me le dire.
_ Me-merci…

Que pouvais-je répondre d’autre ? Il était si gentil avec moi et en plus, je sentais au plus profond de moi qu’il était sincère, qu’il ne voulait pas tirer quelque chose de moi. Je ressentais pour la première fois que je pouvais me confier à quelqu’un sans craindre quoi que ce soit de lui. Je pris donc la décision de lui parler un peu plus de moi, mais avant cela, mon estomac se manifesta une fois de plus et je dus d’abord le contenter avant de pouvoir faire autre chose. Je mangeais avec appétit comme si je n’avais rien avalé depuis plusieurs jours, ce qui n’était pas loin de la vérité en fait… On aurait dit un véritable ogre qui prenait son repas. Une fois repus, je m’adressais à Yue qui avait attendu pendant tout ce temps:

_ Merci beaucoup pour le repas, je te suis redevable.

J’ajoutais à ma réplique, un léger sourire, il n’était pas encore particulièrement naturel, mais je me forçais à faire ce que je faisais rarement depuis la mort de mon père. En ayant cette pensée, je tournais mon regard vers le paquet situé à mes côtés, ce bien qui ne me quitterait jamais à moins que l’on me laisse pour mort afin de me le substituer. Je me rappelais alors de la raison de ma venue ici, il fallait que je trouve les personnes chargées de l’intégration dans la guilde, mais Yue devait bien le savoir, d’ailleurs, qu’est-ce qu’un enfant faisait dans une guilde ? Soit il était le fils d’un des membres de la guilde, soit il était lui-même un mage, tout comme je l’étais. L’un comme l’autre était possible et je me demandais si cela allait le gêner de répondre à mes questions… mais après tout, il m’avait dit qu’il était là pour moi si j’en avais besoin.

_ Tu sais, j’ai pas vraiment été sympa avec toi, je t’ai pas parlé beaucoup et je m’excuse. En fait, je… je n’ai plus de parents, ma mère est morte pour me donner la vie et mon père est mort en me sauvant la vie. Tout ce qu’il me reste de lui, c’est sa magie et… et son épée que je cache là-dessous. C’est pour ça que je suis ici, je veux devenir fort pour sauver les gens que j’aime !


Par quel miracle cela s’était-il produit ? Je ne saurais le dire, mais une chose était sûre, je venais de tout raconter à Yue, à ce petit bonhomme que je connaissais à peine, mais qui avait déjà touché mon cœur. L’attitude qu’il avait envers moi était impressionnante, aucune animosité, ni de suspicion à mon égard, juste de la curiosité et l’envie d’aider son prochain. Il n’émanait de lui que des émotions positives tandis que je renfermais en moi des ténèbres qui me rongeaient de l’intérieur. La libération de tout ce secret fut tellement puissant que je sentis des larmes couler le long de mes joues et je les essuyai rapidement avant qu’il ne s’inquiète pour rien une fois encore. En réalité, je pensais qu’il allait s’inquiéter de me voir dans cet état, mais il ne pouvait pas me comprendre s’il n’avait pas vécu la même chose que moi, et vu son sourire rayonnant, il devait avoir eu une enfance pour le moins tranquille et sans problèmes. C’était du moins ce que je pensais, allait-il m’apporter la preuve du contraire ? Allait-il se moquer de moi après les grandes lignes de mon histoire ? Comment cet intriguant et bouleversant petit brun allait-il réagir cette fois-ci ?

Lorsque je l’avais remercié pour le repas qu’il venait de m’offrir, il m’avait fait signe que ce n’était rien du tout, comme s’il l’aurait fait pour n’importe qui. Décidemment, j’avais vraiment du mal à le comprendre, à moins que ce soit dû au fait que j’avais tellement cherché à deviner les pensées de mon père que j’avais fini par avoir la même façon de faire que lui. Dans un sens, ce n’était pas si mal, il m’avait légué plusieurs choses que je garderais intactes en sa mémoire, mais pourtant, j’avais l’impression d’être totalement à côté de la plaque en face de Yue. Pour le remercier tout de même, j’avais décidé de tout lui raconter d’une seule traite, ce qui restait étonnant pour moi qui n’avait plus reparlé de tout ceci depuis le moment où j’avais compris que mon père ne reviendrait pas. Cela m’avait fait un bien fou, même si des larmes coulaient le long de mes joues, larmes que j’avais essuyé le plus rapidement possible pour ne pas gêner mon interlocuteur. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi j’avais fait cela, après tout, Yue était un parfait inconnu comme tous ceux que j’avais rencontré sur ma route avant lui. Pourquoi lui spécialement ? Pourquoi ressentais-je le besoin de me confier à lui et pas à d’autres ? En quoi était-il si différent ? Je me posais les questions, mais au final, j’avais déjà les réponses au fond de moi, j’étais juste incapable de les écouter attentivement. Finalement, il me répondit enfin:

_ Je comprends très bien ce que tu peux ressentir. Moi-même, j’ai perdu des êtres chers et malgré cela, j’ai fait tout mon possible pour avancer…

Quelque chose n’allait pas, plusieurs détails me sautaient aux yeux. Sa voix n’était plus aussi rayonnante qu’au départ, il tremblait comme s’il était en proie à une lutte intérieure, mais il y avait encore plus choquant que tout ceci, des larmes étaient en train de naître sur son visage. Je n’arrivais pas à le croire, ce gamin qui respirait la joie de vivre était en train d’éclater en sanglots suite à mon histoire. Comment pouvait-il pleurer ? Non pas qu’il était impossible pour d’autres de pleurer, mais… pas lui, c’était impossible ! Je ne savais pas quoi faire et je sentais les regards des autres tournés vers nous, si bien que j’en restais encore plus figé. Je m’intéressais alors au contenu de ses paroles, si je comprenais bien ce qu’il essayait de me dire, il avait traversé les mêmes épreuves que moi. Du moins, peut-être pas identiques, mais très semblables en tout cas. Je le voyais en train de lutter contre tout son chagrin alors que je restais là à l’observer sans savoir quoi faire pour le réconforter, après tout, j’étais dans le même état, mais je parvenais à ne montrer que l’essentiel, je ne succombais pas entièrement à mes émotions. Il reprit d’une voix brisée, qui montrait qu’il n’avait pas encore fini de tout rejeter ce qu’il avait dans le cœur:

_ Je… Je n’ai jamais connu mes parents et pourtant, ce sont eux qui ont voulu que je porte ce nom et ce prénom… Ce sont… Ce sont mes grands-parents adoptifs qui m’ont élevé jusqu’à mes sept ans et… Et je les ai perdus tous les deux à cause des mages noirs… C’est mon grand-père qui m’a sauvé… Il… Il s’est sacrifié pour moi ! Alors… Je sais combien ça fait mal de se retrouver seul ! Et c’est lui aussi qui m’a tout enseigné… Tout appris… Je suis venu à Fairy Tail parce que moi aussi je veux protéger ceux qui me sont chers !

Son histoire était tellement similaire à la mienne que j’en restais sans voix. Alors que je pensais être le seul à vivre une telle tragédie, il venait de m’avouer qu’il était dans la même situation que moi, ce dont je n’arrivais toujours pas à croire. Il avait l’air si fragile à cet instant… Ses pleurs n’avaient pas l’air de vouloir s’arrêter et le voir dans cet état faisait naître en moi une étrange sensation, je voulais voir son sourire, je voulais qu’il soit heureux. Il paraissait si rayonnant que j’avais du mal à l’observer lorsqu’il souriait ou riait, pourtant, il était abattu pour le moment, désarmé par ses émotions qui venaient de refaire surface alors qu’il pensait sûrement les avoir enfouis au plus profond de lui. À mes yeux, je le voyais comme un soleil ayant perdu son éclat et je me surprenais penser que je devais faire tout ce que je pouvais pour lui redonner son aspect d’avant, il fallait qu’il rayonne encore et toujours, pour lui, mais aussi pour tous ceux qui l’entouraient et profitaient de sa chaleur naturelle. Je me levais soudainement et après avoir fait le tour de la table, je le plaçais un peu brutalement dans mes bras. Ce geste, mon père avait eu le même une fois et il avait eu autant de brutalité que de douceur dedans, comme s’il n’était pas habitué à le faire mais qu’il sentait qu’il devait tout de même s’en charger.

_ Si tu le veux bien, travaillons ensemble pour être les meilleurs.


Dans mes mots, je voulais lui faire comprendre que je voulais qu’il devienne mon tout premier ami, ainsi qu’un formidable compagnon de guilde. Grandir ne se faisait pas seul, il fallait être entouré de personnes qui croyaient en nous pour nous pousser à donner le meilleur de nous-mêmes. Si j’avais pu devenir un mage, c’était parce que mon père croyait en mes capacités et voulait m’enseigner l’art qu’il avait maîtrisé. Dans cette étreinte, je voulais qu’il comprenne que je serais toujours là pour lui. Je pensais avoir enfin compris pourquoi je pouvais lui faire confiance aussi rapidement, il dégageait la même chose que moi, dû au fait que nos passés étaient similaires. Pourtant, quelque chose de nouveau était né dans mes yeux, et cela, jamais Yue ne le découvrirait: s’il était la lumière et le soleil chaleureux, je serais les ténèbres et la froideur. Lorsqu’il sera malheureux, je ferai toujours en sorte qu’il garde son sourire et qu’il reste aussi innocent que maintenant. J’avais enfin trouvé ce que je voulais faire réellement, je voulais protéger mon soleil et pour cela, il fallait que je devienne plus fort. Yue était toujours dans mes bras en train de mouiller ma veste à cause de ses larmes, je ne savais pas s’il allait réagir à mon étreinte, mais il pouvait rester autant de temps qu’il le souhaitait, si ce geste lui permettait de retrouver le sourire, j’étais prêt à rester l’éternité ainsi. Tout dépendait de lui…

Nous nous étions racontés nos passés, des histoires que nous aurions préféré garder au fond de nos cœurs, enfouies sous nos futurs qui promettaient d’être bien plus heureux. J’ignorais si Yue ressentait la même chose que moi, mais je sentais… non, je savais que quelque chose venait de naître entre nous. Je n’avais jamais ressenti un sentiment aussi envahissant en moi, j’avais sûrement le même âge que le petit brun et pourtant, je me sentais obligé d’agir comme un protecteur. Ses larmes et ses sanglots avaient été comme un poignard dans mon cœur, j’avais donc réagi en le prenant dans mes bras. Sa réaction n’avait pas attendu pour se faire, il s’était totalement arrêté et je me demandais si j’avais bien fait d’être aussi direct, peut-être aurais-je dû attendre qu’il se calme avant d’agir. Les mots que je prononçai alors étaient là pour le réconforter, pour lui prouver que j’étais là pour lui à présent, qu’il pouvait se reposer pleinement sur moi. Je serais son support dans les moments où il chancellera, son confident quand il voudra se confier, son frère s’il a besoin d’une famille et plus que tout, je resterai son ami en tout temps. L’étreinte et mes paroles avaient dû réussir à l’apaiser définitivement puisqu’il me repoussa lentement, sans aucune agressivité, tout en essayant de sourire pour prouver qu’il allait mieux avant de répondre qu’il acceptait de progresser à mes côtés pour mieux se soutenir. Une pensée me traversa soudainement l’esprit et comme très souvent depuis qu’il était mort, je m’adressais à mon père sans dire un mot:

_ *Tu disais que les anges existaient, que maman en était une… Je crois que j’en ai trouvé un aussi et je ferais tout pour le protéger.*

Certes, mon père n’allait pas me répondre, mais sans doute penserait-il comme moi s’il pouvait voir Yue, un être aussi pur et souriant ne pouvait être qu’un ange tombé sur Terre. Le garçon aux yeux bleus jetait des coups d’œil vers l’épée toujours dissimulée sous le tissu et j’avais l’impression qu’il hésitait à me demander quelque chose. Voulait-il voir l’épée de mon père ? S’il me le demandait, j’accepterais sa requête sans hésiter, il m’avait prouvé qu’il était digne de confiance et je n’avais aucune raison de lui refuser cela. Néanmoins, ce n’était pas ceci qu’il voulait me demander puisque la question arriva finalement:

_ Dis-moi… Tu m’as dit que tu possédais une magie… Quelle est-elle ?
_ Le plus simple est de te montrer ce que je sais faire.

Il était vrai que j’avais sous-entendu que j’étais mage mais je ne lui avais encore rien précise à ce sujet si bien qu’il était dans le flou le plus total. Une démonstration valait mieux que mille mots alors je me préparais à utiliser ma magie pour qu’il puisse voir de lui-même. Comme à mon habitude, dès que j’utilisais ma magie, j’enlevais toujours mes vêtements par pur réflexe, le geste n’était pas intentionnel, pourtant, en moins de temps qu’il ne le fallait pour le dire, je me retrouvais en caleçon gris avec le reste de mes affaires posées juste à côté. Je rassemblais la fraicheur de l’endroit avant de joindre mes mains et de faire apparaître le nom de ma magie en lettres faites de glace. Je remarquais alors que ma mauvaise habitude avait encore frappé et que certains membres de la guilde m’observaient avec le sourire aux lèvres si bien que je paniquais tout en me rhabillant rapidement:

_ Ah ! C’est encore arrivé… Désolé pour ça, ma magie c’est l’Ice Make, je peux créer tout ce que je veux à partir de la glace mais… j’ai besoin de réunir le froid alors j’enlève mes vêtements sans m’en rendre compte… Et toi, tu es mage aussi ? Whoa !


Tout en enchainant mes phrases avec le feu ardent aux joues, j’essayais de changer rapidement de sujet pour dissiper ma gêne. Sur le moment, je détestais ma magie qui m’obligeait très souvent à affronter ce genre de situations très embarrassantes, d’un autre côté, la magie de création n’avait pas d’autres limites que mon imagination, ce qui la rendait très attrayante. Sans compter qu’il s’agissait d’une des choses que mon père m’avait légué, je ne pouvais donc pas la détester au fond de moi. J’étais tellement pressé de me rhabiller que je tombais au moment de remettre le bas: précipitation et équilibre sur une jambe n’allaient pas de paire. Dans ma chute, j’essayais de m’accrocher à quelque chose et ce que j’avais saisi n’était autre chose que le tissu recouvrant l’épée de mon père. J’entendais un bruit métallique m’affirmant que l’arme était à la vue de tous tandis que j’étais sur les fesses avec un air ahuri suite à ma rencontre brutale avec le sol. Je me précipitais alors sur l’épée noire si spéciale pour vérifier qu’elle n’était pas abimée. Rien qu’en voyant mes gestes, on pouvait deviner que j’en prenais le plus grand soin, je la manipulais comme si elle était faite en cristal. Je soupirais de contentement en constatant qu’elle n’avait rien et je murmurais assez fort pour que Yue m’entende:

_ Heureusement, elle n’est pas cassée, papa m’aurait…


Je me stoppais net. J’allais dire qu’il allait me gronder mais il ne pouvais pas le faire, il ne le ferait plus jamais d’ailleurs. Penché sur l’arme, le petit brun ne pouvait pas voir les larmes me monter aux yeux, juste les deviner. Sauf que rien n’arrivait, je me devais d’être fort, pleurer de tristesse était synonyme de faiblesse ou d’abandon pour mon père, seules les larmes de joie ou de rage étaient autorisées. Me relevant doucement, je me tournais vers Yue avec l’arme en main, mon visage était toujours le même: fermé.

_ Voilà, je t’ai tout montré et toi aussi tu es mage ? Tu as quelle magie ?

Je devais oublier le passé et penser à mon présent et surtout à mon futur que j’avais déjà décidé, à moi d’y parvenir. J’attendais de voir quelle serait la réponse de Yue, ensuite peut-être devrais-je penser à mon intention première en entrant dans le bâtiment, à savoir devenir un membre de Fairy Tail.

Le problème lorsque l’on était Ice Maker, c’était qu’il fallait toujours se retrouver dans un endroit aux températures basses pour exploiter ses capacités à leur maximum. Du coup, mon père m’avait souvent répété que si je ne faisait pas corps avec la fraicheur, rien de bon ne sortirait de mes créations. En l’observant, j’avais fini par comprendre qu’il fallait s’habiller légèrement pour arriver au meilleur résultat. Inconsciemment, j’avais même pris le réflexe de me déshabiller dès que j’utilisais ma magie et bien évidemment, il fallait que cela arrive devant la personne qui allait devenir mon premier ami. Ce n’était plus de la gêne que j’éprouvais, mais une véritable honte envers moi-même, sans compter les regards et les gloussements que je pouvais entendre tout autour de moi. Néanmoins, un seul son me permettait d’oublier tout cela, un bruit métallique qui résonnait dans mes tympans telle une sentence à laquelle je ne pouvais pas échapper. L’épée de mon père était visible aux yeux de tous ! C’était quelque chose que j’avais fait en sorte d’éviter et l’incident tant craint arrivait finalement par ma faute. J’avais réagi au quart de tour pour me placer devant l’arme pour faire en sorte que personne ne puisse la voir et vérifier qu’elle n’avait rien. Le souvenir de mon père était encore trop présent en moi-même si je pensais avoir fait mon deuil depuis mon départ. Malheureusement, mon visage avait retrouvé ses traits durs et figés comme s’ils étaient faits de glace, j’allais encore devoir m’entraîner à sourire pour éviter que mes interlocuteurs pensent que j’étais toujours de mauvaise humeur.

Ce n’était que lorsque j’avais arrêté de penser à mon père que les mots de Yue parvinrent enfin à mon esprit. Il avait trouvé l’épée magnifique et son regard n’avait pas cette lueur d’avidité, par contre, je pouvais remarquer qu’il avait été absorbé par la contemplation de l’objet. Le style était très intrigant, des ailes d’anges et de démons étaient disposées sur l’arme à plusieurs endroits, comme si elle était la réunion entre la lumière et les ténèbres. Cela me faisait penser à la relation qui se formait entre Yue et moi, j’avais dit qu’il représentait la lumière tandis que j’étais les ténèbres. Du moins, à l’intérieur, parce que si l’on jetait un œil sur les magies, il en était autrement. En effet, j’avais demandé à Yue quelle était sa magie et il avait décidé de faire une démonstration lui aussi, toutefois, j’avais bien noté la perte de son sourire franc et bien évidemment, c’était ma faute… Il observait ses mains tout en réfléchissant et je me demandais ce qui lui passait par l’esprit, étais-je responsable de son hésitation ? Je n’en savais rien, mais si c’était le cas, il ne devait pas, il n’y avait aucune raison que sa magie me fasse quelque chose de mauvais, j’en étais persuadé.

_ Tu as dû peut-être voir mon étonnement quand tu as fait ta création de glace… Nous sommes décidément semblables à peu de choses près… Car… J’utilise les ténèbres.

Sa phrase levait des interrogations qui trouvaient rapidement une réponse quand il positionnait ses mains de la même manière que moi. Impossible ! Lui aussi était un utilisateur de la Zôken Mahô ? Une sphère entièrement noire fit son apparition, il la fit rebondir à plusieurs reprises avant qu’elle se volatilise. Ainsi donc, j’utilisais la glace et le petit brun les ténèbres… Comment un être aussi pur que lui pouvait manier un élément pareil ? En réalité, tout avait un sens, c’était justement parce qu’il était pur qu’il pouvait les manipuler sans crainte, si j’avais été à sa place, sans doute aurais-je été consumé par l’élément en question avant de me laisser tomber dans la vengeance et autres noires émotions. À ce moment présent, j’étais encore plus persuadé que Yue était un ange et je n’avais qu’une seule idée en tête: devenir plus fort pour le protéger à tout prix. Alors que j’étais plongé dans mes pensées, le petit brun m’attrapait de nouveau pour m’entrainer vers le comptoir, mais pourquoi faire ? Je n’avais plus faim ni soif et mon estomac n’avait pourtant plus manifesté son désir d’être rempli, ce qui faisait qu’il avait une idée derrière la tête et il éclairait ma lanterne en me signalant que si je ne voulais pas trainer pour devenir plus fort, il fallait que je sois intégré à la guilde en premier lieu. L’intégration… J’étais venu pour ça bien évidemment, mais j’avais l’impression que mes jambes étaient plus lourdes soudainement, en clair, je redoutais ce moment que je ne connaissais absolument pas. Quelles épreuves allais-je devoir affronter pour pouvoir être membre de la guilde ? J’avais peur, certes, mais en voyant le sourire de Yue et en repensant à ma promesse, je me remplissais de courage tandis que nous arrivions devant la barmaid.

_ J… je… j’aimerais intégrer la guilde, je suis prêt à passer toutes les épreuves s’il le faut.

La barmaid eut alors un sourire étrange, elle ne se moquait pas de moi, mais je sentais que j’avais dit quelque chose de ridicule si bien que je me taisais en attendant de voir la suite. Pensait-elle que j’étais incapable de relever le défi ? Non, ce n’était pas ça, Yue l’avait bien fait, elle devait se douter que j’en étais aussi capable. Elle m’annonça alors que la seule épreuve que j’aurais à passer serait de savoir où mettre mon tatouage de guilde et de quelle couleur je le voulais. Alors il n’y avait pas d’épreuves ? La guilde la plus puissante de Fiore, d’après ce que j’avais entendu, acceptait tous les membres quels qu’ils soient ? J’en étais vraiment surpris et je me demandais alors quoi répondre à la barmaid en ce qui concernait mon tatouage de guilde. Après un instant de réflexion, j’avais trouvé la réponse, mais j’avais une requête à formuler si bien que je me tournais vers le Dark Maker en rougissant soudainement:

_ Je le voudrais vert sur l’omoplate droit et… je… j’aimerais que tu le fasses, s’il-te-plait.


Je l’avais regardé dans les yeux pour poser ma question, mais dès que j’avais terminé, mes joues étaient tellement rouges et brulantes que je préférais détourner le regard. Je me retournais pour lui présenter mon dos avant de retirer ma veste afin qu’il puisse le faire. S’il ne voulait pas, ce n’était pas bien grave, tout ceci n’était qu’un caprice et j’avais vraiment honte de moi en ce moment. J’attendais dans cette position tout en essayant de voir du coin de l’œil si Yue allait s’avancer ou non…

Mais qu’est-ce qui m’avait pris de lui demander une chose pareille ?! Je n’étais plus un gamin pourtant, j’avais traversé plusieurs épreuves qui avaient fait de moi un homme à présent, néanmoins, je lui avais demandé quelque chose d’aussi enfantin: qu’il soit celui qui m’appose le tatouage de la guilde dont il faisait partie. J’avais parcouru une longue distance pour en être arrivé là, j’avais dû batailler pour parvenir à tracer mon chemin et finalement, j’étais à Fairy Tail sur le point de recevoir l’emblème tant convoité de la guilde. Si j’étais venu jusqu’ici, c’était pour devenir membre de la guilde la plus populaire et l’une des plus puissantes de Fiore ainsi, je pourrais grandir et gagner en puissance à leurs côtés. Pourtant, maintenant que j’y étais, j’avais fait une promesse à celui qui me permettait de réaliser son souhait, celui de progresser ensemble. En même temps, j’allais devoir ne pas trahir mon serment secret qui était de le protéger de tout ce qui était mauvais dans ce monde. Plus jamais les larmes ne couleraient sur son visage, plus jamais il ne se sentirait triste pour une raison quelconque, si jamais cela devait arriver, c’était que je n’étais pas encore assez puissant et dans ce cas, la faute serait mienne. J’eus soudainement un flash dans mon esprit. Je revoyais mon père en train de m’observer lorsque je m’entrainais, il avait la même tête, mais je parvenais à déchiffrer ce qu’il essayait de me cacher. Lui aussi s’était juré de faire mon bonheur, mais je n’avais pas compris à l’époque, je pensais juste qu’il ne m’aimait pas parce que Maman était morte par ma faute… c’était faux, entièrement, et l’absence de sourires sur mon visage avait dû être très dur pour lui. Je m’en voulais de ne pas avoir compris plus tôt ce que mon père faisait pour moi. Alors que je sentais quelque chose entrer en contact avec mon omoplate, je me répétais intérieurement le serment de protéger Yue et j’ajoutais le fait de toujours lui sourire afin qu’il ne s’inquiète pas pour moi.

_ Tu es officiellement un membre de la guilde des fées ! Félicitations Fubuki ! Je suis très heureux d’avoir fait ta rencontre !

Je remontais ma veste pour me rhabiller maintenant que la marque de la guilde était sur ma peau, heureux de l’avoir eue de la main du petit brun. J’étais vraiment comblé aujourd’hui, j’étais à présent membre de la guilde que je voulais intégrer, je m’étais fait un ami sur lequel j’étais certain de pouvoir compter et j’avais un but pour avancer dans la vie. Je ne pouvais pas rêver mieux pour commencer une nouvelle vie, une vie qui me permettrait d’oublier les mauvais moment de mon passé. Yue avait toujours ce magnifique sourire sur le visage, à croire qu’il ne le perdait pas souvent et, comme pour symboliser ce nouveau départ, je souriais de la même manière pour lui répondre:

_ Merci ! Moi aussi, je suis heureux de te connaître, devenons le meilleur duo de Makers de tout Fiore.