LE SAVOIR, C'EST LE POUVOIR.

La pratique n’exemptait pas d’avoir un minimum de théorie.


Arric savait qu’engranger des informations lui serait d’une aide précieuse. Et les notes les plus détaillées se trouvaient généralement dans des livres. Il fallait donc se rendre au seul endroit qui contenait ce qu’Arric recherchait : la Bibliothèque de Magie ! Presque tous les ouvrages du monde de Fiore étaient réunis et compilés dans cet espace sacré et vénéré par les Mages. L’ensemble du savoir intégralement placé dans ce lieu exaltait une aura de sagesse et de respect à tous les visiteurs et lecteurs présents ici. Toutefois, quiconque ne se comportait pas correctement au sein de la bibliothèque se voyait contraint de quitter le bâtiment ou d’être arrêté par les patrouilles aléatoires des Chevaliers Runiques, qui effectuaient des rondes sans aucun programme organisé à l’avance, surveillant au feeling, sans planification. Enfin, c’est ce que disaient les rumeurs. Les croirait-elle ? Arric n’y pensait pas pour le moment, ceci ne faisant pas partie de ses priorités. Une fois arrivée, la jeune fille demanda l’autorisation d’entrer, qui lui fut accordée après authentification de son identité et de son statut de Mage Officielle, puisqu’il existait des Guildes Noires qui troublaient l’ordre publique et qui s’amusaient à commettre les pires ignominies. Cette formalité administrative achevée, Arric dépassa l’accueil et s’inséra enfin dans la bibliothèque, qui pour le coup, se révélait immense de l’intérieur. Escaliers nombreux, omniprésence d’étagères remplies de livres en tout genre, des lecteurs par-ci par-là, quelques gardes en armures et des indications éparses. Personne n'avait le temps de s'ennuyer ni de temps à gaspiller, qu'il (le temps) soit dépensé en recherche de livres ou en lecture d'ouvrages.


En bref, un sanctuaire multicolore (grâce aux couvertures des livres) et silencieux (le bruit est interdit), une sorte de havre de paix destiné à la méditation et au bien-être des chercheurs, dont la Mage de glace était adepte d’une certaine manière, au travers de l’enseignement apporté via Mandus. De plus, la demoiselle aimait assouvir ce vilain défaut qu’était la curiosité. S’isoler tel un rat de bibliothèque pouvait parfois apparaître comme un moment de détente propice au repos et/ou à la réflexion. En outre, le livre tant convoité se trouvait certainement dans une des sections proches. Il s’agissait d’un bestiaire répertoriant les créatures et animaux recensées sur Fiore. N’ayant pas encore découvert l’ouvrage, Arric ne savait rien de sa composition, s’il contenait un ordre alphabétique, un sommaire, un index, et d’autres formes de classifications. Au fur et à mesure de son ascension, différents chemins se présentaient à la jeune fille, ainsi que d’innombrables rayonnages de bouquin, brouillant quelque peu la piste du bestiaire. Afin d’espérer obtenir un résultat concret et concluant, la Mage de glace suivit la direction d’un panneau notifié « faune et flore de Fiore » en caractères lisibles et lyriques. Arric aperçut une porte et s’y dirigea avant de l’ouvrir précautionneusement et de tomber sur une personne, à environ cinq mètres droit devant, assise et de dos, visiblement la silhouette d’un homme, peut-être en train de lire. Partagée entre l’idée de s’excuser puis de partir ou d’oser lui demander des renseignements, la jeune fille opta pour une combinaison des deux formules en incluant la politesse et l’interrogation à la fois.


- Excusez-moi de vous déranger, monsieur, mais vous serait-il possible de m’indiquer l’endroit du livre intitulé « le bestiaire » ? Vous seriez bien aimable ~


Elle souriait un peu tout en approchant petit à petit d’un pas tranquille, parlant à voix raisonnable et audible dans le but d’atteindre l’individu concerné avec ses paroles.


Le lecteur inconnu l’informerait sûrement au sujet de sa requête.

CHÂTEAU DE LIVRES.

Ce sauveur raviva la flamme de l’espoir chez Arric !


Joie et allégresse habitaient la demoiselle face à l’intervention du gentil monsieur qui chercha, regroupa et tendit les livres en direction de la mage des glaces. Face à sa compréhension, elle fut touchée par l’amabilité dont fit preuve cet inconnu sans nul doute plus âgé qu’elle, et plus grand aussi. Avec un cœur gros comme ça. Il avait pris la peine de bouger du lieu de sa lecture en se levant , de sélectionner certaines œuvres abordant le sujet des recherches entreprises par Arric, c’est-à-dire le bestiaire de Fiore, de ramasser les livres tombés involontairement au sol, et, enfin, de donner le tas de bouquins utiles à la concernée afin d’avancer dans sa quête d’apprentissage à travers la littérature et l’engrangement de connaissances sur les thèmes ciblés. Elle fut vraiment ravie d’avoir décidé de tourner à l’angle et de rentrer dans cette pièce avec le souhait intérieur d’y acquérir ce qu’elle désirait se procurer sans devoir prendre davantage de temps et d’effort. Si Arric utilisait autant d’acharnement dans cette bibliothèque qu’avec sa future tenue de duel, la demoiselle ne s’en sortirait que difficilement, ou dans le pire des cas, jamais. D’un autre côté, la comparaison se révélait peut-être inappropriée. Chercher un/des ouvrage(s) papier(s) dans une bibliothèque était une chose, chercher dans Fiore un ensemble vestimentaire adapté aux exigences du porteur et servant au combat en était une autre. Quoi qu’il en soit, Arric réfléchissait plus en profondeur et supposa que l’homme en face d’elle pouvait très bien cacher son jeu et s’avérer être hautement irritable lorsqu’on le dérangeait dans sa tâche, se rendant sympathique à travers ses paroles et ses actes juste par principe et dans le but de rapidement rendre l’élément perturbateur, que constituait Arric, moins agaçant pour lui, évitant ainsi de laisser la colère prendre le dessus et de péter un câble. La mage de glace préférait tempérer les risques hypothétiquement engendrés par un tel comportement.

Sans perdre un instant, Arric s’empara des livres avec délicatesse mais sans pour autant faire languir le détenteur desdites volumes intéressant la demoiselle, sachant qu’il ne tiendrait peut-être pas longtemps vu le poids total porté. Elle regarda, par curiosité, quels titres l’homme transmit à son interlocutrice, les empilant habilement l’un sur l’autre en apercevant un à un les quatre intitulés. « Le Bestiaire pour les Nuls », orienté vers les débutants ignorants qui ne possédaient même pas de bases solides au niveau des créatures de Fiore. « Le Bestiaire agraire », se rapportant aux exploitations des animaux domesticables à des fins agricoles et industrielles, révoltant Arric au vue de certaines conditions d’existence attribuées envers ces pauvres bêtes. « Le P’tit Bestiaire », apparemment un livre poétique trahit par sa couverture soignée et expressive. Enfin, « le Bestiaire Élémentaire», développant les informations pour la généralité commune des individus, tels les étudiants ou les adolescents.


A la déclaration de l’inconnu, elle regarda un petit moment ailleurs avant de prendre une grande inspiration et de lui demander.


- Vous allez sûrement me trouver insolente ou casse-pied, mais voulez-vous bien que je m’assoie à votre table ? J'ai beaucoup peiné pour avoir enfin rejoint l'objet de mes convoitises, et j'avoue que votre aide m'a sorti du pétrin dans lequel j'ai failli m'enliser. De plus, de la compagnie serait davantage appréciable que rester seule dans un si immense endroit où j'ai déambulé comme une dératée, par ailleurs vous êtes si attentionné que votre présence me rassurerait et estomperait mes craintes ~


Allait-il accepter ? Elle espérait que oui. Allait-il refuser ? Elle souhaitait que non.


S'isoler à une table, solitaire, ne la ravirait pas du tout.

PRUDENCE EST MÈRE DE SÛRETÉ.

La question de l’inconnu fut à prendre avec des pincettes.


En effet, elle pouvait amener plusieurs interprétations à cette interrogation : l’homme demandait-il cela sérieusement, en toute connaissance de cause ? Tournait-il la situation en dérision, insérant subtilement l’ironie et la moquerie en guise de révélations sous-entendues sur les intentions claires et nettes du garçon en face d’Arric ? Exprimait-il sa surprise générale en réponse à la requête de la mage des glaces ? Ou alors, dernière hypothèse, changeait-il de sujet afin de ne pas s’éterniser sur le débat de rester à deux sur la même table puis lire ensemble ? Arric devait s’attendre à ce que son interlocuteur déteste la compagnie mais gardait un comportement digne d’un individu politiquement correct et doté d’un sang-froid illusoire. La prudence prévalait sur tout et, que ce fut une terrible erreur ou, au contraire, son salut le plus certain, elle préféra renoncer à ce souhait. Reculer et éviter un hypothétique conflit valait mieux qu’un risque de gradation des tensions l’un l’autre dans un établissement si étroitement surveillée et régulièrement parcouru de gardes, de lecteurs ou de chercheurs. Enfreindre les règles ne correspondait aucunement aux désirs d’Arric, et se tenir à carreau paraissait être la meilleure solution du moment, empêchant ainsi qu’une dispute n’éclate pour une futile histoire de partenariat entre lui et elle. Chercher la petite bête n’amènerait que davantage d’ennuis superflus.


- Heu… à bien y réfléchir, je vais… plutôt vous laisser tranquille. Je… me suis maladroitement adressée à vous, de manière directe et malpolie. Ce n’est pas correct. Donc… je vais vous aider à ranger et… j’irais rejoindre la table aimablement indiquée par vous.


Sans traîner, la demoiselle s’accroupit et rassembla les livres ramassés au sol, tombés par sa faute suite à son intervention impromptue, qui déstabilisa le jeune homme après son prélèvement de livres destinés à Arric. Ne jetant plus un seul regard vers lui, elle se contenta juste d’empiler les livres et de les ranger aux emplacements indiqués. Evidemment, la mage de glace avait auparavant posée les quatre volumes qui l’intéressaient par terre délicatement, en vue de s’en saisir plus tard, une fois la tâche de rangement accomplie. Ceci terminé, Arric porta une seconde fois les livres concernant le bestiaire et s’inclina respectueusement devant l’inconnu.


- Encore désolée pour mon incivilité, monsieur. Veuillez m’excuser… bonne lecture.


La duelliste, navrée, se retourna prestement et se dirigea rapidement vers la table libre. Elle s’y installa en se mettant le plus à l’aise possible. Tenant la pile de bouquins positionnés les uns sur les autres, Arric comptait choisir au hasard le premier ouvrage à lire. Problème réglé sans difficultés : elle attendit la prochaine patrouille de Chevaliers Runiques qui déboulerait dans les parages. A peine une minute suffit à décider des probabilités du tirage au sort.


3 soldats en armure. Sélection, donc, du « P’tit Bestiaire ».


La couverture du recueil de poèmes arborait une très belle présentation dessinée, enjolivant l’aspect artistique du livre. De plus, chaque texte se voyait expliqué grâce à un résumé concis permettant une compréhension simplifiée du style poétique employé. Loin de détester ça, Arric se retrouvait transportée via cette lecture, dévorant les pages une à une. La lassitude ne parvenait pas à percer un quelconque chemin sur le moral de la mage, telle une arme tentant vraiment de traverser un mur de glace impénétrable, ou comme le remarquable succès de sa volonté sur Nora de Sabertooth, lors de l’indésirable rencontre faite dans une des tavernes de Crocus. Toutefois, elle y fit la connaissance de Ryuki Emil, point positif de l’affaire. Cependant, revenant dans le temps présent, Arric constatait que ce livre exerçait véritablement une sensation irrépressible d’admiration envers les auteurs ayant participés collectivement à la création de cette œuvre.


La combattante aux cheveux argentés plongeait volontiers dans un monde nouveau.

ENTRE ILLUSTRE CLOWN ET VEDETTES À PATTES.

Ce livre passionna Arric au-delà de ses espérances.


Non qu’elle avait déjà fini de le lire, conservant quelques alléchants passages poétiques pour plus tard, mais la demoiselle se devait de consulter les trois autres ouvrages, au moins l’un d’entre eux afin de rester dans le rythme. Elle recouru à la même méthode de sélection aléatoire, datant d’une demi-heure environ.


Un Chevalier Runique pénétra dans son champ de vision. Arric choisit donc le "Bestiaire Élémentaire".


Feuilletant, par curiosité, les pages pour se faire une idée du bouquin, la mage des glaces tomba sur certaines illustrations qui complétaient les annotations mises en marge et/ou les paragraphes associés à la faune recensée. Des croquis, souvent précis, concernaient les bêtes connues et/ou longuement étudiées par les chercheurs de Fiore, contrairement à d’autres animaux, qui se voyaient gratifiés d’esquisses sommaires palliant au manque, parfois évident, de détails sur le sujet. Chaque créature, quelle qu’elle soit, fut compartimentée dans cet imposant volume, situé entre les mains d’Arric actuellement. Ce registre papier informait le lecteur à différents niveaux et sur des thèmes prédéfinis. Le plus couramment, la mage des glaces apercevait les catégories suivantes : la physionomie du monstre, avec le gabarit, la taille, le poids et le diamètre ; les zones géographiques d’occupation, comportant les habitats naturels et les emplacements généralement investis par lesdites monstres ; les caractéristiques propres aux espèces, tel que les modes de socialisation, de reproduction, de confrontation, de domination, etc ; les habitudes alimentaires et comportementales, incluant la psychologie et mode d’existence ; la reconnaissance des éléments physiques trahissant l’apparence des gens, permettant la distinction entre le sexe mâle et femelle ; le contact avec les formes de vie alentour, décrivant les approches selon les rencontres (Humains, prédateurs, proies, amicaux, hostiles, etc) ; la notion de charme et de relation, décryptant les étapes de séduction, de couple et de procréation ; l’éducation des petits, de la naissance jusqu’à leur maturité pour se débrouiller sans parents ou proches ; les indications facilitant la prise en main des monstres (points forts et faibles, tactiques d’intimidation et de combat, etc) ; les récits et légendes qui leurs sont attribuées, et également beaucoup d’autres critères pris en compte. Réussie et attrayante, cette classification traduisait une volonté d’enrichissement culturel et scientifique personnels, à la fois de manière simple et ordonnée, mais également de façon intègre et véridique, les auteurs ayant développés ce tome grâce à leur savoir récolté à chaud sur le terrain, la mémoire s’étant occupée de préserver l’information pour finalement atterrir dans ce livre, couchée sur feuille avec l’encre et/ou les crayons effaçables à la gomme, ou plus rarement avec du fusain.


Un travail remarquable fait par des individus de génie. L’inconnu qui proposait une pause à Arric était-il un génie ?


D’une autre sorte alors, puisqu’il gigotait partout en écrivant sur un tableau noir des notes que seul cette extravagante personne comprenait. Sûrement du jargon de professeur. Là où la majorité des spectateurs verrait des mots et des calculs compliqués sans queue ni tête indéchiffrables, les semblables du "surdoué" manifesteraient leur joie en claquant des mains et en dansant sur la table devant un constat si prodigieux et limpide, comme une eau de roche montagneuse ou un cristal pur sans défauts. Arric s’imaginait, avec un sourire amusé en coin, la scène hilarante des scientifiques applaudissant sans retenu face à une découverte jugée exceptionnelle. Il ne manquerait plus qu’un orchestre ne s’incruste et effectue un tintamarre pour souligner ce résultat probant ! Un extraordinaire brouhaha non indispensable pour une conclusion inutile, pire que le bruit assourdissant d’une foire à son apogée. Même des ultrasons paraîtraient plutôt comme une douce mélodie aux oreilles d’autrui, c’est dire à quel point autant de vacarme ne servirait à rien et s’avèrerait superflu. Bon, heureusement pour la demoiselle, cet état de fait ne prenait pied et racine que dans son imagination, restreignant la scène à son esprit, cloisonnée entre plusieurs murs et incapable d’exposition instantanée dans le monde réel. Il serait tout à fait glauque et inapproprié qu’une telle situation ne sorte de la tête de quelqu’un et ne fasse irruption dans la vraie vie, déclenchant un sentiment incontrôlé (panique, choc, peur, émerveillement, surprise, etc) au sein de la foule.


Pour l’heure, ils étaient juste deux. Et en phase d’aller prendre du repos. Proposition à laquelle Arric acquiesça en hochant positivement du visage et en lui souriant finement.


- Pourquoi pas. Après tout, s’aérer le crâne est essentiel ~


Une vérité qui poussa la mage des glaces à se lever et à accompagner l’homme.

PLAISANTE DISTRACTION.

Quel talent pour passer le temps.


- Enchanté, monsieur Darwin. Je me présente : Arric Jesmetine, mage. Je ne suis qu’une simple lectrice ici, en quête de savoir à ma portée ~


L’homme s’appelait donc Darwin, et étudiait l’évolution qui plus est. Attention à ne surtout pas le contrarier avec d’éventuelles piques d’humour ironique. S’engager sur ce terrain, bien que propice à la moquerie, ne reviendrait qu’à envenimer la situation et attiser la colère de l’interlocuteur. Malgré tout, Arric s’insurgeait, persuadée que la science ne dirigeait et/ou n’arrangeait pas tout. Preuve en était que ses yeux et ses cheveux, deux tares génétiques, persistaient sans changer. Evolution ? La belle affaire ! L’esprit, la pensée, la perception, la magie, ces choses évoluent, c’est incontestable. Mais dire que l’Humain progressait dans tous les domaines ET que les espèces animales s’adaptaient toujours grâce à une évolution logique et inévitables, restaient respectivement un odieux mensonge et une grosse insanité. A cela, la mage se révoltait corps et âme. Rien n’était inéluctable et aucun destin n’était tout tracé. Par ailleurs, les animaux détenaient plus de mérite que les Hommes, c’est pourquoi Arric les admiraient et les aimaient beaucoup plus que les semblables auxquels elle appartenait, sans forcément l’avoir désiré au départ, ayant préféré d’être une congénère des animaux à l’arrivée. Se trouvait devant elle, maintenant, une sorte de bête de foire proposant une attraction de réflexion pour que l’ennui ne les atteignent pas et inciter au fonctionnement des neurones.


Qu’à cela ne tienne.


Exercice instructif, en somme. Encore fallait-il qu’il devienne amusant pour être attrayant. L’idée d’une composition en deux étapes rajoutait de la difficulté, en plus d’obliger les joueurs à user de leur matière grise et de leur maîtrise gestuelle pour le mime, de leur intelligence dans le but d’imaginer des énigmes, et de leur sens du concret afin de faciliter la compréhension du dessin. Dans les trois cas, faire abstraction du superflu se révélait essentiel, évitant ainsi de brouiller les pistes et/ou d’amener la confusion chez l’autre joueur, qui risquerait de prendre ces fautes involontaires pour de l’authentique tentative de tricherie avérée. Quoiqu’Arric ait des doutes sur la probabilité que ce "Darwin" ne s’en sorte pas bien à ce jeu. Il le proposait de lui-même, se targuait en sous-entendant d’être un soi-disant éminent chercheur sur l’évolution, et expliquait les règles sans souci. Autant dire qu’il partait gagnant d’avance dans la meilleure des hypothèses ; et dans le pire des scénarios, il possédait malgré tout quelques avantages, au vu du nombre de livres lus et de ses notes scientifiques. Quant à ses agissements comportementaux, ils reflétaient effectivement un côté égocentrique. Un sentiment de supériorité l’envahissait peut-être. Un regard condescendant ou charmeur accompagnait le tout, la mage n’aurait sur choisir entre les deux, et elle ne cherchait pas connaître ses intentions cachées.


Qu’elles le restent.


Les règles, simples et rapides, furent assimilées sans problème. Arric hocha la tête en signe de réponse positive pour la paire de question venant de Darwin. Sans attendre d’approbation, car il y a un respect qui fait auprès des filles, elle commença la première manche en piochant finalement une carte au hasard dans la poubelle de gauche, tirant celle d’un bipède aperçu à la fois dans le « P’tit Bestiaire » et le "Bestiaire Élémentaire". Arric patienta jusqu’à ce que son "adversaire" indique le moyen imposé avant de tenter de faire deviner. Il sortit le papier avec le mot « mime » inscrit dessus, noté à la hâte par Darwin. S’ensuivit donc une série de mouvements destinés à trahir la créature sur la carte. Ridicule mais… étonnamment drôle. Vraiment hilarant de jouer à ça avec Darwin.


Le fun l’emportait sur la gêne du malaise.

ENTRE LE RÊVE ET LE RÉEL.

Le suspense était à son comble.


Arric tira un papier, qui déclarait qu’il devrait dessiner la créature à faire identifier envers la demoiselle.


Durant le temps où l’homme due exercer la maîtrise du crayonnage sur du papier, la mage des glaces se remémora un souvenir de sa jeunesse passée, revenant au moins une dizaine d’années en arrière. Arric, petite fille à cette époque, accompagnait son maître de magie aux archives magiques locales de Shirotsume, afin d’en apprendre davantage sur cet art. Cet homme s’appelait Beltrand Jarus. Et il avait, hélas, perdu son fils dans un incendie apparemment accidentel, même si des doutes existaient.


« Ils n’allèrent pas bien loin puisqu’ils se dirigeaient vers la grande bibliothèque. Il y était déjà venu, il y a fort longtemps, lorsqu’il vivait et étudiait dans cette cité. En en franchissant le seuil en compagnie de l’un des archivistes et d’Arric, ils sentirent l’air des lieux les effleurer avant de s’effacer. Des années plus tôt, Beltrand avait lancé un sort de reconnaissance pour pouvoir y pénétrer en toute sécurité. Apparemment, les sceaux de la pièce ne l’avaient pas oublié.


Le bibliothécaire les laissa seuls, comme le maître l’avait requis, pour compulser les ouvrages. A l’instar d’un autre libraire, celui-ci regardait Beltrand avec tristesse et compassion, connaissant son deuil à propos du fils perdu. L’enseignant ne voulait pas de cette commisération. En revanche, il ne se refusait pas à l’exploiter. Cette demande de solitude dans ce vaste entrepôt d’ouvrages et de parchemins n’avait cependant rien à voir avec son prétendu désir de quiétude et de réflexion.


Lorsqu’il n’entendit plus ses bruits de pas et fut sûr d’être seul avec Arric, Beltrand se tourna vers les livres. Cela relevait d’un travail de titan, à n’en point douter. La pièce était monumentale et remplie d’étagères qui s’élevaient jusqu’au plafond. Bien évidemment, ce n’était rien en comparaison de la Grande Bibliothèque de Magie, établissement le plus imposant en matière de littérature magique. Beltrand connaissait assez bien les lieux pour savoir qu’aucune organisation réelle n’y régnait ici. Le désordre et les méthodes de rangements illogiques se révélaient plus efficaces que la magie quand il s’agissait de confondre de simples voleurs.


Le maître remua vivement la main droite et une modeste lueur apparut au bout de ses doigts, qu’il pressa contre sa tempe quelques instants. Puis il tendit la main et le pâle éclat violet s’en échappa tel un minuscule filament brumeux, avant de s’élever jusqu’à l’étagère la plus haute. Pendant que Beltrand examinait certains livres ou lisait les étiquettes de parchemins, la brume arcanique se mit à chercher autre chose. En parallèle, Arric contemplait les différentes actions successivement effectuées, avec une admiration non dissimulée face à l’utilisation, simple mais utile, de cette magie.


Le temps passa. Beltrand trouva de nombreux tomes qu’il aurait parcourus, jadis, avec grand plaisir, mais qui aujourd’hui ne trouvaient aucune grâce à ses yeux. Il n’avait qu’un objectif en tête et enchaînait les titres, qu’il mettait systématiquement de côté. Mais il était à Shirotsume, il se trouvait forcément là. Quant à Arric, elle prenait satisfaction de parcourir quelques-uns des livres récupérés.


Il aperçut soudain un éclat lumineux du coin de l’œil et tourna la tête en souriant. La petite brume arcanique avait rempli sa mission et trouvé quelque chose sur une étagère où figuraient certains des ouvrages les plus rares de la pièce, mais aussi les plus dangereux, ceux que l’on protégeait soigneusement au moyen de sceaux magiques. Y compris ceux qui n’étaient pas visibles.
Beltrand en parcourut rapidement les titres : "Rêves de dragons" ; "La véritable histoire de Scoopy" ; "Mort, non-mort et entre deux" ; "Ce que savaient les Mages dans l’Ancien Temps"…


"Du sixième élément : Méthodes additionnelles d’accroissement et de manipulation arcaniques".


Il posa doucement la main sur la tranche de ce dernier livre et eut l’impression de toucher un être vivant. L’ouvrage… frémissait quasiment au contact de ses doigts inquisiteurs du maître de magie. Il le sortit de l’étagère et il se mit aussitôt à briller d’une lueur pourpre tandis que les sceaux de protection bourdonnaient. Le souffle coupé, Beltrand manqua de lâcher l’ouvrage lorsqu’une fumée se transforma en une image violette.


Le visage sévère de Beltrand, son propre visage, l’observait, comme pour le mettre en garde.


- Ce tome n’est pas destiné aux mains indolentes, ni aux regards indiscrets, fit la voix identique au porteur originel, mais avec un ton de mise en garde. L’information ne saurait être perdue. Mais il faut s’en servir avec prudence. Retirez votre main, mon ami(e), ou poursuivez… si vous connaissez la voie.


Le maître de magie se mordit la lèvre quand la réplique de son visage s’évanouit. Tout mage qui déposait un livre dans la bibliothèque y apposait son sceau de protection personnel. Cela signifiait que Beltrand l’avait découvert, probablement avant la naissance d’Arric, et l’avait consigné sur cette étagère. A en croire la poussière, nul n’y avait touché depuis. Fallait-il y voir un signe ? Fallait-il comprendre qu’il était censé le retrouver à nouveau, après tant de temps ?


Le livre brillait toujours. Il ne connaissait pas les mots nécessaires pour l’ouvrir sans peine, et dut se tourner vers une méthode moins agréable, vu qu’il avait scellé son propre livre sans possibilités conventionnelles de le briser sympathiquement. Il pouvait forcer le sceau, mais allait devoir agir rapidement pour ne pas déclencher d’alarme magique. Il s’assit sur l’une des chaises les plus confortables et posa l’ouvrage sur ses genoux. Arric le rejoignit juste à côté, en se postant sur un siège à proximité, et le regarda faire sans broncher ni l’interroger, mais avec une certaine crainte. Puis Beltrand inspira profondément et fit le vide dans son esprit, avant de scruter sa main droite et de chuchoter une incantation de fracassement. Sa main se mit brusquement à briller d’une envie lueur violette.


Ensuite, il leva la main gauche et se concentra. Sa main commença à disparaître sous ses yeux et seule une pâle lueur pourpre en dessinait les contours. Cela pouvait marcher, sous réserve qu’elle se montre très rapide. Il prit une nouvelle inspiration, puis posa la main droite sur l’ouvrage.


- Brise-toi.


La lueur pourpre se dégageant de sa main se mit à danser et s’abattit sur le livre, telle la foudre. Il la sentit briser le sceau magique, sa propre œuvre placée sur l’objet, la sentit… le blesser en l’obligeant à s’ouvrir. Arric observa sans même oser ciller, tout comme son professeur de magie. Au moment où le crépitement pourpre commença à s’estomper, Beltrand abattit sa main gauche sur le grimoire.


- Silence.


Un champ blanc éblouissant apparut et enveloppa le livre pour réduire au silence son cri magique. Lentement, les lueurs des deux mains s’évanouirent, et la gauche redevint progressivement visible.


Il avait réussi.


Beltrand se mit à parcourir l’ouvrage, rapidement, mais manipula minutieusement ce tome à l’aspect très ancien. Il y vit toutes sortes d’illustrations d’objets magiques qu’il reconnut. Tout laissait penser que les ravages du temps avaient fait disparaître bien des choses, et...
Là. L’objet qu’il recherchait. Le maître entama sa lecture, en faisant l’impasse sur des détails fascinants mais inutiles, comme le processus de création de cet objet et les divers usages possibles qui peuvent s’ensuivre. Il se moquait bien du reste, voulant simplement savoir ce qu’il pouvait en faire désormais. Il porta son attention sur le milieux d'une page intéressante.


"… amplification. Toutes les injonctions arcaniques seront accrues par un bon usage directionnel de l’objet. En gardant à l’esprit cette théorie de l’auteur selon laquelle l’arcane est un élément en soi, il affirme humblement qu’en une occasion circonstanciée au moins, l’objet a été utilisé pour asservir, manipuler et contrôler, ainsi qu’à servir de bombe magique efficace."


Beltrand se sentit prit d’un léger vertige. Il se leva et lança des regards en tous sens pour s’assurer qu’il était bien seul dans la grande pièce, excepté Arric. Puis il enroula précautionneusement sa cape autour de l’ouvrage et comptait se diriger vers la porte d’un pas rapide avant descendre l’escalier e. Il ne lui resterait plus qu’une visite à faire en ville avant de partir pour ce qui ressemblerait bien à une entreprise de vengeance solitaire. Mais quelque chose l’empêcha d’aller plus loin dans ses projets.


Arric tenait, tendrement mais fermement, la main libre de son maître. Son regard exprimait plusieurs émotions à l’encontre du professeur. Dans l’esprit de Beltrand, l’incendie ne put être que criminel, et il souhaitait retrouver les responsables par détections, puis prendre sa revanche sur eux en les trucidant par l’utilisation d’une importante force magique. Mais les conséquences seraient fatales. L’homme perdrait son humanité à moitié ébréchée, il tuerait des gens par pure colère et éventuellement des civils innocents en guise de dégâts collatéraux. Cela ne pouvait arriver. Jamais. Tant qu’elle vivrait, la petite fille ne laisserait pas la haine envahir son maître et ne le laisserait pas faire des actes inconsidérés, fomentés par la folie. Quiconque ayant du bon sens devait réagir ainsi.


Beltrand fixa intensément son élève, prenant quasiment une minute entière à peser le pour et le contre. Finissant par sourire un peu, il se mit silencieusement sur un genou et embrassa le front de la demoiselle, n’ayant besoin d’aucunes paroles pour comprendre qu’il allait commettre une terrible erreur à cause d’un jugement hâtif. Sans perdre de temps, il renvoya magiquement son ouvrage dans le rangement d’origine, tout en haut de son étagère respective. Il remercia par la suite son apprentie pour sa clairvoyance, et sortit de la bibliothèque en lui tenant la main de nouveau, apaisé et soulagé. Les deux mages, l’un confirmé et l’autre en formation, souriaient tout en revenant dehors, sous un ciel bleu et éclairé par le soleil. Visiblement, le climat changea, coïncidence ( ?), avec leur humeur. »


Revenant dans le monde du présent par des clignements d’yeux, Arric revoyait une fois encore l’homme un peu plus mûr qu’elle, juste en face, la table montrant une feuille de papier sur laquelle figurait un dessin plutôt réussi. Les yeux argentés de l’adversaire, confrontés à ses propres améthystes violets, se rencontrèrent presque autant que Beltrand et elle par le passé. Affichant un sourire de sympathie et poli, la mage des glaces revint se concentrer sur la manche du fameux jeu et, en quelques lignes, décrivit rapidement la créature représentée, sans pour autant arriver à étaler de connaissances précises, comme parvint à faire Darwin à la séance précédente, pour révéler le bipède.


Se demandant si elle avait répondu correctement à son interlocuteur, Arric patientait en attendant le résultat. Il est possible que sa rêverie troublait la solution à l’épreuve, et que ce fut une mauvaise réponse.


Au concurrent de décider.

DERNIÈRE CHANCE.

La mage des glaces allait-elle gagner ce petit divertissement épatant ?


En tout cas, Arric se rapprochait de la victoire. Elle n’en était plus qu’à un pas, grâce à cette manche supplémentaire empochée d'un revers de fortune, en donnant la réponse correcte sur un coup de tête, à cause d’une rêvasserie qui l’avait distraite. Contemplant l’admirable travail de Darwin, qui prit à son auteur une bonne vingtaine de minutes d’exécution sans qu’Arric ne s’en rende compte, elle reconnut une patte de maître dans ces coups de crayon, qui donnèrent, au final, un résultat des plus époustouflants. On aurait même pu croire que les yeux de l’Anubis fixaient l’épéiste sans relâche. Pire encore, que ce terrible guerrier s’apprêtait à sortir de la feuille et qu’il réservait, à son admirateur, un destin bien funeste.


Le chercheur annonça son verdict : Arric remportait cette seconde session de jeu. Il ne lui en manquait plus qu’une troisième et dernière afin de parvenir en première place du podium. Cette idée grisante la fit frissonner d’excitation, touchée par l’appât du succès, le regard du scientifique abondant dans son sens, l’incitant à continuer jusqu’au bout. C’est avec un sourire, qui en disait long sur les louanges du chef-d’œuvre que venait de terminer l’éminent homme, sans avoir besoin de le féliciter oralement, qu’Arric hocha la tête, prête à poursuivre, ou conclure dans le meilleur des cas, cette source d’amusement.


"L’adversaire" fouilla au fond du panier adéquat, piocha au milieu dudit contenu et tira un papier avec l’inscription "énigme" marquée dessus. La finesse devrait donc être de mise lors de ce round. Il ne s’agissait plus de gesticuler n’importe comment, ou coucher sur support le fruit de son labeur dans le but de déterminer la créature désignée. Pour ce tour ci, il était nécessaire de jouer avec l’esprit, jongler entre le chaud et le froid, insérer des indices dans la narration sans trop en dire, et faire appel à une réflexion plus ou moins poussée selon la difficulté de la devinette. En se rappelant d’un poème concernant une bestiole « coup de cœur » bien particulière, sans pour autant plagier le texte évoqué, et en imprégnant son image en tête, Arric balança, face à son concurrent, quatre phrases distinctes, inspirées de son imagination et en concordance avec le comportement de l’individu tiré de la faune du bestiaire.


Décortiquant, à la manière d’une dissertation, ce que signifiaient ces passages lyriques, Arric retenait dans son cerveau les pistes laissées à Darwin : la première ligne impliquait que la créature tourne d’une quelconque façon, utilisant justement le même procédé qu’une roue.


La seconde citation faisait comprendre que le monstre en question ne contrôlait pas forcément ses pulsions, et que cela l’entraînait à parcourir les régions disparates de Fiore sans se soucier, peut-être, de ce qui se trouvait sur son chemin, ni des conséquences générées par ces manœuvres. Donc, afin d’éviter cela, il devait sûrement posséder une excellente protection, à l’instar d’une armure ou d’une carapace.


La troisième rangée trahissait le fait que ladite bête fonçait rapidement vers quelque chose. Le destin est souvent perçu et traduit comme grandiose (exemple : l’immortalité) ou tragique (exemple : la mort). Mais dans ce cadre-là, il s’agit simplement de quelque chose : une personne, un lieu, un congénère, etc ? Les possibilités étaient infinies !


Quant à la quatrième expression, c’était une vision émotionnelle du sujet, c’est-à-dire sa réaction devant son but : exprimait-il de la joie, de la gaieté ou, à l’inverse, de la colère, de la provocation, illustrées chacune par un sourire tantôt content ou féroce ?


Libre à celui qui devait résoudre ce problème intellectuel, à savoir monsieur Wenham.


Il s’avérait effectivement assez simple de reconnaître un... Gardons la surprise ~

LA SUITE AU PROCHAINE ÉPISODE !

Le chercheur venait de donner la bonne réponse dès la première tentative.


Congratulant l’homme pour son triomphe, Arric souriait et confirma que ce fut bien la solution attendue. Terminant le chouette petit jeu par une consécration à trois pour elle contre zéro pour lui, la mage des glaces se permit de demander plus de précisions, venant du scientifique, sur d’autres sujets, notamment ses auteurs personnellement préférés, ou encore des philosophes d’antan.


Il lui exposa, pendant à peu près deux heures suivant la fin du jeu, son propre avis sur un visionnaire de génie.


Darwin Wenham se rappela avoir lu les aphorismes de Caran Beomot, un philosophe ayant officié à la cour de l’un des autarques d’une région de Fiore. Caran avait pris fait et cause pour les mystiques, et pour la façon dont il exagérait des vérités qui existaient réellement. Selon sa définition, une personne extatique ne pouvait pas exagérer une vérité imparfaite. Il avait encore défendu de tels individus en affirmant : "clamer qu’un homme est fou parce qu’il a vu des fantômes, c’est lui nier sa dignité, puisqu’il ne peut pas être catégorisé dans une des théories rationnelles du cosmos."


Darwin avait toujours apprécié les œuvres de Caran Beomot, et sa conception selon laquelle le dévot n’engendrait pas les doutes et les énigmes, que ses doutes et ses énigmes existaient déjà. L’illuminé n’était pas l’homme qui aimait les mystères, mais celui qui les détruisait par son ouvrage.


Et les mystères que Jikis Belenan (un autre protagoniste) cherchait à détruire étaient ceux qui empêchaient l’Humanité d’atteindre son plein potentiel, et de pouvoir espérer un meilleur avenir. Toutes ses idées l’opposaient aux philosophies du désespoir d’hommes comme Caran Beomot et comme le despote Sautath, lesquels n’envisageaient qu’une descente inévitable vers le Chaos, un état originel terrifiant qui avait, jadis, était le substrat de la création, et qui serait inévitablement sa tombe.


Jikis concevait la beauté comme une fenêtre sur le merveilleux avenir qu’il imaginait. Des penseurs contemporains l’avaient attiré vers les concepts du symbolisme alchimiques, en l’amenant à croire, comme l’avaient fait les hermétistes, que l’Humanité était le microcosme du divin. Ses lectures devinrent voraces, et Jikis était devenu très versé dans les traditions fioriennes, dans l’hermétisme, la cabale, et les écrits d’érudits tels que Kreff, Lunt et Bragg. Arric ne connaissait aucun de ces noms, mais était certains que Darwin Wenham pourrait l’aider à trouver leurs ouvrages si elle désirait.


Armé d’une connaissance aussi massive, Jikis avait donné forme à la structure de sa mythologie dans son plus grand poème, Horizon.


Cette œuvre épique commençait par la narration de la chute de l’Homme des Cieux dans le maelström de l’expérience, ce que Jikis appelait « les sombres vallées du soi ». Au fil du livre, l’Humanité se débattait avec la tâche de transmuter ses passions terrestres pour trouver la pureté de l’Éternel. Pour aider ce processus cosmique, Jikis avait matérialisé l’essence de la révolution et du renouveau en la personne d’un éveilleur de consciences, un être qu’il nommait « barbare », et le caractère approprié de ce nom fit rire Darwin, qui se demanda si Jikis soupçonnait déjà l’infestation de certains endroits de Fiore par le fléau de cette vermine.


Selon le poème, la chute du genre humain l’avait privé de sa divinité, ce qui le forçait à lutter au travers des âges pour la retrouver. Dans ces vers, l’âme de l’Humanité s’était désintégrée, et devait réconcilier chaque élément d’elle-même sur la route qui la ramènerait à l’Éternel. Cela faisait écho à ce que Darwin avait pu lire d’un mythe sur des tombes ancestrales. Cette légende parlait du démembrement au début des temps d’un dieu nommé Zaël, et de l’obligation qu’avait l’homme de rassembler ces parties pour retrouver l’intégrité spirituelle.


Darwin reconnaissait dans les œuvres de Jikis une voix originale, qui s’était élevée à une époque de conventions, mal adaptée à accueillir des idées aussi libertaires. Confronté aux forces de l’oppression, que la raison ne pouvait faire plier, il avait eu recours à son imagerie violente, et à la force de ses pouvoirs d’exalté.


Il était devenu ce que les forces du monde ordonné ne pouvaient tolérer, une force spirituelle perturbatrice incitant les hommes à s’éveiller à leurs passions pour pouvoir changer.


- "La connaissance n’est guère que la perception des sens", prononça Darwin à voix haute, en souriant. "La complaisance envers lui-même est la source de toute chose en l’Homme, et la raison le seul frein qu’il mette à sa nature. L’accession au plaisir ultime et l’expérience de la souffrance sont la fin et le dessein de toute vie."


Achevant son histoire sur cette anecdote dans le contenu de ce bouquin, Darwin Wenham envisageait de rester ici un peu plus longtemps que prévu, poussé par sa soif d’érudition à explorer davantage de nouvelles connaissances. Prévoyant également de quitter l’établissement sans trop tarder, la jeune demoiselle se leva en souriant, le remercia encore une fois pour ce divertissement et cet apport d’informations supplémentaires, en plus d’avoir été enchanté de le rencontrer, espérant et promettant de se revoir une prochaine fois.


Non sans un certain pincement au cœur, l’épéiste rangea les livres elle-même, puis lui fit un signe d’au-revoir de la main avant de sortir de la pièce, laissant son associé du moment retourner à ses occupations intellectuelles. Quand bien mêmes excentriques, elles furent amusantes et distrayantes.


Bonne citation à la clé, et sans mauvais jeu de mots, on pouvait dire qu’une page se tournait pour Arric.

HRP :

Spoiler: