Il était libérateur de vivre comme un agent indépendant du marché noir. Comme un corsaire des océans, on recevait des ordres de mission pour en retour s’accaparer de nombreux biens des victimes. Il était tout de fois regrettable que rien de cela ne protégeait la discrète mage de l’acier de représailles de l’armée du conseil magique. Bref, elle avait la liberté d’agir et d’opérer à sa guise, de jouer le ninja ou de foncer dans le tas dans un style de confrontation barbare. Tout dépendait de son humeur, quoi. Puis, on revenait à ce qui l’emmenait au célèbre Marché noir du continent. Une marchandise de valeur d’un contrat précédent reposait dans le creux de son sac de transport, entouré par le nid douillet de ses vêtements de rechange. Oubliez les grosses peintures ou les sculptures travaillées dans le granit, ce que Rachel possédait était une collection d’objets précieux de qualité incontestable. Comment le savait-elle ? Son odorat et sa papille gustative étaient le plus parfait que possible quant à reconnaître les métaux rares. Toutefois, elle ne pouvait prédire leur valeur exacte en argent. La culture des hommes pouvaient être imprévisible, valoriser une chose et le mettre de côté plus tard. Il lui fallait un avis d’expert. Et son chemin la conduirait vers le monde souterrain.

Sa première visite fut à la fin de son adolescence, avec la sage présence de son père adoptif. Outre sa nature obscure, exécrable et illégale, ce marché était mémorable, une œuvre de génie. Nul être à de lointaines époques ne pouvait considérer la vie dans le ventre de la terre et y développer une société durable. La première fois ici était l’équivalent de visiter un enfer sans flammes et sans diablotins dansant sur les parois rocheuses. La lumière en ce sein était claire comme le jour, mais fausse à la manière de la quiétude de la ville. Seuls les criminels de toutes les catégories y vivaient et venaient. Sans son père adoptif, Rachel elle-même y vivrait à temps plein et à devoir craindre qu’un malade veuille l’abuser dans un coin sombre. Même avec une guilde d’assassins pour assurer l’ordre, ce dernier resterait probablement précaire. Encore heureux que ces hommes et femmes devinaient où se trouvait leur intérêt commun.

La pourfendeuse de dragons était une adulte. Entrée seule dans la ville ne représentait plus de mystère, d’émerveillement ou de crainte. Le seul agacement était les regards de ceux qui la reconnaissaient de par sa réputation ou son avis de recherche. Elle avait cet instinct pour identifier le poids de chaque pair d’yeux, tout simplement. Son expression indifférent et endurci ne changea pas d’un iota jusqu’à pouvoir se retrouver dans un espace plus clos. C’était une boutique pour écouler la marchandise, ce dont elle avait de besoin. Il semblerait aussi qu’elle appartenait à un membre de la guilde locale. Rachel se présenta au comptoir.

- Objets de valeur en métaux rares à revendre ! Ça devrait vous intéresser.

La boutique, L’Honnête Bazar, se trouvait hors du quartier général de la guilde malgré son appartenance indirecte à Silent Night. La location, comme beaucoup d'autre chose relié à la boutique, s'expliquait simplement par une lubie du propriétaire, Jaeger Garrett. Au premier abord, l'endroit semblait n'être qu'un simple bazar d'objets magiques divers, bien que la plupart des criminels du Marché Noir connaissaient sa vrais nature. Il n'y avait donc pas vraiment de raison de la déguiser ainsi, à part peut-être pour diversifier un peu la clientèle et la marchandise. Le magasin était d'assez petite taille et l'éclairage venait de Lacryma modifié pour ressembler à des chandelles noires et ouvragées fondant sur des crânes grimaçants. À l'arrière de la boutique se trouvait un comptoir où trônait la caisse et un chaudron toujours remplit d'un liquide vert bouillonnant pour des raisons assez peu claires. Il s'agissait en fait de la cafetière des employés dissimulée derrière une illusion pour donner un air mystérieux et légitiment magique pour les éventuels clients non-magiciens. Il y avait également un alligator empaillé pendant du plafond et un corbeau perché sur un crâne à l'entré qui croassait à chaque fois que la porte s'ouvrait.

Rose était pour le moment seule dans la boutique, bien que son père adoptif se trouvait dans son bureau à l'arrière, probablement pour se piquer un roupillon sous le prétexte de faire l'inventaire. La jeune voleuse l'aidait souvent à L'Honnête Bazar, généralement à s'occuper des étagères et à voler les aspirants voleurs à l'étalage qui polluait le Marché Noir. À l'occasion, comme cette fois-là, elle s'installait derrière le comptoir et observait les clients qui cherchaient un employé en rigolant silencieusement avant de faire sonner la cloche pour attirer leurs attentions sur la jeune femme courte vêtue à la caisse. Jaeger l'utilisait aussi comme première alerte si un puissant personnage pénétrait dans son humble établissement, car seul ceux-ci la remarquait sans aide.

Cette petite ruse n'était absolument pas nécessaire pour la femme qui venait d'entrer dans L'Honnête Bazar. En effet, celle-ci était un peu une célébrité, Rachel Ravenstone, la Dame de Fer, la pourfendeuse de dragon d'acier! Un simple coup d'œil sur les avis de recherche était suffisant pour voir qu'elle frappait dans une tout autre catégorie de poids que la mercenaire de Silent Night. Rose Garrett déposa son Sorcerer Magazine sous le comptoir et se leva du banc. Son unique œil visible luisait de curiosité, fixé sur la mage qui s'approchait. Son expression maussade se changea en léger sourire aux mots "Objets de valeur" puis elle redevint neutre en sortant une petite loupe de joaillier et une balance.
« Hmm, peut-être que oui, peut-être que non. Faites voir? »

- Ne sous-estimez pas les sens d’une pourfendeuse de dragons quand cela concerne son propre élément.

Elle l’avait dit d’un ton clair et sec. Il lui était offensant sur le coup que quelqu’un doute de ses compétences à récupérer de la bonne marchandise. Rachel était malgré elle une pourfendeuse de dragons réputées dans le monde souterrain de la magie. Avec le métal pour affinité, elle avait les outils pour identifier les différentes qualités des objets métalliques. Et d’ailleurs, le besoin de s’imposer devenait de plus en plus une nécessité pour la mage indépendante. Tandis qu’elle étalait les pièces et bijoux, les souvenirs ressurgissaient de nouveau dans sa tête. Oui, encore une fois, et ça devenait de plus en plus fatiguant à son humble avis.

Pas souvent la demoiselle se montrait ouverte à la conversation. Son mentor avait plus servi de liaison entre elle et ce qui deviendrait son boulot à temps plein. Sa timidité n’avait pas juste qu’offert un côté secrètement mignon, mais de nombreux manque de tact avec les individus nécessaires. Alors, elle réagit de la seule façon possible : l’agressivité. User de son côté naturel de chasseurs de dragons donnait le moyen de se présenter comme étant sérieuse et dangereuse. Se moquez de son identité réelle pourrait être un désastre envers n’importe quelle personne ou presque. Alors, devant la marchande « respectable » du Marché noir, Rachel resta droite et d’un air de marbre. Son petit œil attentif remarqua enfin la décoration glauque de l’endroit. On vit comme on pense ; tu vis d’émotions obscures, ton environnement en subit l’effet. À moins que cette femme de la guilde cache une nature seconde plus embarrassante, elle donnait le résultat d’intimidation pour les novices. La Dame de Fer, en revanche, avait vu et combattu un ancien roi dragon sur une île perdue.

Elle se rapprocha de la jeune demoiselle d’un pas en avant. Excitante fut l’idée soudaine de démarrer une conversation, tisser un lien et débusquer un côté mignon chez cette mercenaire mystérieuse. Durant une fraction de seconde, son air rigide se brisa en un sourire subtil sur le coin de sa bouche. Quelle étrange personnalité avait-elle désormais de changer son humeur au fil des secondes après une simple reconsidération.

- J’espère que la vie sous terre ne vous incommode pas trop tôt. Quand on explore, on trouve tout autant de nouveaux joyaux que ce maigre butin.