J'étais dans le bureau du Master de Quatro Cerberus. En réalité, je n'avais pas été convié, je ne subissais pas de remontrances et Hiro ne voulait pas me parler de quelque chose en particulier. Non, il s'agissait juste de ma pièce à présent. Je n'arrivais toujours pas à m'y faire et il fallait avouer que les Cerbères ne m'aidaient pas dans cette tâche puisqu'ils n'arrêtaient pas de gentiment me taquiner à ce sujet. Après, nombre d'entre eux pensaient que je méritais cette place, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir coupable. J'avais en quelque sorte trahi la guilde en rejoignant le camp adverse lors de la bataille de Géhenna, pourtant, Hiro ne m'en avait jamais voulu. Il avait compris ma position et mes sentiments, il avait accepté le fait que les soupçons du Conseil pesaient toujours contre moi, mais il avait aussi su qu'il était temps que je prenne sa place. Il était parti rejoindre les Runiques, je me disais qu'il avait dû passer un accord avec le Conseil. Mon innocence contre son intégration chez eux. Lui qui avait toujours rêvé d'être libre dans ses choix, de rester Wild comme l'esprit de la guilde le lui permettait... J'avais cette douloureuse impression de l'avoir privé de tout cela. Après, je ne l'avais pas forcé dans ses choix, peut-être qu'il avait voulu ce qui arrivait, qu'il avait déjà calculé tout cela depuis un bon moment déjà. Je ne devais pas revenir sur ses choix, c'étaient les siens et je n'en avais pas le droit quoi qu'il arrive ; j'avais juste à accepter ceci et à reprendre le flambeau qu'il m'avait légué avant de faire de même lorsque je sentirais mon heure venir. Dans tous les cas, réfléchir à tout cela ne m'aidait pas à me concentrer sur ma tâche qui était de m'occuper de tous les problèmes de la guilde. J'avais plutôt de la chance, je ne devais pas lire les réclamations comme Ethan-nii avec les Fées de Magnolia. La plupart du temps, il s'agissait de petits soucis qui pouvaient être rapidement réglés en un tour de main, j'utilisais même ces prétextes pour envoyer les plus faibles Cerbères afin qu'ils prennent confiance en leur potentiel. Le nombre de missions de protection ou d'escorte était probablement supérieur aux autres guildes puisqu'il s'agissait de notre spécificité. Et je ne tardais pas à trouver les meilleurs éléments pour les exécuter lorsque ces derniers étaient disponibles pour le faire.

Néanmoins, il y avait d'autres problèmes qui m'occupaient bien plus l'esprit : les absences prolongées, voire disparitions, de certains Cerbères. En premier lieu, le jeune Soren qui était considéré comme une véritable mascotte humaine. Son caractère enfantin et insouciant lui donnait un point de vue différent lors de ses missions, mais c'était lorsqu'il était à la guilde qu'il révélait son véritable potentiel... destructeur. La moindre bourde à ne pas commettre et il plongeait la tête première dedans. Le fait que personne n'ait de nouvelles de lui m'inquiétait réellement, même ses parents ignoraient où il était et j'étais prêt à m'occuper personnellement de sa recherche pour le retrouver au plus vite. Il était débrouillard à sa manière, mais je craignais qu'il soit bloqué dans une situation plus délicate pour lui. À côté de cela, il y avait aussi les quelques mages partis en mission depuis un bon moment déjà. Parmi eux se trouvait Eizen. Cet homme était un solitaire endurci, le fait qu'il soit parti seul ne m'étonnait pas le moins du monde, ce qui était plus étrange était surtout le temps qu'il mettait à revenir. Même s'il n'avait jamais montré aucune émotion, je savais très bien qu'il s'agissait d'une façade et qu'il aimait la guilde et ses membres. Je le voyais comme un électron libre, protégeant le noyau qu'il chérissait. D'ailleurs, en parlant du loup, son odeur me parvint soudainement et je me rendis compte qu'il venait de rentrer. Abandonnant mes papiers, je pris la direction du bar en sachant très bien qu'il allait s'y rendre en premier lieu pour se poser avant de repartir. Je le connaissais assez bien, après tout, j'étais l'un des rares à pouvoir l'approcher et lui tenir compagnie sans qu'il refuse. Il fallait dire que j'étais proche de tous les Cerbères, les solitaires comme Eizen compris. En cherchant sur le pont, je remarquai alors une silhouette encapuchonnée, mais mon odorat ne pouvait pas me tromper, il s'agissait bel et bien de lui. Avant même que je lui signale ma présence, il déclara naturellement :

Alors le vieux? ça fait un moment pas vrai? Encore un boulot suicidaire pour moi? Je vais finir par croire que tu veux ma mort. M'oblige pas à me plaindre au master.

Tiens tiens... Avait-il capté ma présence ? Ou était-il habitué à ce que je vienne le voir à chaque fois qu'il revenait sans que j'étais également présent pour lui souhaiter un bon retour ? Je n'en savais trop rien, mais je misais plutôt sur la seconde option qui me paraissait plus plausible. Par contre, j'allais devoir mettre les choses au clair avec lui. En l'entendant, les Cerbères proches de nous se retenaient, mais nous pouvions clairement les entendre pouffer de rire. Eizen n'était pas au courant des derniers changements qu'il y avait eus au sein de la guilde puisqu'il était en mission et les autres en profitaient pour se moquer gentiment de lui. Même le barman affichait un grand sourire pour dissimuler son amusement. L'homme aux cheveux bleus allait certainement se douter de quelque chose, mais j'hésitais à lui révéler la vérité ou à m'amuser un peu avec lui d'abord.

Alors premièrement, je ne suis pas vieux ! Ensuite, je te rappelle que c'est toi qui accepte les boulots suicidaires et que tu refuses de te faire accompagner, même si je pourrais bien te forcer à aller avec moi. Et si tu veux te plaindre au Master, n'hésites surtout pas, il va sûrement t'obliger à faire une mission en groupe.

Bien évidemment, le tout était prononcé d'un ton amusé avec un énorme sourire qui étirait mes lèvres. Je n'étais en aucun cas vexé ou désagréable, j'étais plutôt content de le revoir. Les membres d'une guilde formaient une famille, voir certains d'entre eux partir en mission et les retrouver bien plus tard en pleine santé était toujours appréciable. Au sein d'une famille aussi unie, on se serrait les coudes et je pensais qu'il en était de même dans toutes les guildes. Lorsque j'avais parlé à la place du Master, certains Cerbères ne purent se retenir et laissèrent échapper un ricanement audible avant de se contrôler pour observer plus ou moins discrètement la suite de notre discussion.

Et c'est tout ce que tu as à me dire pour ton retour ? Il s'est passé pas mal de choses pendant ton absence, je ne sais pas si tu es au courant de la dernière bataille... Quoi qu'il en soit, nous avons de nouveaux membres, la guilde est plus populaire et Hiro a décidé de céder sa place... Donc, comme je le disais, si tu veux te plaindre, je t'écoute avec attention.

Je me demandais comment il allait réagir à cette nouvelle. Apprendre que j'étais devenu le nouveau Master de Quatro Cerberus m'avait fait quelque chose, toutefois, ce n'était pas le cas de tout le monde puisque certains s'en doutaient déjà et n'avaient eu aucun mal lors du changement. De plus, je n'étais pas le seul à observer les réactions d'Eizen, les curieux avaient leur oreille tendue et jetaient des coups d’œil dans notre direction, se retenant de fixer l'intéressé puisqu'il avait du mal avec les foules.