De retour à la guilde depuis quelques jours maintenant, je me trouvais tranquillement installé sur le toit du bâtiment en compagnie d'Arya, ma Flashbird. Celle-ci somnolait paisiblement tandis que je n'arrivais pas à fermer l’œil. Pour ma défense, je venais de réaliser à quel point le Conseil Magique était stupide. Certes, il avait raison de faire ce qu'il comptait faire. Cependant, il ne procédait pas du tout de la meilleure des façons. Bien au contraire même, le Conseil cherchait ouvertement à déclencher une guerre avec l'Alliance Baram. Vous l'aurez compris, j'étais en train de lire – ou plutôt de relire pour la énième fois – l'article du Sorcerer Magazine sur la condamnation à mort des trois mages noirs qui avaient été capturés lors de la bataille contre les Regalias et les Anciens Rois Dragons. Cet article ne datait pas d'hier, loin de là d'ailleurs, cela faisait déjà plusieurs semaines qu'il était disponible partout dans le Royaume. Le truc, c'était que je m'étais coupé de tout durant mon voyage avec Arya. J'avais simplement souhaité me détendre et profiter des merveilleux paysages que Fiore avait à offrir, c'était tout. Résultat, je m'étais posé un tas de questions à mon retour au vu de la tension qui régnait un peu partout et que l'on pouvait facilement ressentir. En même temps, il y avait largement de quoi être tendu. Cet article montrait que les membres du Conseil avaient perdu la tête, ou alors, ils cherchaient délibérément Grimoire Heart et Tartaros en annonçant aussi publiquement – et à l'avance – qu'ils comptaient faire exécuter leurs prisonniers. Jusque-là encore, ça allait pour moi. Après tout, au vu des crimes que ces trois-là avaient commis, la sanction était compréhensible. Je n'étais pas fan de la peine de mort. Cependant, je ne voyais pas trop la différence avec l'emprisonnement à vie. Dans les deux cas, la vie du criminel était terminée. Quelque part, la mort semblait même préférable à des décennies d'emprisonnement...

Comme je le disais donc, jusque-là, je ne trouvais rien de stupide dans leur façon de faire. Ce que je trouvais débile, c'était la provocation inutile qui complétait cet article. En effet, l'auteur s'était permis de mentionner que les délibérations n'avaient duré que quatre minutes. Juste après, il définissait la décision comme étant surprenante. Or, elle ne l'était pas, ce qui montrait bien que l'article se voulait sarcastique. Par la suite, on avait le lieu de l'exécution qui était annoncé... Dans le genre révélation stupide, on ne faisait pas mieux ! Lorsque j'en étais arrivé à ce niveau-là dans ma lecture, j'avais déjà commencé à lever les yeux au ciel tant je trouvais que le magazine abusait en terme de provocation et de déclaration de guerre implicite. Bah oui, il fallait être débile pour révéler une telle information à tous le Royaume !! Ne savaient-ils pas que les mages noirs pouvaient aussi se procurer le Sorcerer Magazine s'ils le désiraient ?! Non mais franchement, ils jouaient vraiment avec le feu pour le coup. Ah la la, si j'avais su ce que je lirais juste après... Malheureusement pour moi, j'étais parti du principe que rien de pire ne pourrait être lu après de telles informations. J'avais été si naïf. La suite était bien pire encore. Et oui, non seulement ils révélaient que trois mages importants de l'Alliance Baram seraient exécutés sur Gehenna Island, mais en plus, ils OSAIENT annoncer que cette triple exécution serait retransmise en direct sur Lacryma visuel !! Ajouté à cela, le Conseil Magique garantissait le bon déroulement de cet événement puisque des chevaliers runiques seraient présents pour protéger le fort sur lequel les mises à mort auront lieu. Autant dire que je ne m'étais toujours pas remis de ces lectures répétitives. Mon visage était à présent masqué par les paumes de mes mains. Je n'arrivais vraiment pas à y croire. Tout ce que je pouvais faire pour l'instant c'était répéter inlassablement, et à voix basse, le même mot.

« Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... Stupide... »

Comment pouvait-on être aussi bête ? Pensaient-ils vraiment que la présence de ces chevaliers runiques changerait quelque chose à l'intervention de l'Alliance Baram ? Même moi, j'avais bien compris que les guildes noires avaient à peu près le même fonctionnement interne que les guildes officielles. Ainsi, il ne m'était pas difficile de supposer que les membres de Tartaros seraient prêts à tout pour sauver leur Master. De même, le Leader de Grimoire Heart ne reculerait devant rien pour récupérer ses hommes. Il ne se faisait sûrement pas appeler le Dark Knight juste pour faire classe. D'ailleurs, d'après ce qui était marqué sur sa prime – qui était quand même de 450 millions de Jewels ! - il appartenait autrefois à l'armée. Ainsi, abandonner un camarade ne devait pas faire partie de son vocabulaire. De plus, ce ne serait pas la première fois qu'il tenterait de secourir des prisonniers. Yep, je le voyais mal les laisser se faire exécuter sans rien dire. Le coup de la retransmission par Lacryma visuel était également une grosse blague ! Pour moi, c'était comme si les membres du Conseil cherchaient plus à les humilier publiquement qu'à lancer un avertissement. Idem pour la révélation du lieu des exécutions. A leur place, si j'avais choisi de les faire exécuter, j'aurais fait ça discrètement. J'aurais attendu qu'ils soient bien morts pour publier un article comme quoi ils avaient été exécutés. Cela n'aurait rien eu de lâche. Bien au contraire même, cela aurait montré que le Conseil faisait de la sécurité du Royaume une priorité. Là, en provoquant ouvertement les plus puissantes guildes noires, il mettait en danger tout Fiore ! Le jour de l'exécution, de nombreux chevaliers runiques seraient mobilisés. Je supposais qu'il s'agirait des meilleurs d'entre eux naturellement. Le problème, c'était qu'en agissant ainsi, ils laisseraient le Royaume totalement vulnérable ! Rien ne garantissait que ces guildes chercheraient à sauver leurs compagnons. Après tout, il n'y en avait que trois. Celles-ci pourraient très bien décider de prendre tout Fiore en otage pendant que les meilleurs atouts de l'armée seraient en train de les attendre sur leur île ! Pire encore, elles pourraient massacrer le plus grand nombre d'innocents possibles en guise de vengeance.

Voilà pourquoi je trouvais que le Conseil avait mal joué son coup. Les conséquences de cet article pouvaient être catastrophiques. Et personnellement, je ne voyais pas en quoi la mort de trois mages noirs serait une victoire si derrière des centaines et des centaines d'innocents perdaient aussi la vie. Jusqu'à maintenant, je n'avais jamais eu de problème avec le Conseil de la magie. Il fallait dire aussi que je ne m'occupais pas trop de leurs affaires. Néanmoins, quand il demandait à des mages officiels de les aider – comme avec les Regalias – je n'hésitais pas à répondre présent. Après tout, si je pouvais me montrer utile d'une manière ou d'une autre, je ne voyais aucune raison de ne pas agir en leur sens. Là encore, je comptais leur prêter main forte pour maintenir l'ordre durant la triple exécution, mais aussi pour aider les chevaliers runiques à repousser les attaques qu'ils s'attendaient à recevoir. Dans le même temps, en m'y rendant, je pourrais garantir une meilleure sécurité pour Fiore durant cet événement. Yep, si les mages officiels répondaient à cet appel à l'aide, cela voudrait dire que moins de chevaliers runiques seraient nécessaires là-bas. Résultat, il y en aurait bien plus pour continuer à assurer la sécurité du Royaume. Ainsi, de cette manière, je pourrais aider à minimiser les dégâts. Ce ne serait pas la première fois que je me retrouverais confronté à Grimoire Heart. J'avais déjà affronté Caitlyn sur le Mont Hakobe, idem pour Akito dans la Jungle de Guatamalta. Quant à Leïto – dont l'exécution était prévue – je m'étais allié temporairement à celui-ci pour faire face au Regalia du ciel. J'avais donc une assez bonne idée de ce dont certains membres de cette guilde étaient capables. En ce qui concernait Tartaros, avec leur Master qui était aussi en prison, je me demandais si les autres membres parviendraient à rester unis pour le secourir ou s'ils le laisseraient se faire exécuter sans rien dire.

Dans un cas comme dans l'autre, j'étais d'ores et déjà prêt à les affronter pour aider le Conseil, ou plutôt pour réparer leurs bêtises. Je n'avais pas l'intention de reprendre l'entraînement intensif comme je l'avais fait suite à l'affrontement avec les Dragons. Je me sentais déjà parfaitement prêt à les stopper s'ils se montraient vraiment. Non, je ne les sous-estimais pas. Cependant, j'étais confiant. J'avais retrouvé ma confiance en mes capacités. De plus, ce serait des mages pour la plupart. Traduction ? Ils ne seraient pas immunisés face à ma magie comme l'avaient été les Dragons. Je n'avais donc aucune raison de m'inquiéter à ce niveau-là. Hmm... Je n'avais pas dormi de la nuit apparemment. Il ne faisait pas encore tout à fait jour sachant que la nuit n'était pas complètement terminée. Cependant, cela voulait quand même dire que j'avais passé des heures à lire et relire cet article. Et pendant ce temps, Arya dormait comme si de rien n'était. Bon, il ne me restait plus qu'à descendre de ce toit pour aller me dégourdir les jambes. Je n'avais nullement l'intention de la réveiller, après tout, elle était largement capable de me retrouver par la suite si tel était son désir. M'écartant donc doucement d'elle, je me levai puis avançai vers le bord du toit avant de sauter pour atterrir dans la cour extérieur de la guilde. A cette heure-ci, je ne m'étais pas du tout attendu à tomber sur quelqu'un. Or, il y avait bel et bien une personne devant moi. Une jeune femme avec des cheveux d'une couleur qui m'était familière. Ils étaient bien moins roses que ceux de notre Master, Johanna, mais ils étaient un minimum roses quand même. Quant à ces couettes, j'étais certain de les avoir déjà vues quelque part. Mais où ? Le fait qu'elle ait accès à cette cour voulait bien dire qu'elle faisait partie de Lamia Scale. Or, j'étais certain de ne pas l'avoir vu dans le coin récemment. Je décidai donc de me rapprocher d'elle pour tenter de découvrir son identité. J'étais certain de la connaître, ou du moins, de l'avoir déjà vue auparavant.

Tandis que je me rapprochais, elle se retourna vers moi et me salua d'un air gêné. J'ouvris alors de grands yeux en voyant son visage ! Je ne me trompais pas, c'était Sky ! D'où je la connaissais ? Bah elle faisait partie de ma guilde quand même. Certes, cela devait facilement faire cinq ans que je ne l'avais pas revue dans le coin. Le truc, c'était que ça ne changeait rien au fait qu'elle était bien membre de Lamia Scale. Si je me souvenais bien, elle était arrivée à la guilde au moment où j'étais moi-même absent. J'avais passé deux années entières avec mon grand-père pour apprendre à maîtriser parfaitement ma forme démoniaque. Elle était arrivée entre-temps, soit sept années plus tôt. Quant à moi, j'étais revenu un an après, soit six années plus tôt : c'était à ce moment-là que je l'avais rencontrée. Néanmoins, elle s'était à son tour absentée l'année suivante et n'était pas revenue depuis. Si mes calculs étaient exacts, cela faisait bien cinq ans depuis la dernière fois que je l'avais vue ici. Bouche bée et les yeux toujours grands ouverts, cela devait bien faire quelques secondes que je repensais à tout ça. Elle avait grandi depuis, et pas qu'un peu ! A l'époque, elle devait avoir 12ans si je me souvenais bien... Cela lui en faisait donc 17 maintenant. Yep, elle n'était plus une gamine physiquement parlant. Mais qu'en était-il mentalement ? Elle n'avait pas l'air d'avoir trop changé de ce côté-là. Son sourire était toujours aussi chaleureux en tout cas. Je finis par reprendre mes esprits et lui répondis.

« Salut Sky ! Ça faisait longtemps que je ne t'avais vue dans le coin. Comment tu vas ? »


Je ne savais pas trop si elle me reconnaissait ou si j'avais été le seul à me rappeler d'elle. Je devais avoir 19ans au moment de son départ, et je n'avais pas beaucoup changé depuis. En fait, je n'avais pratiquement pas changé depuis. J'étais toujours vêtu d'un pantalon simple et d'une chemise nouée par une cravate. Quant à ma tête, elle était toujours couverte par mon béret. D'ailleurs, ce couvre-chef était le meilleur moyen de me reconnaître. Je ne connaissais aucun autre mage qui en portait. Idem du côté des mercenaires. Mais bon, après toutes ces années, il était possible qu'elle m'ait oublié. Ce serait dommage, mais pas si grave que ça. Si elle s'était absentée aussi longtemps, c'était qu'elle devait avoir ses raisons. Mais lesquelles ? Telle était la question que je me posais actuellement.

J'étais exténué. Entre les évènements impomptus qui me bouffaient mon temps de repos et le stress qui s'accumulait, j'étais en train d'oublier à quoi ressemblait le sommeil. Et comme la dernière fois, on était venu me déranger jusque dans ma chambre, je devais trouver un nouvel emplacement pour essayer de grapiller un peu de repos. Et j'avais simplement installé mon sac de couchage dans la réserve du bar de la guilde. Personne ne se rendrait là durant la nuit, et surtout, personne ne viendrait me chercher dans un endroit si saugrenu. Et ça avait marché, jusqu'à l'aube, quand la barmaid était venue chercher ce dont elle aurait besoin de la journée. A la fois surprise et amusée, elle me réveilla et me conseilla d'aller me reposer dans mon lit. En effet, même si la nuit m'avait fait du bien, j'avais toujours des cernes sous les yeux, et quelques heures de plus ne m'auraient pas fait de mal.
Cependant, à peine sorti dans la salle commune, j'étais interpellé par Master Johanna qui me demanda d'aller chercher la nouvelle venue dans la cour extérieure, et de l'envoyer dans son bureau. Je me demandais si elle me l'avait demandé simplement car j'étais le seul debout à cette heure, ou pour m'ennuyer après notre dispute, mais comme elle repartit aussitôt, je n'eus pas l'occasion de m'en enquérir. Grommelant quelque peu, je me rendis donc à l'extérieur, hésitant encore à expédier cette tâche pour aller me reposer ou à faire contre mauvaise fortune bon coeur, et profiter de la journée autant que possible maintenant que j'étais debout. Une fois arrivé dans la cour, je constatai que Tobias était déjà là. C'était pourtant rare de le voir à la guilde lorsque la Master s'y trouvait également. Mais bon, je n'allais pas me plaindre, car c'était grâce à lui que j'appris le nom de la nouvelle. Je m'avançai donc vers eux.

Bonjour Tobias, bonjour Sky. Je me nomme Jet et je suis ici depuis peu. On pourra faire connaissance plus tard, mais la Master veut te parler dans son bureau. Tu pourras le trouver seule ?

Elle m'assura que oui et dit qu'en effet, nous pourrions discuter une autre fois, avant de repartir, me laissant seul avec Tobias. Il y eut un bref silence pendant lequel aucun de nous ne sut que dire. Il faut avouer que c'était la première fois que nous nous retrouvions uniquement à deux, sans aucun autre membre de la guilde autour de nous. Mais il semblait fatigué lui aussi. Puis, j'aperçus un journal plier qui dépassait de sa poche. Celui qui parlait de l'exécution des mages noirs à Géhenna. A cet instant, l'inquiétude que j'avais réussi à garder refoulée depuis la veille refit son apparition. Une bataille à venir, des centaines de morts dans chaque camp, et probablement plus... Et moi, j'allais participer à cette horreur.
Qu'en pensait-il, lui ? C'est avec un manque d'assurance qui m'était peu coutumier que je lui demandai son avis sur la question.

Je vois que tu as lu cet article, toi aussi. Qu'est-ce que tu en penses ? C'est une erreur, non ?

Après être descendu du toit de la guilde, j’étais tombé sur Sky – un membre de ma guilde – qui semblait avoir fait son grand retour à Lamia Scale durant mon absence. Forcément, quand on passait la majeure partie de son temps en dehors de la guilde, il était assez difficile d’accueillir les nouveaux venus ou les revenants. Néanmoins, je conservais mon sens de la camaraderie malgré tout. Après tout, cela faisait plus d’une décennie que j’avais rejoint cette guilde qui avait une place particulièrement importante dans ma vie. Ce n’était donc pas parce que j’étais rarement là que je ne serais pas capable de remuer ciel et terre pour venir en aide à l’un de mes compagnons ! Si je me souvenais bien, cela faisait cinq longues années que je ne l’avais pas revue, et bien que je n’avais pas beaucoup changé depuis le temps, c’était loin d’être son cas. D’une petite gamine de 12ans, elle s’était transformée en une jeune femme de 17ans. Forcément, quand on était mage, soldat ou mercenaire, on vieillissait bien plus vite que si on vivait de façon simple. Les entraînements, les missions et tous les combats menés nous forgeaient rapidement et affectaient notre personnalité et notre physique à des degrés différents. C’était la raison pour laquelle on pouvait tomber sur des adolescents à la carrure de Baboons Taurus, mais aussi des vieillards tout aussi vifs que des Spinners.

Au vu de sa façon de me regarder et de s’exprimer, je compris tout de suite qu’elle n’avait changé que physiquement. Ou plutôt, elle ne semblait pas avoir subi de changements majeurs durant son absence. Elle respirait toujours la joie de vivre et semblait toujours prompte à sourire et à s’émerveiller. Il y en avait qui avait de la chance de ce côté-là… Hmm, était-ce vraiment de la chance ? L’insouciance avait ses avantages lorsque l’on vivait loin de tout et qu’il n’y avait vraiment aucun problème à l’horizon. Là, en l’occurrence, ce n’était pas du tout le cas. Le Conseil Magique avait pété les plombs et une guerre se préparait. On sortait à peine de l’histoire des Régalias et du débarquement des Dragons qu’il fallait qu’on tombe sur un autre souci majeur : l’Alliance Baram. Ce n’était donc pas vraiment le bon moment pour rester insouciant. Loin de là même. Était-elle au courant de ce qu’il se passait ici, ou plutôt de ce qui ne tarderait pas à arriver ? Soit elle ne l’était pas, et cela signifiait qu’elle ne suivait pas du tout les rumeurs et n’écoutait pas non plus ce qui se passait autour d’elle, soit elle l’était. Si elle l’était, elle avait le choix entre ignorer la situation et partir du principe que ça ne la concernait pas – ce qui serait parfaitement légitime d’ailleurs – soit elle préférait simplement se concentrer sur les bonnes choses pour l’instant avant de se faire du souci. Elle venait de revenir après tout, c’était donc l’heure de la célébration et pas de la dépression !

Elle m’avait demandé comment j’allais après m’avoir assuré que tout allait bien de son côté. Puis, elle m’avait questionné sur mes propres années durant son absence, avouant au passage qu’elle s’était bel et bien coupée du monde : elle ne devait donc pas être au courant. Par la suite, elle m’avait pris dans ses bras, et en retour j’avais passé mes bras autour d’elle, lui souhaitant ainsi un bon retour parmi les siens. Je m’apprêtais alors à lui répondre afin de lancer une longue conversation sur nos 5 dernières années respectives lorsqu’un élément perturbateur vint faire irruption. Il s’agissait de Jet, le mage magnétique. Le fait de l’entendre me rappela que, lui aussi, ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu. Quelque part, on était assez similaires lui et moi. On passait bien plus de temps en voyage qu’au sein de la guilde, enchaînant les missions en temps normal, et les entraînements en période de crise. Lui aussi avait dû se frotter à un Dragon, donc forcément, les difficultés liées à ce combat l’avaient poussé à progresser. À côté de ça, il y avait une autre particularité qui nous liait plus que d’autres membres de la guilde : c’était ce que l’on pouvait considérer comme les effets secondaires de nos magies. Mon aptitude à attirer les ennuis et à risquer ma vie pour m’en sortir chaque fois que j’allais quelque part était loin d’être un secret. Et, personnellement, j’attribuais cela à ma magie qui me permettait d’assimiler des créatures démoniaques. Pour moi, c’était à cause de la nature sombre de ma magie que j’étais maudit.

Pour Jet, c’était encore plus amusant, et mon hypothèse, concernant la raison pour laquelle il trouvait aussi le moyen de transformer une situation lambda en situation de vie ou de mort, était assez loufoque. Celui-ci utilisait la magie du magnétisme. Attirer et repousser les métaux étaient donc ses spécialités. Donc, par extension, il semblait aussi pouvoir attirer les problèmes sur lui tout en les repoussant sur son entourage également. Bon d’accord, c’était vraiment débile comme explication. La vérité, c’était que Jet était sans aucun doute mon plus grand fan, et cherchait donc à suivre mon exemple de A à Z. Ainsi, il plagiait mon mode de vie – voyageur – et ma malédiction à sa façon. Quelque part, je ne pouvais pas lui en vouloir. Après tout, il suffisait de me regarder pour comprendre la raison d’une telle admiration, proche du fanatisme… Plus sérieusement, Jet était venu pour annoncer à Sky que la Master désirait lui parler et qu’elle devait la rejoindre. Tant pis pour nos retrouvailles après tout, la Master passait avant tout. L’observant partir, ni Jet ni moi ne prononçâmes un mot. Ce n’était pas parce que nous n’avions rien à dire ou parce que nous ne nous entendions pas bien. Bien au contraire même, on s’entendait même très bien. Le truc, c’était que contrairement à la jeune mage aux cheveux roses, je savais que Jet avait lu l’article du Sorcerer Magazine. La tension était donc montée d’un cran à l’instant même où Sky nous avait quittés. Une seconde plus tard, Jet remarqua le journal dans ma poche et son visage changea d’expression.

Hmm.. Était-ce de l’inquiétude que je voyais, voire peut-être même un soupçon de culpabilité ? Je n’étais pas sûr du tout pour le coup. De base, le jeune Magnéto ici présent n’était pas très expressif, donc pour discerner une multitude d’émotions sur son visage, il fallait vraiment chercher ! Là, pour le coup, j’avais peu de chances de me tromper sur la partie inquiétude. Jet était bien plus sentimental que l’on pourrait le croire au premier abord. J’avais entendu parler de sa phase « stalker » lorsqu’il avait apparemment suivi notre déesse Kali pour la sauver d’une mage noire d’Oracion Seis. Bref, tout ça pour dire que ce n’était pas parce qu’il ne montrait pas ses émotions ou son appréciation pour son entourage qu’il ne ressentait rien. Il me fit remarquer que j’avais également pris connaissance de la situation actuelle du Royaume de Fiore en lisant l’article, et me demanda aussitôt ce que j’en pensais. Était-ce une erreur ?

« Nope, malheureusement, ce n’est pas du tout un erreur. Le Conseil a bel et bien perdu la tête en provoquant aussi ouvertement l’Alliance Baram : la guerre vient d’être ouvertement déclarée. »

Je le disais comme le je le pensais. Ils avaient pété les plombs en publiant de telles choses pour que tout le monde puisse voir. Surtout que je voyais même pas en quoi ça allait rassurer les habitants lambdas du Royaume de savoir que 3 criminels seraient exécutés sur une île volcanique. De même, le simple fait de préciser que toute une armée serait mobilisée pour veiller à ce que l’exécution se passe bien montrait qu’ils savaient très bien qu’ils venaient de déclarer une guerre. Me maintenant toujours debout face à Jet, je poursuivis d’un ton las en me grattant l’arrière de la tête :

« Je t’avoue quand même que ce qui me dérange le plus dans cette annonce, c’est le côté retransmission en direct avec les Lacrymas visuels. Le Conseil cherche à les humilier publiquement et je n’aime pas ça du tout. Il cherche bêtement les ennuis, tu ne crois pas ? »

Moi aussi je voulais connaître son avis sur la question. Je cherchais également à en apprendre plus sur cette micro-expression qui me laissait penser qu’il ressentait de la culpabilité quelque part. Clairement, je ne voyais pas pourquoi il devrait se sentir coupable. C’était le Conseil qui avait fait n’importe quoi ! C’était les membres du Conseil qui venaient de mettre en danger leur armée mais aussi la population qu’ils se devaient de protéger ! C’était encore une fois le Conseil qui n’avait rien trouvé de mieux que d’inclure des mages officiels dans cette future boucherie qui ne tarderait pas à avoir lieu sur Gehenna Island ! Franchement, quelle idée de mettre une date précise pour cette exécution…et le pire c’était que la date était assez éloignée du jour actuelle. Traduction ? L’Alliance Baram disposait de suffisamment de temps pour préparer ses troupes, s’entraîner pour l’occasion, et réunir un maximum d’informations sur les dispositions qui seront mises en place sur l’île. Bref, c’était un peu comme s’ouvrir les bras et les jambes, s’installer dans une cage sous l’eau et ouvrir cette cage de deux côtés pour appâter les requins se trouvant à proximité… N’était-ce pas une idée géniale !? Poussant un profond soupir, j’indiquai alors le coin d’un arbre à Jet pour qu’on s’y pose afin de poursuivre cette discussion à l’abri d’éventuelles oreilles indiscrètes. Une fois assis confortablement, je lui demandai :

« Tu as l’intention de participer à cette boucherie ? »

Je ne savais pas s’il le remarquerait ou pas, mais j’avais bien pris soin de ne pas préciser ma question. Je ne lui demandais pas s’il comptait répondre à l’annonce du Conseil pour combattre de leur côté, je voulais simplement savoir s’il serait là-bas. Après tout, il n’était pas impossible que certains mages officiels décident de s’y rendre uniquement pour détruire les Lacrymas visuels et mettre fin à cette diffusion ridicule. Dans le même temps, je supposais que certains pourraient même participer depuis l’autre camp… Qu’en était-il de Jet ? Serait-il au moins de la partie ?

Tobias semblait m'avoir mal compris. Ou du moins, c'était ce que sa réponse me faisait comprendre. Quand je parlais d'une « erreur », je faisais référence au choix du Conseil d'exécuter publiquement ces trois mages noirs, et de lancer ainsi un défi sous-entendu à l'alliance Baram. « Venez les sauvez, si vous l'osez ! ». Voilà la faute. Mais lui avait compris que je demandais si l'information elle-même était erronée. Évidemment que non. Pas pour un truc de cette importance. Le Conseil avait bien des défauts, mais s'il fallait leur reconnaître une chose, c'était de bien maîtriser les informations. Ils avait révélé à la rédaction du Sorcerer uniquement ce qu'ils voulaient que tout le monde sache. Nul doute que bien des surprises nous attendaient tous là-bas. Je doutais même que les mages officiels convoqués soient dans les secrets du plan de bataille.
Exprimant sa désapprobation sur la publicité et la mise en scène, Tobias me demanda mon avis sur ce point. Mais lequel ? L'exécution ou le fait qu'elle soit publique ? Et comment lui répondre sans risquer de me trahir ? Après tout, il faisait preuve d'une perspicacité redoutable par moments. Après avoir hésité un instant, je décidai de parler en mon âme et conscience.

L'idée même de ces mises à morts est une aberration. Ils auraient simplement du les les laisser en prison, quitte à jeter la clé.

Oui, je ne mâchais pas mes mots. La vie, aussi misérable soit-elle, valait toujours mieux que la mort. Une fois abattus, plus rien ne pouvait ramener à la vie ces pauvres bougres. Voilà pourquoi je me refusais à prendre la moindre vie lorsque je combattais. Même celle du plus abominable des mages noirs. Je me refusais à assumer une décision aussi irréversible. Briser le moindre des os de ces salopards, les laisser à l'agonie, mais jamais aller plus loin. Je pense qu'en fait, malgré tous mes grands airs, j'étais trop bon...

Mon camarade poussa un long soupir, mais j'ignorais s'il était du à ma réponse, ou à ses propres pensées, sans doute guère plus joyeuses que les miennes. D'un geste de la tête, il me fit signe d'aller discuter dans un coin plus tranquille. Bonne initiative de sa part. Si nos mentalités étaient assez semblables, pour ce que je savais de lui, certains des autres Lamia risquaient de se montrer moins compréhensifs. Et je ne tenais surtout pas à démarrer un débat à la guilde et à encore me faire remarquer. Non, au contraire. Depuis que j'avais arrêté ma décision, je me tenais aussi discret que possible. Avec un peu de chances, on ne remarquerait même pas ma présence. Ni mon absence le moment venu...
Une fois posés tous les deux, l'utilisateur de Take Over reprit la parole et me demanda si j'avais prévu de prendre part à cette bataille. Bien que j'avais prévu qu'on me pose cette question un jour ou l'autre, je ne savais toujours pas comment y faire face. J'hésitais longuement, si longuement que ça aurait pu paraître suspect auprès de certains. Mais je devais m'ouvrir, au moins partiellement, à quelqu'un, sinon, je risquais de craquer mentalement avant même de me rendre sur Gehenna. Je lui répondis donc, bien que quelques mensonges se mêlèrent à la vérité.

Je... Je ne sais pas... Si je prenais part à ce simulacre de justice, alors je devrais agir à contrecoeur, car je suis foncièrement contre. Mais, d'un autre côté... Si je restais ici sans rien faire pendant que des centaines, que dis-je, des milliers de personnes, dont plusieurs de mes camarades vont risquer leur vie... Alors, dire que je me mépriserais ne serait pas encore assez fort...

Apparemment, j’avais mal compris la question de Jet, donnant ainsi un autre sens à sa phrase. Résultat, la réponse que je lui avais fournie n’avait pas grand-chose à voir avec sa question. Enfin si, techniquement, ma réponse avait du sens compte-tenu du sens que j’avais donné à sa question. Mais pour lui, ma réponse ne devait pas avoir de sens vis-à-vis du sens qu’il avait donné à sa question. Bref, il y avait là un malentendu entre nous. Fort heureusement pour moi, le jeune mage avait complété ma réponse avec la sienne suite à ma question, me faisant ainsi comprendre où il avait voulu en venir au départ. Il avait cherché à connaître mon avis sur l’erreur du Conseil, et si pour moi il s’agissait bien d’une bêtise ou non. Pour le coup, j’étais d’accord avec lui. Après tout, n’avais-je pas passé les dernières heures à me plaindre de la stupidité des membres du Conseil de la magie ? Ben si, je n’avais pas fait que ça, tout en prenant bien soin de ne surtout pas réveiller Arya qui dormait paisiblement. Depuis le temps que je la faisais voler à droite et à gauche, elle méritait bien son sommeil. D’un autre côté, elle semblait largement préférée voler au-dessus des nuages que traîner sur la terre ferme, et c’était quelque chose que je pouvais comprendre depuis que j’avais appris à voler sous ma forme du Démon Amy. Le fait de voler par soi-même n’avait rien à voir avec le fait de voler sur une monture. Il était bien plus enivrant de pouvoir contrôler dans les moindres détails sa vitesse, mais aussi les changements de trajectoire et les descentes en piquée ! Le truc, c’était que mes réserves de magie avaient leurs limites, je ne pouvais donc pas me permettre de voyager continuellement sous cette forme. Il m’était donc nécessaire de voyager avec Arya si je désirais prendre la voie des airs.

Une aberration ? C’était le terme employé par Jet en pensant à ces exécutions. Personnellement, j’avais – comme je venais de le lui dire – plus de problème avec le côté retransmission publique. Mages noirs ou pas, criminels ou pas, ils restaient des hommes et des femmes. Un minimum de dignité n’était pas grand-chose à leur accorder. Pire encore, ils voyaient ça comme un exemple pour montrer que leur Armée et leur politique étaient efficaces. Mine de rien, c’était de la propagande. Pour lui, les laisser simplement en prison à perpétuité aurait dû leur suffire. Je le reconnaissais bien là. J’avais très vite compris que Jet était contre le meurtre, l’assassinat, l’exécution, ainsi que toute autre forme de mise à mort. Certains trouveraient cette façon de penser naïve. D’autres diraient qu’il avait parfaitement raison d’être contre le meurtre en général. Si l’on me demandait, je dirais que tout dépendait du contexte. Ici, s’il s’agissait de simples exécutions, je supposais que je n’avais pas mon mot à dire. Ce n’était pas moi qui faisais les lois, et si au-delà d’un certain niveau, un crime menait à la peine de mort, je l’acceptais. C’était aussi simple que ça. Les 3 prisonniers étaient des meurtriers. Ils n’avaient pas commis qu’un seul meurtre, mais plusieurs. Certes, ils nous avaient aidés pour combattre les Dragons Slayers. Cependant, une bonne action – intéressée qui plus est – n’effaçait pas pour autant leurs crimes. Ainsi, après toutes ces tueries de leur part, la décision de les exécuter n’avait vraiment rien d’extrême.

« Il serait plus cruel de les laisser pourrir en prison jusqu’à ce qu’ils meurent pourtant… Surtout que les gardes s’amusent sans aucun doute à les torturer dès qu’ils peuvent. »

Lui fis-je remarquer calmement. Jet n’était pas stupide. Il devait bien se douter que les gardes se plaisaient à torturer les prisonniers. Ces gardes étaient des gens comme nous. Eux aussi devaient mépriser les criminels, et certains d’entre eux devaient même les haïr au point de se défouler sur eux à la moindre occasion. Si ça se trouvait, ces mages noirs avaient éliminés un membre de leur famille, ou simplement un soldat chargé de protéger leur ville. En gros, tout portait à croire que les criminels seraient bien plus tranquilles s’ils étaient exécutés rapidement. Entre passer des décennies dans une cage à la merci de rancuniers sadiques ou me faire exécuter purement et simplement, je choisissais l’exécution. Faire souffrir les criminels ou les éliminer ? Les torturer pour leur faire payer leurs crimes ou les effacer une bonne fois pour toute de la surface du Royaume ? Dans un cas, on ne faisait qu’alimenter la haine. Dans l’autre, on passait à autre chose. Après, quand on choisissait d’exécuter publiquement ces criminels sur une île protégée par toute une Armée dans le but d’appâter les alliées de ces criminels, on provoquait une véritable catastrophe ! Au final, tant que les choses étaient faites purement et simplement, ça ne me posait pas trop de problème. Par contre, dès lors que ça devenait personnel ou que l’ego prenait le dessus sur la raison, ça me dérangeait tout particulièrement.

Une fois posé dans un coin plus tranquille, je repris notre conversation avec une toute nouvelle question pour lui. Le connaissant un minimum, soit il choisirait de ne pas prendre part parce qu’il n’était pas d’accord avec le Conseil sur ce coup-ci, soit il participerait, mais pour aider l’Alliance Baram à sauver ses camarades. Ça ne m’étonnerait franchement pas. Et puisqu’il y avait des Slayers parmi les prisonniers, je voyais très bien Ren – qui les considérait comme de véritables membres de sa famille – faire de même. Ce n’était pas le genre de choses que je pouvais blâmer. Mon grand-père m’avait très tôt fait comprendre que lorsqu’une personne croyait à ce point en quelque chose, l’empêcher d’agir dans le sens de ses croyances n’était clairement pas une idée. De même, je savais très bien qui était Ren : il était un soigneur avant tout. Je n’avais donc aucune raison de m’inquiéter sur ce qu’il ferait là-bas, et donc aucune raison de chercher à l’en empêcher dans le cas où je le croiserais sur ma route une fois à Gehenna. En ce qui concernait Jet, je savais aussi qu’il n’était pas un tueur. Au vu de sa réaction viscérale face à l’exécution de criminels, il serait plus raisonnable de s’inquiéter pour sa survie à lui plutôt que sur celles de ses adversaires… Dans le cas où Jet se jetterait dans la bataille du côté des mages noirs, il se ferait sans doute tuer dans le feu de l’action. Le gars s’était quand même amusé à envoyer une membre de Oracion Seis en prison. Donc non seulement il irait à l’encontre de l’Armée et des mages officiels recrutés, mais en plus je voyais mal l’Alliance Baram l’accepter comme ça… Bref, je commençais à avoir peur de sa réponse à ma question.

Comme prévu, sa réponse ne me surprit absolument pas. Pour quelqu’un de réservé, il était bien plus facile à cerner que ce qu’on pourrait croire. Après, il n’y avait peut-être que moi qui étais capable de mener à bien ce type de raisonnement. On m’avait toujours fait remarquer que ma façon de penser était bien trop illogique pour faire sens, et pourtant, je partais du principe que mes raisonnements étaient toujours logiques. Donc soit mon illogisme était logique uniquement pour moi, soit c’était les autres qui manquaient de logique. C’était quand même dommage pour eux de ne rien comprendre à ma façon de voir les choses, de les lier entre elles et d’en tirer des conclusions. D’un autre côté, ça me permettait – en combat – de ne pas être prévisible et de toujours prendre mes adversaires au dépourvu. Couplé à mon air niais, on ne voyait jamais venir mes stratégies basées sur une observation poussée du camp adverse. Pour leur défense, il était difficile de me prendre au sérieux quand on me voyait. Il était donc difficile de se mettre à l’idée du danger que je pouvais potentiellement représenter. D’ailleurs en parlant d’imprévisibilité, j’avais décidé de m’amuser un peu et d’embêter Jet avec des suggestions ridicules – au premier abord – mais pleines de bon sens. Juste avant que je ne lui réponde, par contre, Arya descendit du toit et vint se poser à mes côtés. Nonchalamment, je me mis à lui gratouiller le cou. Dans le même temps, je fis remarquer à Jet avec un petit sourire machiavélique.

« Tu sais Jet… Tu peux toujours aller à Gehenna et combattre pour l’Alliance Baram. Ce serait le plus simple vis-à-vis de tes principes, non ? »

Oui, je cherchais délibérément à le taquiner ici. Soit, il avait déjà eu cette idée et pris une décision, soit il n’y avait pas encore pensé et je le lui suggérais, ou alors il y avait pensé et nécessitait un simple coup de pouce pour se lancer. En le lui proposant comme ça, tout en lui montrant que – compte-tenu de qui il était – c’était la décision la plus logique, je parviendrais sans doute à soulager ne serait-ce qu’un peu sa conscience. Je n’étais toujours pas sûr du fait que c’était ce qu’il comptait faire ou même qu’il y avait pensé, mais dans un cas comme dans l’autre ça ne changerait rien. Tôt ou tard, l’idée lui serait venue. Ici, je lui avais proposé cette idée juste comme ça sur le ton de la conversation. Libre à lui de voir si j’étais sérieux ou si je plaisantais. Mais bon, mon simple sourire lui permettrait de comprendre que je le taquinais. Et franchement, n’était-ce pas totalement loufoque qu’un mage officiel suggère à un autre mage officiel d’aller combattre pour le camp des mages noirs ? Oh si, d’un point de vue extérieur, ça n’avait strictement aucun sens ! Là, rien qu’entre nous, ça avait beaucoup de sens. Décidant d’en rajouter une couche pour bien rigoler et complètement détendre l’atmosphère, j’ajoutai :

« Si ça peut te rassurer, je serai aussi de la partie…mais du côté du Conseil. Je verrai de près tes progrès comme ça. »

Je lui tirai la langue juste après, pour bien lui montrer que je ne lui en voudrais absolument pas peu importait sa décision. Jet était un mec bien après tout. Je n’avais aucune raison de le considérer comme un ennemi. Au contraire même, je l’aimais bien moi. Renfermé ou pas, je n’avais jamais eu de mal à lui parler. Tout en continuant de jouer avec le plumage de ma Flashbird, j’observais Jet pour voir comment il réagirait à tout ce que je venais de lui dire.

Malgré nos personnalités semblables, Tobias avait une opinion radicalement opposée à la mienne. Là où il était partisan d'une mort propre par opposition à une vie de honte et de souffrance, je croyais dur comme fer que la plus misérable des vie valait toujours mieux que le trépas. Après tout, même au fond du gouffre, il y avait toujours une possibilité, aussi minime soit-elle, d'amélioration. Alors que mourir ne permettait aucun demi-tour, aucun changement. Il fallait donc s'accrocher à la vie autant que possible, aussi longtemps que possible. Mais même si je ne partageais pas son point de vue, je pouvais le comprendre.
Une autre chose qui me dérangeait dans ces exécutions, c'était la manière dont ces trois individus avaient été appréhendés. Bien évidemment qu'ils méritaient de croupir en prison jusqu'à la fin de leurs jours. Une bonne action à la Tour du Paradis ne rachetait pas des années de crimes, de terreur et de meurtres. Mais... au fond de moi, une petite voix ne cessait de me répéter que ce n'était pas juste. Ils devaient payer pour leur crimes, finir au fond d'une cellule, mais pas en étant capturés de la sorte. Je n'était pas du genre à croire à un combat loyal, mais la trahison ne me plaisait guère, et c'est pourtant ce qui avait permis d'arrêter ces trois mages, alors qu'ils étaient exténués après leur combat pour défendre le royaume d'une menace encore pire qu'eux.
Pour l'avoir déjà rencontré, je me posais la question. Si la situation avait été inversée, est-ce que le Dark Knight aurait agi de la même façon ? Aurait-il renié sa parole pour pouvoir éliminer ses adversaires avec facilité ? Je ne pensais pas. Ce type croyait trop en son sacro-saint code de la chevalerie pour revenir sur sa parole. En ce sens, le Master de Grimoire Heart se montrait plus honnête que les Conseillers qui régentaient le royaume. Un comble... D'où le dilemme que je traversais.

Alors que j'étais perdu dans mes réflexions, le Flashbird de Tobias vint se poser à nos côtés. Apparemment pas du tout intimidé par ma présence, elle se plaça à côté de mon camarade pour recevoir un peu d'attention. Surpris par l'arrivée de ce volatile peu commun, ce ne fut cependant rien par rapport à ma réaction quand le blondinet me fit une suggestion peu banale. J'espérais qu'il n'avait pas perçu mon sursaut. Il ne pouvait pas avoir deviné ! Si ? A moins que ça ne soit encore son humour tordu ? Comment réagir à ça ? Une mauvaise interprétation et j'étais percé à jour. Heureusement, en quelque sorte, je fus sorti de mon embarras par un pas lourd qui se rapprochait. Blitz, attiré par Arya, venait satisfaire sa curiosité. D'un claquement de doigt, je lui fis comprendre d'y aller doucement. La différence de gabarit pouvait blesser la pauvre bête. Profitant de cet intervalle bienheureux, je finis par répondre d'une voix pleine de sarcasme au meilleur élément de la guilde.

Ben voyons... Pour qu'ensuite, le blâme retombe sur Master Johanna, et que la réputation de la guilde en pâtisse ? Non, je préférerais encore la quitter si jamais je faisais une telle connerie. Au moins, personne n'aurait à assumer les conséquences de mes actes.

Puis, alors qu'il en rajoutait,je compris que lui aussi serait sur place. Mais dans l'autre camp. Le bon camp. Je décidai alors de répondre par une petite pique amicale.

Méfie-toi, il se pourrait que tu ne restes plus très longtemps l'Ace de Lamia Scale ! Après tout, j'ai de grands projets en vue, des projets qui impliquent que je ne rejoigne pas l'Alliance Baram...

S’il y avait bien une chose pour laquelle j’étais doué en ce bas monde, c’était raconter n’importe quoi. En effet, j’étais capable d’entamer une discussion des plus sérieuses pour sortir, au moment où personne ne s’y attendait, une bêtise. Techniquement, ce n’était une bêtise qu’au premier abord puisque dès lors qu’on réfléchissait ne serait-ce qu’un minimum à ce que je venais de dire, on se rendait compte que ce n’était pas dénué de sens. Le tout, bien entendu, c’était de prendre la peine de bien m’écouter et de comprendre ce que je voulais dire avant de catégoriser mes paroles comme inutiles, inappropriées et sans intérêt compte-tenu du contexte. Là, en l’occurrence, j’avais réfléchi avant d’émettre cette suggestion à Jet. J’avais pris la peine de prendre en compte tous les éléments de cette histoire. Il y avait les antécédents des criminels qui seraient exécutés, la façon dont ceux-ci avaient été capturés, la façon dont ils allaient être exécutés, et la personnalité et les valeurs de Jet à considérer. Or, une fois que l’on prenait tout cela en compte, il s’avérait que ma proposition n’était pas si bête que ça. D’ailleurs, j’étais certain de ne pas être le seul à y avoir pensé. Mon nakama, ici présent, s’était forcément posé la question au moins une fois : devait-il prendre le parti des mages noirs ? Si oui, quels en seraient les conséquences ? Et surtout, était-il prêt à les assumer ?

Bien que je cherchais à provoquer une réaction chez lui avec ces mots, et que je discutais de tout ça avec une certaine légèreté, j’étais inquiet. Yep, j’étais inquiet pour Jet. Peu importait qu’il croit en ses valeurs dures comme fer, et que c’était justement ces valeurs qui faisaient de lui un mec bien. Ces valeurs finiraient tôt ou tard par le tuer, et ça, j’en étais certain. Lors de cette guerre ouverte entre l’Alliance Baram et l’Armée de Fiore, les gens comme Jet se retrouveraient en plein milieu et seraient certainement les premières victimes. Ses progrès depuis qu’il avait rejoint Lamia Scale et sa puissance actuelle n’y changeraient rien. Il serait la cible principale des 2 camps dès lors qu’ils comprendraient ce qu’il était venu faire sur l’île. A côté de ça, il n’était pas la personne la plus sociable du Royaume, et pas non plus des plus appréciés d’après ce que j’avais pu comprendre. Il ne cherchait à se lier à personne, et trouvait généralement le moyen de se faire haïr de la gente féminine apparemment. Yep, les rumeurs circulaient assez vite, et j’avais tendance à garder un œil sur tout ce qui concernait de près ou de loin mes nakamas. Je n’étais peut-être pas souvent là, mais ça ne voulait pas dire pour autant que je me fichais de ce qui arrivait à mes camarades. Ren, de son côté, était typiquement le genre de gars qui se faisait apprécier de tout le monde, et ce, peu importait leur camp. D’un autre côté, ceux qui n’aimaient pas son genre – tout gentil et tout protecteur avec tout le monde – le respectaient quand même suffisamment pour ne pas le chercher bêtement. Jet, par contre, ne disposait pas de ce genre de protection, et c’était la raison pour laquelle j’avais des doutes sur ses chances de survie.

Arya nous avait rejoints depuis le temps et, tout en lui accordant un peu d’affection, j’observais le magnétiseur. Du coin de l’œil, j’avais donc remarqué son léger sursaut qui semblait confirmer mes doutes. Ou pas. Un pas lourd se fit entendre et mon attention fut aussitôt dirigée vers ce qui semblait être un…Viloraptor ? Je n’en avais jamais croisé jusqu’à présent, mais j’avais déjà vu à quoi ça ressemblait dans un bestiaire. Plutôt imposante la créature. Certes, il y avait tout un monde entre un Viloraptor et un T-Rex Pyromane mais bon, il était quand même assez grand pour m’arracher le bras d’un coup de dents. En temps normal, ma Flashbird se serait barrée à toute vitesse rien qu’à la vue d’un tel monstre si proche d’elle. Là, elle ne réagit presque pas à son arrivée, bien qu’elle sursauta légèrement à cause des pas du reptile. Les raisons étaient assez simples à deviner. La première, c’était ma présence. On voyageait ensemble depuis un moment déjà et j’avais toujours pris soin de la protéger, y compris au péril de ma vie. Elle savait donc pertinemment qu’il faudrait me passer dessus avant de pouvoir la blesser. Arya avait confiance en moi. A côté de ça, nous étions ici au QG de Lamia Scale. Traduction ? Il n’y avait rien de dangereux pour elle. Aucune menace ne circulait au sein de notre guilde, elle n’avait donc rien à craindre. Enfin – et ce n’était en rien une critique pour le Viloraptor – elle avait déjà vu plus grand, plus gros, plus effrayant et plus menaçant. Le Wyvern Misty que j’avais dû vaincre pour la protéger était presque deux fois plus large que lui, et si j’avais pu m’en défaire, Arya supposait que le reptile ne serait pas un problème pour moi. La logique était différente pour les créatures après tout. La loi de la jungle dictait que plus grosse était la bête, plus puissante et dangereuse elle était. Dans le monde des mages et des mercenaires, cette règle n’avait pas lieu d’être par contre.

Pendant quelques secondes, je me perdis à admirer le fait que Jet s’était procuré un compagnon intéressant qui semblait comprendre ses intentions d’un claquement de doigts. Tant mieux pour lui. Je me demandais comment tous deux s’étaient rencontrés. Connaissant Jet, je le voyais bien être tombé sur lui, littéralement. Il faudrait que je pense à lui demander tiens. Celui-ci décida finalement de répondre à ma proposition avec une overdose de sarcasme. Ah la la, erreur de débutant. Le sarcasme était le meilleur moyen de me faire comprendre que j’avais touché un point sensible. Pauvre Jet, si jeune et si novice en matière de mensonge et tromperie en tout genre. Bon, quelque part, ça m’arrangerait. Ce serait quand même bête que, par erreur, je le carbonise sur le terrain, non ? Ou pire encore, il pourrait se manger un poing – ou quatre – de ma part sous ma forme du Démon Magoa. Or, avec son gabarit, il risquerait fortement de le sentir passer et d’atterrir quelques minutes plus tard sur Carmina. Bon d’accord, je surestimais un peu la puissance de mes coups de poing. Cependant, le jeune mage était un poids-mouche, et encore j’étais gentil. Grand, oui, mais assez fin pour s’envoler face à un vent trop violent. Pas étonnant qu’il se serve de la magie du magnétisme. Il avait besoin de tous ces métaux sur lui pour s’alourdir et garder les pieds au sol…

D’après lui, notre Master serait blâmé dans le cas où il ferait n’importe quoi. Euh…d’où il sortait ça lui ? La réputation de la guilde en pâtirait ? Houlà !! Il était parti loin celui-là ! S’imaginait-il vraiment que les actions d’une personne pourraient avoir une telle influence sur toute la guilde ? Pensait-il vraiment que dans le cas où il aiderait l’Alliance Baram lors de cette guerre, toute la guilde en subirait les conséquences ? Hmm, je ne savais pas trop ce qu’il foutait dans ses rations de nourriture lorsqu’il partait en mission, mais Jet était clairement sous l’influence de substances illicites… Non mais d’où il sortait des pensées pareilles celui-là ?!! Cela ne faisait même pas un an qu’il avait rejoint la guilde. Aux yeux du Conseil, il venait tout juste de débarquer. Ce n’était pas comme Kalindra qui était là depuis quelques années, ou moi depuis une décennie, ou même notre Master qui était là depuis deux ans. Lui venait d’arriver pratiquement. Certes, il s’était fait une bonne réputation en un laps de temps si court, mais son nom n’était pas encore synonyme de Lamia Scale. Et notre Master n’était pas notre mère. Elle ne nous faisait pas passer un test psychologique avant de nous accepter dans la guilde. Soit dit en passant, c’était moi qui l’avais fait entrer en plus. Jet pourrait être un psychopathe en puissance que notre guilde n’en serait pas blâmée pour autant. Au pire, on nous poserait quelques questions pour savoir s’il lui était arrivé d’agir étrangement avant de péter les plombs. Mais, en aucun cas, on n’aurait d’ennuis à cause de son assistance envers l’Alliance Baram. Jet était un grand garçon, capable de prendre ses décisions tout seul. Traduction ? Il serait le seul à blâmer pour ses bêtises. D’ailleurs, dans le cas où on serait blâmé, quitter la guilde deux jours avant ne nous rendrait pas innocent pour autant.

Après lui avoir fait savoir que je serais également de la partie, il décida de me provoquer un petit peu. Pour commencer, ce n’était pas la première fois qu’il me parlait de cette idée qu’il avait comme quoi j’étais l’Ace de la guilde. Mouais, je n’étais pas d’accord avec lui là-dessus. Si l’Ace de la guilde représentait la personne capable de vaincre tous les membres de sa propre guilde, ce n’était pas moi. Il y avait des gens ici que je serais tout bonnement incapable d’affronter. Kalindra faisait partie de ces gens-là. Peu importait la situation, il m’était impossible de l’attaquer, et encore moins de la vaincre. Je pourrais éventuellement la pousser à abandonner en échange de nourritures… Oui, ça pourrait marcher. Mais en combat, je ne pouvais la battre. Et il y en avait d’autres des comme ça. Quoiqu’il en soit, un sourire s’afficha sur mon visage au moment où je lui répondis :

« Je t’ai déjà dit que c’était Kalindra l’Ace de la guilde. Personne ne peut la vaincre. – marquant une légère pause, je ne tardai pas à reprendre d’une voix pleine de sous-entendus. – Et qui a parlé de rejoindre l’Alliance Baram ? Tu n’en as clairement pas besoin pour leur prêter main forte… »

Et c’était vrai. Rien ne le forçait à rejoindre une guilde noire s’il comptait seulement les aider pour cette fois-là. Bien entendu, s’il les aidait et que les prisonniers étaient libérés, Jet ferait enfin face à la réalité : pour lui, il n’y avait aucune bonne solution. S’il n’y allait pas, il se dégoûterait lui-même et ne s’en remettrait pas s’il perdait des camarades. S’il y allait, du côté du Conseil, il irait à l’encontre de ses principes et serait incapable de se battre sérieusement. S’il y allait, du côté de Baram, il suivrait ses principes et se battrait sans problème pour ses valeurs. Le problème viendrait après. Bah oui, c’était toujours des meurtriers qu’il cherchait à aider. Et ces meurtriers resteraient des meurtriers une fois libre. Ce passage en prison pourrait même les rendre d’autant plus violents et rancuniers. Or, des meurtriers en quête de vengeance et tout juste libérés n’étaient clairement pas une bonne chose. Une fois libre, ils pourraient de nouveau tuer, torturer, kidnapper et détruire comme bon leur semblait. Et si de telles choses se produisaient après leur libération – pour laquelle se battrait Jet – il supposerait naturellement que c’était, en partie, de sa faute. Et, au vu de la façon dont il s’imaginait que Lamia Scale aurait des problèmes s’il faisait n’importe quoi, je n’osais même pas imaginer le degré de culpabilité qu’il ressentirait suite aux crimes que ces prisonniers commettraient après leur libération. C’était la raison pour laquelle j’affirmais que les valeurs de Jet finiraient par le tuer. Il se foutait une pression monstrueuse sur les épaules à cause de son code d’honneur. Le pire, c’était qu’il n’avait clairement pas l’air de s’en rendre compte. Devais-je le lui dire ? M’écouterait-il seulement ? Et quand bien même il m’écouterait, était-il capable de changer sa façon de voir les choses ? Avec le temps, sûrement. Mais sans doute pas avant le jour de ces exécutions. Jet était encore jeune. Son champ de vision était donc plutôt réduit actuellement. Ainsi, j’aurais beau lui dire de prendre du recul pour regarder tout le tableau avant de prendre une décision, j’étais certain qu’il s’entêterait quand même. Au jour d’aujourd’hui, Jet finirait toujours par perdre.

Poussant un profond soupir, je décidai de changer de sujet. Plus je réfléchissais à tout cela, et plus je déprimais. D’ailleurs, le résultat devait se voir sur mon visage. Une expression sombre, triste et résolu, un peu comme si je venais de comprendre quelque chose et que j’acceptais le fait que je n’y pouvais rien pour le moment. Tant que cette guerre n’aurait pas lieu, il ne serait pas prêt à m’entendre. S’il y survivait et assistait aux conséquences de ses décisions et de ses actions, là je pourrais lui parler et le forcer à reculer pour prendre tout le tableau en compte et pas juste ce qui se trouvait sous ses yeux. Dans le même temps, cela l’aiderait énormément dans ses futurs combats. Mais bon, le jeune mage devrait attendre encore un peu avant de profiter de mes sages conseils. D’abord, il devait éviter de mourir sur le champ de bataille. Ce qui lui serait difficile sachant qu’il aurait les 2 camps après ses fesses. Puis, les prisonniers libérés devraient refaire parler d’eux en reprenant leurs activités criminels. A ce moment-là, je pourrais lui faire ouvrir les yeux sur le monde qui l’entourait. Commençant par lever les yeux au ciel afin de ré-adopter mon air détendu, je lui fis remarquer :

« Une dernière chose avant de changer de sujet. Peu importe ta décision et tes actions futures, la guilde et notre Master n’en subiront aucune conséquence. Tu es ta propre personne et tu es suffisamment grand, je crois, pour prendre tes propres décisions. Après, es-tu seulement capable de les assumer ? Ça, c’est une autre histoire. »

Détendu ou pas, il avait dû comprendre à ma phrase anormalement longue que j’étais sérieux sur ce coup-là et que je savais exactement de quoi je parlais. Une personne ne faisait pas une guilde, et une personne n’était pas capable de créer des problèmes à toute une guilde en en aidant une autre. A moins qu’il ne déclenche un conflit – en revendiquant le nom de Lamia Scale – et l’attire directement à notre porte, toutes ses bêtises seraient considérées comme ses bêtises et uniquement ses bêtises à lui. Sans vouloir être méchant, c’était vachement égocentrique de sa part de s’imaginer qu’une décision pareille affecterait la vie de toute notre guilde. Encore, s’il était le frère caché du Leader de l’Alliance Baram… Mais bon, ce n’était pas le cas. Il n’y avait donc aucune raison de s’inquiéter. Allez, il était temps de passer à autre chose. Indiquant son reptile, je lui demandais simplement :

« Sinon, tu m’expliques comment t’as fait pour le pêcher celui-là ? Je croyais que le grand et magnifique Jet Hyle marchait en solo… »

Clairement, j’étais toujours capable de me moquer un peu de lui et de lui balancer des piques bien placées. En attendant, j’avais hâte d’en apprendre plus sur cette aventure qui semblait particulièrement intéressante.

J'avais sans doute réagi un peu trop abruptement pour mon propre bien. Tobias était perspicace. Un peu trop pour mon bien, d'ailleurs. C'était la raison pour laquelle j'étais si partagé à son sujet. D'un côté, j'appréciais sa compagnie, et son style. Tout comme moi, c'était un solitaire qui bossait dur. Mais de l'autre côté, je ne savais jamais s'il était sérieux ou pas, et j'avais la curieuse et désagréable impression qu'il lisait en moi à livre ouvert... Vu que je voulais à tout pris maintenir cette illusion de personne froide et distante, ça posait comme qui dirait un léger problème. Mais bon, en tant que bras droit de Master Johanna, il devait être habitué à gérer les divers membres et leurs tracas. Il semblait donc normal qu'il soit capable de percevoir mes mensonges. A moins que tout ce temps passé à la guilde, auprès de mes camarades, m'ait adouci ?

Voyant que le flashbird d'El Diablo ne semblait pas effrayé, je permis à mon compagnon de s'approcher plus, car je le voyais déjà trépigner de curiosité. Il n'y avait pas beaucoup de créatures qu'il pouvait approcher de si près, et pour une fois, l'une d'entre elles ne prenait pas la fuite, ni ne l'attaquait. Il était normal qu'il veuille jouer un peu. J'en profitai donc pour répondre à la question de Tobias, et annoncer que je comptais bien le dépasser rapidement. Après tout, même si lui-même ne se considérait pas comme tel, je le voyais, moi, comme le mage le plus puissant de Lamia Scale.
D'ailleurs, j'espérais de tout cœur ne pas me retrouver face à lui sur Gehenna. Non pas car je n'étais pas encore capable de le vaincre, même si c'était le cas, mais car je ne tenais pas à employer ma magie contre un de mes camarades. Enfin, pas comme ça. Je serai plus que ravi de tester mes progrès contre celui que je considérais comme un ami, mais en un contre un, dans un match d'entraînement, avec des règles fixées. Pas sur un champ de bataille, là où tout pouvait arriver pour fausser le résultat et, pire encore, mettre la vie d'un des deux opposants en danger.

Tobias commença par me répondre avec humour, comme quoi il n'était pas l'Ace de la guilde, mais qu'il s'agissait de Kalindra, un fait qu'il avait déjà souligné lors de notre rencontre, quand je l'avais affronté, pensant devoir réussir son épreuve pour être accepté à Lamia Scale. Il m'expliqua ensuite son raisonnement : personne n'ayant le cœur de frapper notre camarade, elle se trouvait de fait invincible dans notre guilde. Je fus tenté de sourire un instant devant cette vérité, même si certains n'avaient pas autant de scrupules à blesser la jeune fille. Je pensais par là à Melodia de Oracion Seis, par exemple.
Cependant, son ton changea après, me faisant comprendre... qu'il avait parfaitement compris ce que je comptais faire. Et merde. Je le regardai dans les yeux, essayant de comprendre s'il comptait me dénoncer à la Master, ou m'empêcher de m'y rendre par la force. Il en était capable après tout. Mais après un instant de silence qui sembla durer des heures, il poussa un long soupir que j'interprétais comme une résignation de sa part. Apparemment, il me laisserait suivre ma voie, même s'il n'était pas complètement d'accord. Son visage était d'ailleurs devenu de plus en plus sombre avec le temps, comme s'il était plongé dans de sinistres réflexions. Allons, ce n'est pas comme si je comptais me faire voir, ou laisser ma peau : j'allais revenir de là-bas vivant, et en restant anonyme, et ensuite, ce ne serait plus qu'un mauvais souvenir. Après cela, il fit une dernière déclaration sur cette histoire, déclarant que, contrairement à ce que je pensais, ni Master Johanna ni Lamia Scale n'auraient à souffrir de mes actions, et que je serai le seul à les assumer, si j'en étais capable. Mon avis différait là-dessus. Selon moi, on pourrait reprocher à notre chef de guilde de n'avoir aucun contrôle sur ses membres, ou même à la guilde d'accepter n'importe qui dans leurs rangs. Mais je ne tenais pas à repartir dans un débat avec lui, surtout s'il tenait à changer de sujet, donc je me contentai d'acquiescer d'un signe de la tête.

Après une pause plus longue, il désigna Blitz, et me demanda comment je l'avais obtenu, vu que j'avais l'habitude de travailler seul. Un peu gêné aux entournures par la manière dont il m'avait appelé, je décidai de ne pas relever et de lui répondre directement. Après tout, il n'y avait là aucun secret.

Ah, ça. Je suis comme qui dirait littéralement tombé dessus...

Sachant que cela nécessitait quelques explications, je me mis à lui résumer l'histoire complète. Il allait certainement bien se marrer. Peut-être même qu'il pourrait écrire dessus, étant donné ses activités de romancier ?

Je me baladais tranquillement, quand je me suis accidentellement retrouvé dans le repère d'une meute de viloraptors. J'ai donc eu le choix : mettre une dérouillée au plus costaud de la bande pour que les autres détalent, ou finir dans leurs estomacs. Au final, ça a terminé en match nul, et depuis, il a décidé de m'accompagner. Il est de meilleure compagnie que certains, et sacrément utile pour voyager, ou pour faire parler les récalcitrants. Tu serais surpris de l'effet que ses petites quenottes ont sur certains interlocuteurs réfractaires à mes questions...

Notre discussion commençait à devenir bien trop sérieuse mine de rien, et il en était de même pour mes réflexions de plus en plus sombres. Cette exécution publique s’annonçait d’ores et déjà catastrophique. Or, ce n’était pas une raison pour débattre et déprimer dessus pendant des semaines avant même qu’elle n’ait lieu. De plus, après en être arrivé à supposer – de manière logique – la mort prochaine de Jet, je préférais clairement changer de sujet avant de réagir de manière impulsive. Pour commencer, ce n’était pas mon genre de me montrer émotionnel et d’agir de façon exagérée pour empêcher quelque chose d’arriver. Ainsi, je ne me voyais clairement pas péter les plombs et kidnapper Jet pour lui sauver la vie d’une prédiction qui sortait de nulle part !! D’un autre côté, ça pourrait être marrant de voir sa tête si je décidais d’un coup de lui sauter dessus pour le ligoter le temps que toute cette histoire se termine. Bien entendu, il faudrait trouver un moyen de virer le reptile de l’équation. Personnellement, ça me gênerait d’avoir à le blesser pour atteindre le magnétiseur. Cependant, dans le cas où celui-ci était de mon avis sur la stupidité des décisions de son camarade – Jet – on pourrait éventuellement s’entendre pour alterner les tours de garde, non ? Tout en y réfléchissant sérieusement pendant quelques secondes, je jetai un coup d’œil au Viloraptor histoire de me faire un petit avis sur celui-ci. Clairement, mes pseudo-capacités de profilage n’étaient pas aussi efficaces sur les créatures que sur les humains. Il suffisait de me voir interagir avec Arya pour s’en rendre compte. Cela m’avait pris du temps pour ne serait-ce que faire la différence entre son expression qui disait qu’elle avait faim et celle qui signifiait qu’elle cherchait simplement à attirer mon attention. Donc, pour dresser un profil complet sur la personnalité de ce reptile, il me faudrait bien plus que quelques minutes.

Maintenant que je le voyais de plus près, je me rendais compte que son attention semblait fixée sur Arya. Pour sa défense, elle était magnifique. A côté de ça, il s’agissait là d’une créature des plus rares. Ainsi, même dans le monde des créatures, celles-ci ne se rencontraient pas toutes. Chaque créature avait sa zone de prédilection. Et entre un Flashbird et un Viloraptor, il y avait clairement tout un monde entre les deux. Arya passait plus de temps dans les airs, au-dessus des nuages, que sur terre où elle serait plus vulnérable. Le reptile, au contraire, était une créature terrestre et au vu de sa taille, un oiseau ne l’approcherait jamais. Sa curiosité était donc parfaitement compréhensible. Jet, par contre, ne semblait pas montrer la même chose. Avait-il déjà croisé un Flashbird sur sa route ou se fichait-il simplement de leur existence ? Hmm, s’il se fichait d’un oiseau à deux têtes au plumage d’or, comment en était-il arrivé à se faire accompagner par cette large créature ? Cette question m’intriguait de plus en plus. L’un comme l’autre n’avait pas l’air du genre à chercher la compagnie de l’autre. L’un comme l’autre ne donnait pas l’impression d’être sociable au premier abord. Donc que s’était-il passé pour qu’ils en arrivent là ? Si Jet s’était ramené avec un œuf de Fafnir et qu’au fil des années celui-ci avait évolué en un Viloraptor, je n’aurais eu aucun mal à me l’imaginer. Là, en l’occurrence, je n’étais même pas capable d’émettre une quelconque hypothèse sur les circonstances de leur association.

Afin d’éviter un nouveau débat, Jet fit le choix de ne pas répondre à ma remarque sur ce qui arriverait à notre guilde s’il aidait les mages noirs. Il se contenta de hocher de la tête pour me montrer qu’il avait bien entendu ce que je lui avais dit. Dans le fond, il avait son avis et j’avais le mien. La seule différence, c’était que je faisais partie d’une guilde depuis une bonne dizaine d’années. Quant à lui, cela ne faisait même pas un an. Quelque part, il n’était pas très au courant sur les relations entre les guildes officielles et le Conseil. Ajouté à cela le coup bas que le Conseil avait fait vis-à-vis des mages noirs qui nous avaient aidés sur les ruines de la Tour du Paradis, et il n’était pas difficile de comprendre pourquoi il pensait comme il le faisait.

Changeant complètement de sujet, je finis par l'interroger sur sa rencontre avec le Viloraptor. Au passage, j’avais cherché à le taquiner un peu en utilisant ces adjectifs pour le décrire. Pour une personne aussi discrète que lui, recevoir de tels compliments – de la part d’un autre gars en plus – ne devait clairement pas être une habitude. Malheureusement pour moi, il n’eût pas la réaction que j’attendais. Je cherchais à l’embarrasser un peu plus que ça quand même. Bon, tant pis, une prochaine fois peut-être. Alors comme ça il était tombé sur le reptile… Littéralement ? Hmm, venant de lui, ça ne me surprenait même pas. En attendant, je n’avais pas assez de détails pour vraiment comprendre tout ce que cette phrase impliquait. Tandis qu’Arya se mettait à voleter autour du Viloraptor pour une raison que j’ignorais, j’écoutais Jet. Apparemment, il était accidentellement tombé dans son repère. Oui bah oui, pourquoi pas tiens ? Après tout, qui n’était jamais tombé dans le nid d’une créature au milieu d’une promenade ? Vous l’aurez compris, pour moi, c’était du n’importe quoi ! Qu’il s’attire quelques ennuis de temps à autre, ok, ça pouvait arriver. Mais littéralement tomber dans un nid à créatures de plusieurs mètres !? Ça allait un peu trop loin là, non ? Surtout qu’il n’était pas tombé que sur un seul d’entre eux, il était tombé sur toute une meute !! Avant d’entendre la suite, j’en étais arrivé à me demander comment il avait fait pour s’en sortir en un seul morceau ? Avait-il affronté toute la meute à lui tout seul ? Si tel était le cas, soit ils étaient très faibles, soit il avait trouvé le moyen d’utiliser l’environnement à son avantage… Si ça avait été moi, j’aurais cherché à tous les atteindre avec une attaque groupée. Le hic, c’était que ça ne semblait pas être la spécialité du magnétiseur. A moins que le repère en question n’ait été doté d’une réserve de métaux – comme de par hasard.

Un choix ? Ainsi, il n’avait pas eu à tous les affronter. Il n’était pas si malchanceux que ça au final. Vaincre le patron pour effrayer les autres ou perdre et servir de repas. Encore une fois, la carrure du jeune mage ne les aurait sans doute pas satisfaits. Quoiqu’il en soit, il s’en était bien sorti pour le coup. Match nul ? Hmm, ça – par contre – ça m’étonnait. S’était-il retenu sachant qu’il ne se battait que pour se sortir d’une situation complexe ou l’absence de métaux dans leur repère avait-elle été la cause de ce résultat ? Non pas que je sous-estimais la dangerosité des Viloraptors, loin de là, mais j’avais tendance à penser que les créatures solitaires étaient – par nature – plus puissantes que les créatures sociales qui survivaient grâce à leur supériorité numérique. Se retrouver confronté à une meute de Viloraptors était problématique, alors que juste un parmi la meute n’était pas vraiment un souci. A contrario, se retrouver face à un seul Viloraptor – sans meute – était une toute autre paire de manches. Les créatures qui avaient appris à se débrouiller seules dès leur naissance, survivant par eux-mêmes et luttant jour après jour pour faire face aux différents obstacles de leur vie étaient – à mon avis – bien plus redoutables que celles qui avaient toujours vécu en groupe. J’adoptais la même logique pour les mages et les mercenaires. Un membre d’une guilde était abordable en un contre un, mais se retrouver contre toute la guilde, c’était du suicide. D’un autre côté, les mages et mercenaires qui évoluaient en solitaires depuis toujours étaient capables de tout.

Ici, le Viloraptor avait décidé de suivre Jet suite à leur affrontement. Le jeune mage, lui-même, ne semblait pas savoir pourquoi. D’ailleurs, il n’avait pas l’air de chercher à le savoir. Ayant sauvé la vie d’Arya d’une mort certaine, je pouvais comprendre que celle-ci ait choisi de m’accompagner, ne serait-ce que pour accroître ses chances de survie. Là, je ne pouvais que supposer qu’il s’agissait d’une question d’honneur. Après, le reptile le suivait peut-être pour découvrir son point faible, prendre sa revanche, et le manger une bonne fois pour toute par la suite. C’était aussi une possibilité. Moins probable, évidemment, mais bon, en le jugeant uniquement par sa dentition particulièrement aiguisée, il était difficile d’être complètement rassuré en sa présence. Pour ma part, je ne savais pas si je serais capable de dormir sur mes deux oreilles en sachant qu’une créature capable de m’avaler en une bouchée traînait juste à côté… Il fallait croire que Jet était moins méfiant que moi, ou plus insouciant. Utile pour voyager ? Oui, je pouvais imaginer que de ce côté-là, une telle monture devait être pratique. Idem pour les interrogatoires. Comme je venais de le dire, sa dentition seule était effrayante. Donc en ajoutant, sa taille, sa carrure, ses griffes et tout le reste, on ne pouvait nier le fait qu’il était tout particulièrement intimidant.

« Oh mais je te crois, ne t’en fais pas pour ça… Je t’avoue que j’aurais du mal à m’endormir à côté d’une mâchoire pareille…»

Lui répondis-je avec un petit rire. J’étais totalement honnête encore une fois. Avec Arya, je n’avais pas ce problème-là. Non seulement elle n’était pas aussi large, mais en plus, elle pourrait me manger que je m’en ficherais complètement. Et oui, j’étais complètement sous le charme de ma Flashbird, et ce, depuis l’instant où elle était entré dans mon champ de vision. Je me souvenais l’avoir carrément poursuivi avant de me rendre compte que je n’étais pas le seul à lui courir après. La seule différence, c’était que là où j’avais simplement des intentions de stalkeur à son égard, ça n’avait pas été le cas de l’autre qui voulait juste en faire son 4h !! Actuellement, Arya continuait de voleter à hauteur du reptile, donnant presque l’impression d’interagir avec lui. Mais étaient-ils capables d’interagir au moins ? Un langage universel existait-il entre les créatures du Royaume de Fiore leur permettant ainsi de communiquer entre eux ? Si tel était le cas, je comprendrais encore moins la chaîne alimentaire sachant qu’il serait étrange de chasser et manger une créature avec laquelle on pouvait communiquer. Enfin bref, mieux valait que je cesse de me poser ce genre de questions avant de me perdre complètement dans mes pensées. Ayant entendu l’histoire de Jet sur sa rencontre avec son camarade, je décidai de lui raconter la mienne en échange. Mais avant, je décidai de lui balancer une nouvelle pique juste pour le fun :

« Donc, tu tombes sur une meute de Viloraptors, et tu t’en sors en en affrontant juste un ? T’es plutôt chanceux pour un malchanceux. »

Yep, pour quelqu’un qui pensait s’attirer des galères, il semblait s’en sortir plutôt bien dès lors que sa vie était en danger. Certes, il s’était souvent retrouvé face au courroux des différentes demoiselles qu’il était parvenu à enrager d’une manière ou d’une autre, mais au final, je ne me souvenais pas l’avoir déjà vu rentrer couvert de bandages de la tête aux pieds. Après, il était tout à fait possible que ce genre de galères lui arrive plus tard…bien que je ne le lui souhaitais pas.

« De mon côté, j’ai un peu pété les plombs en voyant Arya pour la première fois. Yep, je l’ai poursuivie comme l’aurait fait une groupie, et je n’ai pas honte de l’admettre. Et, le pire dans tout ça, c’est que je n’étais pas le seul. Bon d’accord, l’autre lui volait après pour la manger… Bref, tu me connais, j’ai décidé de me retourner pour lui botter les fesses et permettre à Arya de sauver ses plumes. Naturellement, j’avais la haine puisqu’il me forçait à renoncer à un évènement qui n’arrive pas tous les jours : voir un Flashbird. J’en ai donc profité pour tester ma nouvelle forme contre cet énorme Wyvern Misty, y laissant presque ma peau pour protéger Arya. Sans elle d’ailleurs, je ne serais pas là aujourd’hui. Depuis, elle a décidé de me suivre et, étrangement, les choses ont commencé à s’arranger de mon côté. »

Ce que je voulais dire par là, c’était qu’elle me portait chance d’une façon ou d’une autre, contrebalançant ainsi la malédiction qui me pourrissait la vie depuis ma première assimilation démoniaque. Autant dire qu’elle était une véritablement bénédiction pour moi. Jetant un coup d’œil dans sa direction, je ne pus m’empêcher de sourire en repensant à ce jour-là. Sérieusement, sous ma forme du Démom Amy, j’avais sans doute l’air ridicule avec cet air impressionné et complètement gaga. Mine de rien, entre moi et le Wyvern, il était possible que durant l’espace d’une microseconde, j’ai été le plus effrayant des deux… Voyant que le soleil était bien levé, je me levai et adressai un signe de tête à Arya pour lui faire savoir qu’il était temps pour nous de reprendre la route. 5 jours de repos au QG, c’était largement suffisant. Tout en m’étirant pour réveiller mes jambes engourdies, je fixai mon regard sur Jet, me demandant une dernière fois s’il survivrait ou pas au conflit avant de lui dire :

« Ton prochain kidnapping aura lieu après la guerre. Donc, ne quitte pas le pays et reste en vie jusque-là… Ne t’en fais pas, ce ne sera pas du théâtre cette fois-ci. »

Ajoutai-je en rigolant avant de conclure tout en retournant à l’intérieur de la guilde pour sortir par la grande porte, suivi de près par Arya.

« Et crois-moi, tu ne le regretteras pas ! »

Tobias écouta le petit résumé de mon aventure en silence, tout en observant mon compagnon. Sans aller jusqu'à dire que ce type de créature était rare, on n'en croisait pas non plus à tous les coins de rue, même dans les zones inhabitées. Déjà car on n'y trouvait pas de rues, mais là n'était pas la question. Son propre familier, en train de « jouer » avec Blitz était bien moins commun qu'un simple viloraptor, mais je n'y avais pas réellement prêté attention à cause de ce qu'on pourrait appeler une « crise de nombrilisme ». Traduction : j'étais trop inquiet pour moi et les conséquences de mes actes pour prêter attention au reste, même quand un volatile aussi inhabituel et beau qu'un flashbird s'y trouvait. En fait, je pense qu'un Démon en tutu aurai pu passer devant moi en chantant l'hymne national de Fiore que je n'y aurais jeté qu'un bref coup d'oeil. Ce n'était clairement pas ma période la plus glorieuse...
Pour finir, il me répondit en riant que son instinct de survie l'empêcherait probablement de s'endormir à proximité d'une bestiole capable de le couper en deux d'une simple morsure. Je devais avouer que ce n'était pas des plus rassurants, mais après l'avoir rencontré, et qu'on s'en soit sortis tous les deux, j'étais si épuisé que je m'étais assoupi contre lui sans même envisager cette éventualité. Après coup, en me réveillant, ça m'avait en effet traversé l'esprit, mais comme Blitz ne m'avait rien fait la première fois, je ne voyais pas pourquoi ça aurait changé par la suite. Il avait le même caractère que moi, à peu de choses près. Et s'il lui était déjà arrivé de me donner un coup de tête ou de me balayer de sa queue écailleuse pour marquer son désaccord, aucun de nous ne s'en était pris à l'autre depuis.

Ensuite, après une nouvelle remarque finaude sur le fait que le ciel soit – ou pas – de mon côté, ce dont je n'étais pas encore convaincu, il entreprit de me narrer en retour sa propre rencontre avec Arya. Je n'avais pas vraiment demandé, mais le connaissant, il tenait tout simplement à me rendre la politesse. Affichant un petit sourire, j'écoutais alors son récit. Ainsi donc, il avait poursuivi le volatile avant de faire volte-face pour le défendre d'un prédateur. Probablement ailé, car sinon, il n'aurait jamais pu attraper un flashbird. En effet, deux phrases plus loin, j'appris qu'il s'agissait d'une variété de wyvern, celle rattachée au vent. Je glanai également de cette discussion que Tobias avait acquis une nouvelle forme pour son Take Over. Je savais évidemment qu'il pouvait prendre l'apparence et les pouvoirs de Démons, mais j'ignorais de combien de transformations différentes il disposait. Je ne connaissais que celle apparue lors de mon intégration, lorsque j'avais réussi à le pousser dans ses retranchements. Il serait d'ailleurs curieux de voir si je pouvais désormais faire mieux. Il conclut en disant que l'oiseau de lumière le suivait depuis, et qu'apparemment, le vent avait tourné. En effet, El Diablo était également connu pour sa Malchance. Presque aussi grande que la mienne. La seule différence était que lui racontait souvent ses malheurs alors que je gardais les miens pour moi. Mais j'étais heureux d'apprendre que ça s'arrangeait pour lui. Peut-être fallait-il prête crédit à la réputation de porte-bonheur des flashbirds après tout...

A ce moment, l'heure avait déjà bien tourné, et Tobias se releva pour rentrer dans le bâtiment. Sans doute voulait-il se reposer après cette nuit blanche. À moins qu'au contraire, il ne pri-fite du jour pour se remettre au travail. C'était bien son genre. Je l'aurais bien remercié pour avoir éclairci mon raisonnement avec cette longue discussion, mais ce n'était pas mon genre, ni le sien de l'accepter de toute façon. Se tournant vers moi, il déclara alors qu'il me réservait un nouveau voyage-surprise après la bataille de Gehenna, et me recommanda de rester vivant et dans le coin, avant de rigoler sur la destination de son kidnapping. Je réagis évidemment au quart de tour en repensant au précédent.

Tobias ! Je te préviens, si jamais tu as le malheur de m'emmener voir un spectacle une fois de plus, je -

Mais il avait déjà disparu, sans m'écouter. Il s'était contenté de me promettre que ça en vaudrait la peine. Venant de lui, cela pouvait englober bien des choses différentes. Je craignais le pire. Mais je réagis néanmoins d'une voix bien moins sinistre qu'en début de matinée.

Une chose est sûre, c'est que je te rendrai la monnaie de ta pièce, espèce de sale traître...