Le soleil avait bien dépassé son zénith depuis quelques temps déjà lorsque deux compagnons arrivèrent au pied des plateaux verdoyants. Le plus grand et peut être celui qui avançait avec le plus d'assurance répondait au nom de Léonard. Son allure ne laissant nulle trace au doute, il guidait un autre garçon plus chétif, au regard vert et souvent fatigué à travers les dernières plaines avant que le terrain ne devienne plus escarpé. Ce dernier s'appelait Haru et suivait sans rechigner son ami aux cheveux blancs qui semblait être l'initiateur de cette promenade de santé. Midi passé, un repas – bon ou non – dans l'estomac il ne leur restait plus qu'à profiter du beau temps pour un petit entraînement. Le jeune homme stoppa la marche et montra fièrement les plateaux qui se dressaient devant eux, à perte de vue. Haru regarda autour de lui toutes ces couleurs végétales dans un paysage aussi escarpé. Ses yeux s'écarquillèrent sans doute d'admiration tandis qu'il balayait l'horizon avec un plaisir non dissimulé. Il se laissa même aller, dans son enjouement soudain, à gratifier son guide d'un sourire maladroit.

Depuis quand connaissait-il Léonard Raziel Albae, le dragon slayer de la lumière ? Il aurait été tenté de répondre que c'était ainsi depuis toujours mais savait que vraisemblablement cela n'était que peu probable. En réalité, le visage du mage était surtout le premier souvenir qu'il gardait en mémoire depuis qu'il l'avait sorti de terre. Il se souvenait bien vaguement de sa vie d'avant, mais les personnes de ce passé indistinct étaient devenues tellement floues dans son esprit qu'il ne pouvait afficher un nom sur aucun d'eux. Papa. Maman. Senseï... Maintenant, sa famille se limitait à sa guilde et surtout à son maître, celui qui avait eu la bonté d'âme de le déterrer. Trancher les racines qui le retenaient au royaume de l'ombre et de l'origine, trancher les racines qui enlaçaient son maigre corps et le liaient à la terre, mère nourricière et incestueuse. Sorti de cette seconde naissance, Haru d'abord perdu, terrifié par l'effrayante lumière du soleil qui lui brûlait les yeux, par les bruits ambiants qui assourdissaient ses oreilles, avait pu se reconstruire grâce à la protection et au soutien que lui avait apportés Léonard. En retour, il lui vouait une allégeance sans faille. C'est pourquoi, bien qu'un peu flegmatique, il n'avait nullement rechigner lorsque celui-ci lui avait proposé d'aller s'entraîner dans un endroit reculé, à l'abri des regards indiscrets.

Haru s'approcha de son maître et de la pente raide et l'interrogea d'un regard interrogateur. Il avait à la fois hâte de commencer l'entraînement mais il se sentait aussi investi d'un poids plutôt lourds pesant sur ses épaules tant il redoutait de décevoir son compagnon. Et s'il s'avérait qu'il ne progressait pas suffisamment vite ? Et s'il n'était pas assez doué ? Et si ? Et si ! Le garçon baissa la tête ne voulant plus penser à cet amas de supposition en préférant plutôt se savoir toujours utile pour Léonard. Ou plutôt l'espérer tellement fort pour ne plus en douter. Il tourna sept fois la langue dans sa bouche pour aiguiser sa réflexion avant de rompre le silence qui, tout en étant son éternel ami, s'avérait surtout être son pire ennemi tant il ne savait jamais que dire :

« On va s'entraîner ici, senpai ? »

Bien entendu, sa question, pourtant courte et maladroite était bien plus complexe qu'elle ne pouvait bien paraître au premier abord. Il ne s'agissait pas tant de s'enquérir du lieu où se déroulerait plutôt l'exercice mais plutôt de savoir en quoi celui-ci consistait, s'il s'agissait d'un combat amical ou d'une ascension en équipe des plateaux verdoyants. Tant de mots qui se bousculaient dans la tête du garçon et mourraient sans un soupir au fond de son gosier car il n'avait su les exprimer.

« Je suis prêt, ajouta-t-il, pour se donner de l'entrain et imiter la posture de quelqu'un qui aurait beaucoup de confiance en lui. Je crois... »

Le temps était parfait pour faire un petit somme. Haru avait déjà remarqué un petit coin d'ombre sous un arbre bienveillant où il pourrait reposer ses yeux pendant que Léonard s'entraînerait. Oh, il ne dormirait pas vraiment, pas tout à fait... ! Il le surveillerait distraitement déployer sa puissance et il l'admirait même avec un seul œil ouvert. Mais le jeune mage n'était pas dupe et savait bien ce qui l'attendait. Léonard voulait très certainement accroître sa force avec un combat contre celui qu'il qualifiait d'« outil » ce qu'il acceptait de bon cœur. Depuis qu'il l'avait sorti de terre pour lui offrir une deuxième naissance, Haru ne refusait rien au Dragon Slayer de la Lumière. Appréciait-il pour autant l'exercice ? Le garçon n'avait aucune opinion sur la question. Il ne se l'était jamais posée d'ailleurs. L'essentiel pour lui était de servir au mieux les intérêts de son maître sans quoi il serait indigne de fouler cette terre qui l'avait protégée en attendant que son destin vienne le réveiller.

Léonard murmura une brève injonction à commencer la lutte qui, bien que Haru ne répondit rien, fut pleinement assimilé par son cerveau. La mâchoire du garçon se contracta aussitôt tandis qu'il fronçait les sourcils et que son regard s'emplit imperceptiblement d'une colère secrète. Comme il le craignait, son maître ne tarda pas à passer à l'attaque. De la lumière émana en direction de son adversaire et des orbes lumineuses fondirent vers lui. Il lui semblait qu'il y en avait deux et que cette attaque était le Hakuryuu no Kôgan de son maître qui visiblement commençait bien fort. Le mage serra les poings alors que le sort s'approchait dangereusement. Léonard lui avait toujours appris à se tenir sur ses gardes et n'hésitait pas à le lui rappeler avec des coups traîtres. Au début, bien qu'il n'attaquait jamais à pleine puissance, Haru se faisait toujours prendre et plutôt bien amocher. Avec le temps, il avait appris à se méfier et limiter la casse, car, il le savait, son maître était bien plus puissant que lui et l'apparente faiblesse qu'il pouvait parfois laisser supposer en mission n'était qu'une ruse pour dissimuler son vrai potentiel. Le garçon soupira en jetant rapidement quelque chose sur le sol fertile du plateau...

Les deux orbes explosèrent d'une manière plutôt prévisible. La première éclata dans sa direction l'obligeant à esquiver sur sa droite où l'attendait la seconde. Alors qu'elle allait le toucher, une énorme ronce émergea de la terre pour s'interposer entre le mage des plantes et l'explosion. L'intensité du choc le projeta tout de même en arrière. Haru affichait malgré tout un large sourire, fier d'avoir pu esquiver l'attaquer de son maître. Mais il atterrit sur une troisième sphère qu'il n'avait pas vue au départ et dont la force le propulsa plus loin. La timide trace de satisfaction s'effaça de son visage tandis qu'il se redressait péniblement face à son adversaire.

« Tu m'as encore pris en traître..., bougonna-t-il plus contre lui-même que contre son opposant. »

Même si son dos le faisait souffrir, il n'afficha pas cette sensation ouvertement, fermement décidé à convaincre son maître qu'il avait progressé et qu'il n'était pas du genre à se plaindre pour quelques broutilles. Il ne put pour autant effacer totalement une certaine peine – ou crainte d'échouer – dans son regard. Il se mordit la lèvre inférieure avec amertume tout en fouillant dans sa poche. Il jeta alors d'autres graines devant lui. Trois larges racines couvertes d'épines, semblables à celle que le Hakuryuu no Kôgan avait désintégrée, s'élevèrent vers le ciel.

« C'est mon tour maintenant, grogna le jeune magicien. »

Il avait prévu des végétaux plus résistants que celui qu'il avait concédé à sacrifier pour préserver ses arrières. Il éleva les bras pour prendre le contrôle de son Bush of Brambles où les ronces suivaient les mouvements de ses mains et, comme un chef d'orchestre mena les opérations. Il pointa du doigt sa cible et les lianes tortueuses se ruèrent vers Léonard. De la paume de sa main, il commanda à l'une d'entre elle d'attaquer plutôt sur le flanc gauche de son adversaire tandis que les deux autres attaquaient de front. Ça allait impressionner son maître. Il devait réussir. Il l'espérait du moins de tout son cœur.

Rien n'allait comme prévu lorsque Haru affrontait son mentor. À dire vrai, il n'avait jamais réussi à le toucher sérieusement et encore moins à la vaincre. L'issue de cette joute supposée amicale lui paraissait donc déjà toute tracée. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'essayer sans relâche de lui faire mordre la poussière afin de voir briller la fierté dans le regard sévère de Léonard lorsqu'il réussirait. Il y parvenait parfois. Mais ces moments restaient bien trop rares à son goût et il se demandait même si le dragon slayer ne faisait pas exprès lorsque c'était le cas de se faire toucher pour mieux rappliquer ensuite. Rien n'allait comme prévu...

À peine avait-il lancé son attaque que Léonard, semblant lire dans ses pensées, l'avait contrée avec son souffle du dragon qui ne fit qu'une bouchée de ses ronces. Mais le mage des plantes n'eut pas le temps de protester, ni même de soupire que, orientant sa tête dans sa direction, son adversaire entendait l'attaquer sans lui laisser de répit. Haru sursauta et, les yeux écarquillés comprit que son maître n'avait nullement envie de le laisser affronter avec son flegme habituel. Il n'eut d'autre choix que celui de prendre ses jambes à son cou. Le rayon le manqua de près mais l'attaque le suivait de près. Léonard n'avait qu'à le suivre du regard pour que son attaque finisse par le heurter si jamais il ralentissait.

Réfléchis, Haru... Réfléchis !

Le garçon, agile grâce à sa petite taille, réussissait plus ou moins bien à esquiver sans s'arrêter pour autant de trouver un solution pour améliorer sa condition. Il fit un bon en arrière, puis un autre sur la gauche de son adversaire. Son attaque dépendait de la position de sa tête. Il suffisait de se positionner dans son angle mort. Néanmoins, il suffisait alors à Léonard de se retourner pour à nouveau lui faire face. La seule solution était donc de l'immobiliser pour pouvoir frapper par derrière ! Mais, encore fallait-il y parvenir ! Haru creusa encore plus ses réflexions dans l'espoir de trouver une solution avant que le souffle vint à lui manquer et que, épuisé, il ne puisse esquiver une nouvelle fois. Le dragon slayer avait trop facilement contré son Bush of Brambles comme s'il s'était préparé à une telle attaque. Cela était même fort probable puisque son élève multipliait ce genre d'assaut...

Le magicien sortit de sa poche de nouvelles graines pour tenter une nouvelle offensive ou tout du moins mettre fin à celle de son assaillant. Il les jeta autour de lui pour reformer à nouveau un nuage de ronces. Mais cette fois-ci, elles étaient beaucoup plus nombreuses et il les élança de manière désordonnée vers Léonard. En réalité, il ne s'en servait nullement pour attaquer mais les dirigeaient près de lui pour se protéger. La terre des plateaux verdoyants étaient particulièrement fertile et il lui fallait profiter de cet avantage. Il continua de faire germer des lianes épineuses de manière supposée hasardeuse. De la partie de terrain où il se trouvait des ronces s'élevaient jusqu'au ciel pour lui offrir un endroit où se cacher. La terre retournée lui offrir la meilleure des cachettes où il put prendre le temps pour réfléchir.

Il ne doit pas me trouver. Il doit sûrement être habitué à mes attaques. Il faut que je continue d'attaquer avec incohérences, mais... C'est difficile. J'en ai assez. C'est fatiguant... Peut être qu'avec un petit coup de main...

Il pouvait toujours essayer... Il posa une main tendre sur les racines de la plante qu'il avait invoquée et sous lesquels il se terrait. Le temps que Léonard s'occupe des ronces à l'air libre et qu'il s’aperçoive qu'il n'y était plus il pouvait reprendre enfin son souffle. La retraite pouvait parfois s'avérer nécessaire.

Haru lâcha un soupir de soulagement. S'il n'avait pas réussi à toucher son adversaire, il avait su trouver une solution pour s'accorder quelques instants de répit, histoire de reprendre son souffle. Mais il savait très bien que le repos ne serait nullement serein avec un assaillant tel que Léonard et qu'il lui faudrait bientôt penser à une contre-attaque rapide et efficace. Dans l'urgence, il faisait souvent des bêtises et n'avait pas le temps d'élaborer les bonnes stratégies. Il profitait donc de ce moment particulier pour estimer toutes les situations et essayer d'avoir un coup d'avance sur son attaquant. Recroquevillé sous la terre retournée par toutes les lianes qu'il avait faites s'élever jusqu'au ciel, il se doutait bien que sa forteresse naturelle serait la cible de son maître. Il espérait même qu'il agît ainsi pour qu'il ait la mauvaise surprise de ne pas le trouver sur la terre ferme, mal en point à cause de l'attaque. Il pourrait alors le surprendre en sortant de sa véritable cachette et passer aux choses sérieuses. Réfléchir, réfléchir, réfléchir... Le Dragon Slayer ne cessait de lui donner en apparences des conseils qui ressemblaient plus à des injonctions à mieux se battre et qui avaient le don de l'agacer. Faisait-il une aussi mauvaise arme pour celui envers qui il avait dévoué sa vie entière ? Il se ressaisit, l'heure étant plus à la réflexion pour passer à l'action plutôt qu'aux lamentations infondées. Léonard était sévère mais Haru l'aimait du fond du cœur. Rien ne changerait, qu'il gagnât pour une fois ou qu'il confirmât son infériorité une nouvelle fois. Réfléchir, réfléchir, réfléchir... Au-dessus une lumière vive vint anéantir la construction de ronces qui s'effondrait peu à peu comme un vulgaire château de cartes.


Haru sourit. Il était toujours caché et l'attaque n'avait pu l'atteindre que superficiellement de là où il se trouvait. Que restait-il à faire ? Rester à couvert et attendre que Léonard fît, le premier, un faux pas, ou réagir et le conduire à en commettre un ? Mais comment l'amener à se tromper et à baisser sa garde ? Réfléchir, réfléchir, réfléchir... Le mage sentit contre son bras le contact froids de quelques petits cailloux souterrains et une idée lui vint soudainement. Certes, elle c'était une piètre solution à la situation, mais elle avait l'avantage de dérouter un peu l'adversaire sans trop dépenser de magie. Il lui fallait réussir ne serait-ce qu'une fois à toucher son adversaire. Ce serait déjà fort beau à ses yeux. Quatre. Il s'empare de quelques cailloux qu'il fourra dans un sac vide. Trois. Il bourra son poing gauche de ceux-ci. Deux. Dans son autre main, il tenait quelques graines particulières. Un. La contre-attaque était prête. Il réussirait ou il serait une nouvelle fois repoussé, mais il devait bien tenter le coup pour le savoir. Zéro.

Brusquement, le mage sortit du sol et jeta sur son assaillant un caillou en espérant le surprendre. Il se pouvait qu'il ne remarquât pas tout de suite qu'il ne s'agisse que de vulgaires minéraux et tentât de l'esquiver en les prenant pour des graines. Profitant du moment de surprise, il en jeta de nouveau et s'élança vers son adversaire en zigzagant pour éviter d'avoir à encaisser une attaque frontale au moment où Léonard contre-attaquerait. Il était si rapide dans ses lancées qu'il mêlait graines et pierres. Sleeping Beauty ! Bientôt, une rose poussa non loin du Dragon Slayer, sur sa droite plus exactement et commença à lui lancer des épines tandis que Haru arrivait sur sa droite. Il en profita pour jeter un nouveau germe qui ne poussa pourtant pas. Il en jeta deux autres et deux ronces s'élevèrent devant lui pour s'élancer vers l'homme aux cheveux blancs. Le disciple soupira, le cœur haletant par l'effort et la tension qui le saisissait. Il savait bien qu'attaquer de deux côtés était une bonne solution pour gagner du temps mais il ne pourrait pas éternellement lancer de tels assauts et il doutait déjà de l'efficacité de sa tentative. Il attendit, tous ses membres tendus, prêt à esquiver ou à se réjouir de la réussite de l'attaque. Il fit alors ce serment d'un air solennel et avec grand sérieux :

« Maître Léonard, je promets de te servir et de progresser vite pour pouvoir me rendre utile. Je ne te décevrai pas ! »

Il l'espérait tout du moins et savait à quel point le chemin pouvait encore être long. Il y avait comme un tropisme du mage des plantes envers le Dragon Slayer de la Lumière, une attirance irrésistible qui faisait qu'il ne désirait qu'une chose : servir cette lumière quasi solaire et si nécessaire à la croissance des végétaux. Le garçon, comme une fleur, avait l'impression qu'il ne pourrait pas se passer de ce rayonnement.

Son cœur fit un nouveau bond dans sa poitrine sous le poids de l'effort. Il avait tenté le tout pour le tout dans cet assaut. Si sa ruse, certes médiocre, ne fonctionnait pas, il se serait mis à découvert en vain et devrait essuyer un cuisant échec avec une riposte immédiate de la part de son adversaire. Heureusement pour lui, il fit mouche. Une petit filet de sang s'écoulait le long de la joue éraflée du Dragon Slayer. Son astuce de mêler des cailloux à ses graines avait eu le mérite de le décontenancer un peu suffisamment pour qu'il baissât sa garde l'espace de quelques instants. Mais, Léonard avait d'excellent réflexe et s'était très vite rendu compte que la situation pouvait tourner en sa défaveur. Il avait réussi à esquiver les aiguilles soporifiques qui avaient filer droit sur lui. Bien qu'il l'aimait de tout son cœur, Haru fut particulièrement fier de voir le sang de son maître couler un peu. Le résultat restait tout de même mitigé. Si une épine l'avait effleurée, elle ne l'avait pas à proprement parler toucher, si bien que sa tentative d'engourdir ses membres étaient un échec en soi. Malgré cela, le jeune mage ne pouvait s'empêcher d'aborder un sourire plutôt satisfait alors que le maître le félicitait avec sa sobriété habituelle. Néanmoins, son air enjoué s'effaça bien vite lorsqu'il comprit ce que son adversaire préparait. Une lumière blanche vient baigner le corps de son opposant d'où il émanait à présent une aura qui rayonnait de pureté qui était une des raisons pour lesquelles le discipline aimait tant son maître. Mais ce spectacle, bien que beau, ne présageait rien de bond. Haru savait très bien que Léonard l'utilisait lorsqu'il voulait vraiment passer aux choses sérieuses. La technique décuplait en effet ses principales caractéristiques. S'il était déjà redoutable lorsqu'il retenait ses coups, il y avait tout à craindre de lui s'il poussait le zèle plus loin dans ce combat. Le prix à payer semblait un peu lourd à payer pour une simple éraflure et le mage des plantes sentit tout son courage l'abandonner. Il était fichu...

« Maître !, protesta-t-il en vain, c'est peut-être un peu exagéré... »

Fallait-il pour autant abandonner ? Un membre de Silent Night abandonnait-il la mission qui lui était confiée par manque de confiance en lui ? Le garçon secoua la tête en essayant d'imaginer cet entraînement comme une véritable question de vie ou de mort. Pire, une question d'honneur. Mieux, une chance de susciter l'affection de son maître sévère. La Sleeping Beauty avait échoué mais la plante n'avait pas été anéantie. Il lui fallait jouer sur cet oubli, peut-être volontaire, de la part de son agresseur, pour pouvoir riposter. Sa précision laissait toutefois à désirer car elle était limitée à la terre dont ses précieuses racines avaient besoin plus que tout. Il lui faudrait donc s'arranger pour les épines atteignent leur but par un autre moyen... Son œil vert était vif. Il était désormais parfaitement réveillé et fermement décidé à ne pas se prendre la raclée du siècle par la personne qu'il estimait le plus.

Léonard incanta le nom de sa prochaine attaque qui résolut Haru à ne pas se laisser toucher. Il n'avait d'ailleurs pas le choix. La Serre du Dragon Blanc permettrait en effet au jeune homme, s'il réussissait à le frapper, à l'immobiliser. Le disciple se savait trop faible pour briser le sceau qui pétrifierait ses membres si cela arrivait. Il serait alors à la merci de l'attaquant ce qui n'avait rien pour le rassurer car il ne savait que trop bien qu'il ne lui serait fait aucun cadeau. Sa défaite aurait au moins eu le mérité à l'apprendre à mieux encaisser sans broncher les coups. Mais il n'avait nullement l'envie qu'on lui refît ainsi le portrait. Il empoigna alors sans hésité quelques graines qu'il jeta à ses pieds alors que le Dragon Slayer fonçait sur lui. De nouvelles ronces épaisses s'élevèrent non pas entre eux ni en direction de l'assaillant mais bien vers Haru lui-même. Il venait de diriger sa propre attaque sur son propre corps pour que le choc le propulse en l'air et lui permette de se glisser derrière Léonard qui chargeait. Il glissa sur l'herbe tendre épuiser fier d'avoir pu ainsi éviter l'attaque qui lui aurait été fatale. Il se retrouvait, par la même occasion, bien que les côtes endoloris à cause du coup de ronces, dans une bien meilleure posture pour riposter. Il s'empara de la fameuse rose oubliée pour en récupérer les dernières épines qui lança dans le dos de l'adversaire en visant le bras qui menaçait d'imposer la paralysie. Il se redressa péniblement sans faire attention au résultat de son attaque car il lui fallut ses deux mains pour se hisser sur ses jambes tant il était à bout de souffle. Décidément, Léonard était fermement décidé à tester ses limites cette fois-ci.

Haru laissa échapper un hoquet en se redressant péniblement sur ses deux pieds. Peut-être s'était-il frappé plus fort qu'il n'aurait du, mais voir foncer sur lui Léonard ne lui avait laissé que trop peu de temps pour la réflexion. Il lui avait fallu agir au plus vite et pour le meilleur résultat. Une petite égratignure n'était après tout que bien peu de chose à côté de ce que le Dragon Slayer aurait pu lui infligé s'il était parvenu à la toucher. Une fois debout, il put vite déjanter. En effet, son adversaire avait été plus rapide que prévu et il avait déjà fait volte-face, prêt à déjà contre-attaquer. Et quelle riposte ! Son adversaire s'apprêtait à utiliser certainement l'une de ses attaques les plus puissantes. Sa posture, l'incantation qu'il avait fredonné d'un air menaçant et presque satisfait... Tout laissait penser que le combat touchait à sa fin et que cette achèvement ne plairait que bien peu au jeune mage. Il se prendrait assurément un terrible explosion en plein visage là où le poing lumineux de son agresseur semblait vouloir frapper. Le garçon aurait bien voulu esquiver l'attaque qui avait de fortes chances de lui être fatale mais il venait à peine de retrouver le parfait contrôle de ses membres endoloris et l'assaillant était à coup sûr bien trop rapide. Même les épines qu'il avait essayé d'envoyer dans le bras de son maître pour le stopper dans sa course infernale n'avaient eu que bien peu d'effet. La plupart avait était balayée par la puissante aura que Léonard dégageait. Mais quelques unes allèrent se nicher entre ses phalanges pour ne lui asséner que de bien piètres blessures car totalement superficielles. Le Dragon Slayer dans la meilleure des situations ne souffrirait que de légers engourdissements dans les doigts mais rien de quoi l'arrêter net. Haru serra les poings, prêt à assumer son échec sans broncher.

La lumière vive ne cessait de s'approcher et bien que l'agresseur fut rapide, le garçon eut le temps de penser à une foule de choses comme le nombre de jours élevés qu'il lui faudrait pour se remettre d'une telle attaque ou encore la déception qu'il causerait à son maître. Il se sentait inutile pour lui. S'il ne savait pas mieux se battre, peut-être méritait-il vraiment le châtiment qui s'imposait à lui. Haru ferma les yeux ne pouvant supporter la lueur et le regard froid d'un Léonard triomphant. Il attendit mais le coup ne sembla pas décidé à venir. Il ouvrit les yeux surpris et découvrit non loin de son nez le poing tendu du Dragon Slayer qui s'était arrêté avant l'impact, preuve de la parfait maîtrise qu'il avait de ses mouvements. Il était peu probable que ce brusque revirement de situation soit du à son dernière attaque. Le maître devait donc avoir retenu son coup à la dernière minute, seconde même. Le disciple en resta bouche bée en tombant à la renverse sous le poids de la surprise, de l'épuisement et du stress. Il continuait de regarder avec surprise celui qui venait de l'épargner. Ses yeux en étaient presque devenus larmoyants.

L'expression de Léonard devint finalement plus enjouée et assurément moins menaçante. Il se laissa même aller à féliciter son jeune élève ce qui ne manqua pas de l'émouvoir. Haru se releva timidement et essuya son visage d'un revers de manche. Il avait beau être avoir dépassé l'âge de s'ébahir comme un enfant, son physique chétif et son apparente candeur le faisait véritablement passer pour un vulgaire gamin. Bien que ce fut plutôt humiliant, cela avait au moins l'avantage de lui permettre de surprendre un adversaire qui ne le connaîtrait pas encore. Le maître posa sa main sur la tête de son disciple et ébouriffa affectueusement sa brune chevelure. Celui-ci fit une moue étrange, presque blasée d'être traité comme un petit garçon mais au fond de lui il jubilait de l'affection particulière que le Dragon Slayer lui témoignait. Finalement un sourire ravi se dessina sur son visage rond tandis qu'il savourait comme un bon chien sa récompense et qu'il s'imaginait dépassant la puissance de son patron.

L'homme s'écarta alors et avança tranquillement comme pour quitter les lieux. Il leva sa main légèrement abîmée pour l'inviter à le rejoindre ce que Haru s'empressa de faire bien volontiers. Il attrapa alors le membre égratignée de son senseï pour y apposer affectueusement une bande de tissu blanc autour de celui-ci. Il contempla son travail quelques secondes, fier de ce qu'il venait d'accomplir, puis il lâcha le poignet de Léonard. Il s'arrêta finalement pour s'incliner avec respect :

« Merci pour cet entraînement, Maître Léonard, fit-il avec un air très solennel. Je continuerai de m'entraîner pour mieux te servir. »

Il le suivit ensuite sans broncher. Il était épuisé mais il avait l'impression d'avoir grandi suite à ce duel incroyable. Il ne sentait presque pas la fatigue du combat tant il était fier et heureux de marcher aux côtés de son professeur. L'épuisement de cette rude journée ne tarderait cependant pas à le saisir à un moment ou un autre mais pour l'heure la satisfaction suffisait à le faire tenir debout.

« Où allons-nous, maintenant ? demanda-t-il gaiement. »

Léonard ne lui répondit pas, gardant bien volontiers le secret sur le nouveau lieu de leur destination derrière un sourire satisfait. L'entraînement était terminé mais son apprentissage de la vie ne faisait que commencer.