Somnolant à moitié sur le dos d’Arya – ma Flashbird – je n’avais aucune idée de l’endroit où je me trouvais. Une chose était sûre par contre, je n’avais pas encore rejoint le Sud de Fiore. Apparemment, elle avait décidé d’effectuer un petit détour pour rentrer afin d’éviter de passer au-dessus des montagnes. Pour le coup, je lui en étais reconnaissant sachant que je me les serais gelés autrement. Le hic, c’était qu’elle aurait largement pu contourner les montagnes par l’Est et non par l’Ouest. Cela aurait sans doute été plus rapide pour rentrer, à moins bien sûr qu’elle n’ait une autre idée en tête. Cherchait-elle encore à rejoindre cette pâtisserie qui se trouvait à Era ? Hmm… Quelque part, ça ne m’étonnerait pas. Après tout, cela faisait bien plusieurs jours que je la poussais à me trimballer partout et nulle part à la fois. Elle méritait bien une récompense, et comme passer par sa gourmandise était le meilleur moyen de la contenter, autant en profiter. Elle était plutôt maligne en tout cas. Elle savait parfaitement que je ne lui refusais rien, et comme c’était elle qui s’occupait de la partie déplacement, elle était tout à fait libre de faire des détours comme elle l’entendait pour se faire plaisir. Nous n’étions pas pressés en plus, je n’avais donc aucune raison de lui faire changer de trajectoire.

D’ailleurs, je pourrais en profiter pour rendre visite à mes anciens nakamas de Lamia Scale qui séjournaient depuis un moment déjà à Era. C’était quand même amusant quand j’y pensais. Deux de mes anciens nakamas étaient aujourd’hui membres du Conseil magique. Mieux encore, l’un d’entre eux – Aion Nigh – faisait même partie des Mages Saints. Quant à la seconde, Namine Orion, elle ne possédait peut-être pas le titre, mais j’étais certain qu’elle n’avait rien à lui envier en termes de puissance. Et puis, dans tous les cas, la puissance n’avait pas vraiment d’importance lorsque l’on rejoignait le Conseil des mages. Le tout, c’était de disposer d’une certaine renommée et de la volonté de faire une différence dans le Royaume. Personnellement, je savais qu’une telle position ne me conviendrait absolument pas. Non seulement, j’aimais bien trop ma liberté pour me contenter d’une vie politique, mais en plus, j’avais énormément de mal à accepter certaines décisions récentes du Conseil. Je me demandais franchement comment ces 10 personnes avaient pu prendre de telles mesures pour faire face à l’Alliance Baram. Connaissant plutôt bien Aion et Namine, de l’époque où ils étaient avec moi à Lamia Scale, je ne pouvais comprendre comment ces deux-là avaient pu accepter ou ne serait-ce que tolérer de tels bêtises ! OK, ils devaient penser au bien-être de la totalité du Royaume, et ça n’avait rien d’une mince affaire, mais quand même ! Il y avait des limites à ne pas dépasser et, pour moi, ils les avaient clairement franchies avec cette tentative d’exécution publique qui fut un véritable échec pour eux.

D’après mes souvenirs, Namine avait surtout commencé à travailler avec le Conseil pour pouvoir payer les frais médicaux de son frère. Je ne l’imaginais donc pas cautionner une exécution publique. Ce n’était clairement pas son genre. Quant à Aion, la question ne se posait même pas. Lui aussi soutenait toute sa famille financièrement, et faisait tout ce qu’il pouvait pour aider son prochain lorsque celui-ci était dans le besoin. Bref, tout ça pour dire que tous deux n’auraient jamais été pour une diffusion publique de ces exécutions. J’étais prêt à en mettre ma main au feu. Ces deux-là avaient toujours la mentalité de mages officiels malgré leur statut de membre du Conseil et leur mini-passage par l’Armée. Or, un mage officiel ne tuait pas, et ne cautionnait pas non plus le meurtre de sang-froid. Après tout, on n’avait même pas le droit de s’en prendre aux guildes noires sans la demande expresse du Conseil. La violence gratuite n’était pas dans notre ADN. Bien entendu, cela ne concernait que deux membres sur dix. Ne connaissant que ces deux-là, je ne pouvais faire de suppositions sur les autres. Il s’agissait de membres du Conseil après tout, il était pratiquement impossible d’obtenir des informations sur ceux-ci à moins de les avoir connus avant. Quoiqu’il en soit, je pouvais retirer la plupart des insultes que j’avais balancées à l’encontre du Conseil ces dernières semaines. Ou plutôt, je m’excusais pour Namine et Aion que je connaissais. Les autres, je ne les connaissais pas, donc je ne pouvais m’excuser sachant que la majorité d’entre eux avait fauté.

La dernière raison qui faisait que je n’avais aucune raison de rejoindre le Conseil provenait du fait que je faisais sans doute bien plus pour le Royaume – au travers de mes différentes missions sur le terrain – que les Conseillers avec leurs nombreuses décisions. Bien entendu, dans les faits, ce n’était sans doute pas vrai. Cependant, c’était mon impression, et tant que je continuerais de voir les choses comme ça, je n’aurais aucune raison de changer d’avis. C’était quand même dommage de voir les dirigeants magiques du Royaume de cette façon. Et pourtant, j’étais certain de ne pas être le seul. Mages noirs, mages officiels, et sans doute mêmes les mercenaires, je ne serais pas étonné d’apprendre que la majorité d’entre eux en avaient ras-le-béret de leur extrémisme. Je ne pouvais être le seul en tout cas.

Comme je l’avais deviné, Arya décida d’atterrir à Era, ou plutôt juste devant la pâtisserie. Décidément, elle ne rigolait pas avec les desserts elle. Non seulement elle s’était posée juste devant, mais en plus, elle venait d’entrer à l’intérieur comme si de rien n’était, à croire qu’elle était une cliente habituelle venue prendre sa commande alors qu’elle était une créature magique… Pire encore, elle était une créature particulièrement rare et de par son aspect lumineux, elle se faisait d’autant plus remarquer. La pâtissière fit une drôle de tête en voyant cette nouvelle cliente débarquer et s’apprêtait à la chasser quand je fis mon apparition juste derrière, précisant que la Flashbird était avec moi. Ceci la rassura aussitôt. Malheureusement, Hermès – mon béret – en profita pour ouvrir sa bouche, provoquant de nouveau la panique. Vu qu’il était posé sur ma tête comme d’habitude, les gens avaient tendance à croire que c’était moi qui parlait, mais avec une voix et une intonation différente. En clair, ils pensaient que je souffrais d’un dédoublement de la personnalité au départ. Tout le monde n’étant pas mages, les habitants lambdas du Royaume n’étaient pas forcément au courant de l’existence des âmes artificielles. Je fis donc les présentations entre Hermès et la pâtissière, avant de lui préciser de ne pas faire attention à ce qu’il disait puisqu’il ne racontait que des choses inappropriées. Dévalisant pratiquement la pâtisserie après avoir acheté tout ce que désirait Arya, je sortis de la pâtisserie pour me diriger vers la rivière à l’Est de la cité. C’était le meilleur endroit pour se poser et profiter de ces gâteaux et tartes en attendant de voir ce que je ferais ensuite.

Assis au bord, je déposais les paquets à côté de moi afin qu’Arya puisse picorer dedans comme elle le désirait. Il lui arrivait parfois de planter ses becs dans chaque part avant de tout mâcher. Allez savoir pourquoi, elle était fan des mélanges et se fichait complètement d’apparaître classe ou pas lorsqu’il s’agissait de gâteaux. En plus, avec ses deux têtes, et donc ses deux becs, elle pouvait se faire doublement plaisir. Personnellement, j’étais en pleine discussion avec Hermès, cherchant à lui faire comprendre pour la énième fois que saluer la poitrine de toutes les femmes qu’il croisait n’était pas correct. Malheureusement pour moi, je savais qu’il le savait. Il préférait simplement ne pas m’écouter, et s’il pouvait m’attirer des ennuis au passage, ce n’était que tout bénéf’ pour lui. Le plus ennuyant dans tout ça, c’était qu’il savait très bien que je ne pouvais rien lui faire. Mon béret avait une valeur sentimentale pour moi, et comme il était mon béret, il était intouchable. Le fait de savoir ça le rendait encore plus incontrôlable. Entendant du bruit derrière moi, je me retournais alors à moitié pour voir ce que c’était. Era était sans aucun doute la ville la plus sûre du Royaume en termes de sécurité, je n’avais donc rien à craindre normalement. Aucun mage noir ne passerait dans le coin, et les criminels lambdas ne représentaient pas un danger. Du coin de l’œil je remarquai alors une jeune demoiselle qui me disait quelque chose… Oui, c’était certain, je l’avais déjà vue quelque part. Mais où ? Ce n’était pas récent. C’était y’a un moment déjà. Ouvrant grands les yeux, je parlais sans réfléchir :

« Jeanne ? … Jeanne de Montaugure…? »

Je me souvenais d’elle maintenant. Je l’avais vue dans cette pièce de théâtre à Carmina. Je m’en souvenais parfaitement puisque j’étais parvenu à y traîner Jet, en le piégeant comme à mon habitude. De quelle manière je l’avais piégé, je ne m’en souvenais plus trop, mais une chose était sûre, s’il avait pu me tuer d’un regard ce soir-là, je serais mort un bon demi-million de fois ! Personnellement, j’avais adoré cette pièce ! Une tragédie amoureuse qui en avait largement valu le coup ! Après, je ne savais pas trop si c’était le but, mais j’avais clairement été contre cet abruti d’Armand dès lors qu’il avait envoyé bouler Jeanne qui non seulement ne lui avait rien fait, mais n’avait pas demandé ce mariage arrangé non plus ! Et quand Jeanne s’était suicidée pour laisser les deux autres vivre heureux et ensemble, seule la présence de Jet – au bord de l’explosion depuis la première minute du premier Acte – m’avait empêché de trop en faire. Par contre, j’avais bien failli bondir sur scène à la toute fin lorsque cet abruti d’Armand et sa dulcinée Marina s’étaient mis à jouer le couple tout heureux. Yep, j’avais clairement été à fond dedans ! A force de lire et d’écrire, c’était devenu un réflexe pour moi de rentrer complètement dans l’histoire sans aucun problème, me mettant ainsi à la place des personnages pour comprendre leur ressenti. Naturellement, certains personnages étaient plus faciles à comprendre que d’autres. Quoiqu’il en soit, j’avais adoré sa pièce au point de complètement mélanger l’actrice et le personnage. D’ailleurs, pour le coup, je ne me souvenais pas de son véritable nom…

M’en fichant pour le coup, je me contentai d’agiter mon bras énergiquement pour lui faire savoir que j’étais là et la saluer ! C’était bien la première fois que je tombai sur une véritable actrice. Comment étais-je censé me comporter en sa présence ? Comment était-elle dans la vie de tous les jours ? J’espérais sincèrement que ce n’était pas le genre à prendre tout le monde de haut… Que penserait-elle en me voyant assis au bord de la rivière, posé à côté d’une Flashbird qui se goinfrait de pâtisseries ? Aucune idée. Mais bon, si elle était ici à Era, c’était pour une raison bien précise, non ? Décidant de lancer une véritable conversation malgré la distance qui nous séparait toujours, j’ajoutai avec plein d’enthousiasme :

« Bonjour ! Comment allez-vous ? »

Je supposais qu’il serait plus difficile d’ignorer une personne qui s’adressait directement à vous. Le tout maintenant, c’était de voir si elle mordrait à l’hameçon, ou si elle m’ignorerait et reprendrait sa route, brisant ainsi les espoirs du fan que j’étais.

Oui, c’était bien elle. La demoiselle que je voyais était bel et bien cette actrice que j’avais vue jouer dans une pièce de théâtre à Carmina. Allez savoir pourquoi, mais elle marchait pieds nus. Un peu étrange, mais bon, elle faisait ce qu’elle voulait après tout : c’était quand même ses pieds. Je ne voyais vraiment pas pourquoi je devrais la juger pour un acte si ordinaire. Ordinaire ? Mouais, pas tant que ça mais bon, ça restait son choix. Personnellement, ce n’était pas mon truc. Pour commencer, faudrait que je retire mes chaussures et mes chaussettes au lieu d’une simple paire de souliers comme elle l’avait fait. Ensuite, je ne voyais pas trop l’attrait de marcher sur l’herbe de cette façon. Le sable, oui. L’herbe ? Nope, ça n’avait pas trop de sens pour moi. Bon, ce n’était pas si grave que ça… D’ailleurs, elle devait avoir ses raisons, et si ça m’intriguait à ce point, je pourrais toujours lui demander, non ? Sans doute pas, cela faisait un bon moment déjà que j’avais compris que certaines questions ne devaient pas se poser. Ici, bien que je la connaisse pour son statut d’actrice, elle n’avait pas l’air de savoir qui j’étais. Pire encore, elle ne s’était pas encore aperçue de ma présence que je pensais déjà à lui faire passer un interrogatoire.

Une chose était sûre, ce n’était pas en la sur-analysant comme ça que j’en apprendrais plus sur elle et les raisons de sa présence ici, à Era. S’il y avait bien une chose de sûre, c’était qu’elle n’était pas venue dans le coin pour faire du tourisme, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, Era n’était pas une ville touristique : il n’y avait littéralement rien à voir. Mis à part le palais du Conseil ou les casernes peut-être… Ce qui m’amenait à la deuxième raison : elle n’avait pas du tout l’air d’une touriste. Pas de sourire émerveillée pendue à ses lèvres, pas d’appareils photos ou de calepins dans les mains, et pas de tenue adéquate. Bah tiens, parlons-en de sa tenue. Dans le cas d’une touriste, elle se serait promenée avec des vêtements suffisamment confortables pour pouvoir marcher avec pendant de longues heures le temps de visiter et de photographier tout ce qu’elle aurait cherché à voir. Là, en l’occurrence, elle semblait s’être mise sur son trente-et-un. Si ce n’était pas le cas, j’étais désolé pour elle, car ce n’était clairement pas le type de tenue qui semblait confortable, ou même facile à enfiler. Être forcé de se vêtir ainsi tous les jours – peu importait la raison – devait être un véritable enfer ! D’ailleurs, cette simple tenue me permettait d’en savoir plus sur elle et sur les raisons de sa présence dans cette ville non-touristique.

Pour commencer, elle ne faisait pas partie de l’Armée, à moins que ce ne soit son jour de repos ou qu’elle ait prévu de se rendre à un bal très important. Après, je pouvais affirmer qu’elle n’était pas une combattante – dans le sens guerrier du terme – rien qu’à sa façon de marcher et de tenir ses chaussures dans sa main. Elle semblait bien trop gracieuse pour daigner se salir lors d’un combat, donc on pouvait oublier les premières lignes. Puisqu’il n’y avait que des casernes ou le palais du Conseil dans le coin, il ne me restait plus beaucoup de choix pour la caser. Elle m’avait l’air bien jeune, mais il était tout à fait possible qu’elle soit liée d’une façon ou d’une autre à un membre de l’Armée. Épouse, sœur ou fille me paraissait plausible. D’ailleurs, cela expliquerait sa tenue en apparence parfaite, et son besoin de maintenir ses chaussures en bonne état lorsqu’elle marchait dans l’herbe, qui était humide par endroit. D’un autre côté, si elle ne venait pas pour un soldat ou Chevalier runique, elle était sûrement là pour les membres du Conseil. Elle n’avait manifestement pas la tête d’un Master de guilde, autrement je l’aurais tout de suite reconnue, même pour une petite guilde. Hmm, cette jeune femme serait-elle une mage ? Ce n’était pas parce qu’elle n’était pas faite pour les premières lignes qu’elle était incapable de se défendre ou de se battre. Une magie qui s’utilisait à distance pourrait correspondre à son profil. Le hic, c’était qu’elle risquerait quand même de se retrouver dans le feu de l’action. Non non, si elle était mage, elle se servait de sa magie pour rester à distance et attaquer sans pour autant se mettre trop en danger, et ainsi éviter d’abîmer ses tenues sophistiquées. Constellationniste peut-être ? Cela correspondrait définitivement au profil. Absente des premières lignes, mage combattant à distance, utilisation de sa magie pour combattre et la défendre à sa place. Puisqu’il lui faudrait invoquer une magie capable de se mouvoir et de penser par elle-même, il ne restait que les esprits des constellationnistes. Pour le coup, je m’impressionnais moi-même avec mes talents de détective.

Enfin, malgré toutes ces réflexions, je n’avais toujours pas moyen de savoir si elle était un membre de l’Armée en congé, proche d’un soldat ou constellationniste. Je privilégiais quand même la théorie de l’épouse ou de la fille d’un Chevalier runique Pourquoi ? Parce que ma première hypothèse casserait toutes mes autres théories, et la seconde me semblait bien trop précise. Je me savais doué en termes d’observations et d’interprétations, mais je n’étais pas doué à ce point ! Franchement, si sa magie consistait véritablement à invoquer des esprits avec des clés de constellationniste… Je ne savais pas trop comment je réagirais, mais je serais bien plus que choqué !!

Après l’avoir salué frénétiquement avec mon bras, elle avait fini par me remarquer et par s’approcher un minimum. Me saluant à son tour, elle me fit très vite comprendre qu’elle ne savait pas du tout qui j’étais, et qu’elle était certaine de ne jamais m’avoir rencontré. Elle n’avait pas tort. Je l’avais vue sur scène. Elle, étant sur scène, ne m’avait pas vu. Et même si elle m’avait vu, elle ne s’en souviendrait pas sachant qu’elle avait d’autres chats à fouetter sur le moment. Décidant de lui faire comprendre qu’elle n’avait aucune raison de rougir ou d’être gêné, je me levai à moitié tout en conservant un genou à terre. Pour faire simple, j’avais un genou à terre et la regardais droit dans les yeux. Soudain, je tendis ma main vers elle et me mis à prononcer ces mots d’une voix forte et assurée :

« Oh ! Poignard bienvenu dans ton nouveau fourreau ! Et dans mon sein, rouille ! Que me vienne la mort ! Pour le bonheur de mon être aimé, je disparais ! Adieu Père et Mère, adieu vie, adieu... »

Yep, c’était bel et bien les derniers mots prononcés par cette jeune femme, lors de son interprétation du personnage de Jeanne de Montaugure, juste avant de se donner la mort en se poignardant la poitrine. Lorsqu’elle avait prononcé ces mots, il y avait eu tout le poids du contexte et de sa détresse – jouée – derrière. Lorsque moi je prononçais ces mots, on pouvait y sentir de la fierté due au fait que j’avais retenu par cœur cette tirade, et que j’étais fier de mon coup. Malheureusement pour moi, une autre voix fit soudainement son apparition et vint gâcher tout mon effet.

« Ô Déesse à la chevelure dorée, me feriez-vous l’honneur de m’épouser ? »

Ah Hermès…si seulement je pouvais me débarrasser de lui… Mieux encore, si seulement je pouvais le faire taire une bonne fois pour toute avant qu’il ne me foute dans de telles situations ! Parce que là, j’étais littéralement foutu. Non seulement, mon béret venait de demander cette demoiselle en mariage, mais en plus, elle n’avait aucun moyen de savoir que c’était mon béret et non pas moi qui avait énoncé cette demande ! Pire encore, et si elle acceptait ? Qu’allais-je donc bien pouvoir faire alors que je ne la connaissais même pas ? Pire encore, et si elle était la fille d’un Chevalier runique complètement taré qui déciderait de suite de nous marier et de me forcer à emménager avec elle dès maintenant ?!! Comme je venais de le dire, je ne la connaissais pas ! Je l’avais vue jouer, mais c’était tout ! Il pourrait lui manquer une case que je n’en saurais rien ! Elle pourrait très bien être du genre à me séquestrer si je tentais de m’en sortir, ou de m’enfuir… Comment ferais-je dans ce cas-là ? Étais-je voué à quitter Fiore à tout jamais ? L’exil était-il ma seule issue ? Bon, avec un peu de chance, elle n’était pas folle et réagirait de manière simple. Si ça se trouvait, elle penserait que j’étais toujours en train de mimer une scène de théâtre. Mieux encore, elle comprendrait peut-être que c’était mon béret – et non pas moi – qui avait parlé. Bon d’accord, je me vouais la face de ce côté-là, mais bon, c’était toujours mieux que les scénarios catastrophes qui n’arrêtaient pas de défiler dans ma tête !! Cherchant à m’en sortir comme je pouvais, je choisis de répondre à sa question de base, bien qu’il était trop tard.

« Sinon, je m’appelle Tobias. Ravi de faire votre connaissance. »

Autant dire que je ne savais pas du tout faire les choses dans l’ordre. D’abord je commençais par lui faire signe avec des mouvements frénétiques, puis je rejouais sa scène de suicide, Hermès la demandait en mariage, et pour finir je me présentais. Yep, elle ne devait clairement pas en croiser beaucoup des spécimens de mon genre. Et pourtant, je valais largement la peine d’être connu. La question qui se posait maintenant, c’était : prenais-je la peine de présenter Hermès aussi, ou pas ?

Je devais le reconnaître: je n’avais pas été très malin sur ce coup-là. Pourquoi avais-je posé un genou à terre ? Et surtout, comment avais-je fait pour oublier la présence d’Hermès sur ma tête ? Avais-je été à ce point perturbé par la présence de cette actrice ? Cela me semblait être l’hypothèse la plus probable. Bon, tant pis, j’allais devoir faire avec. Le tout, c’était de prier pour que les conséquences de mon oubli ne soient pas catastrophiques. Yep, j’étais bien optimiste pour le coup. Après toutes les mésaventures que j’avais vécues jusque-là, je n’arrivais pas à croire que j’étais encore capable d’espérer une bonne conclusion lors de cette rencontre. Entre Hermès qui pourrait me poser des problèmes à tout moment et le fait qu’on se trouvait à Era avec – littéralement – une armée de soldats runiques pas loin, ce n’était qu’une question de temps avant que tout ne dégénère. Quel était le souci ici ? Simple, j’avais mimé la dernière scène de la demoiselle qui se trouvait devant moi en y mettant tout ce que j’avais. Traduction ? Mon interprétation était parfaite ! Oui, j’étais modeste. Le hic, c’était qu’Hermès en avait profité pour la demander en mariage, ajoutant un petit compliment au passage sur la couleur de ses cheveux. D’un côté, elle pourrait croire que ça faisait aussi partie de mon acte. De l’autre, elle pouvait me prendre au sérieux et, si tel était le cas, réagir d’une multitude de façons toutes plus crédibles les unes que les autres.

Joie. Colère. Indignation. Soulagement. Incompréhension. Ignorance. Mépris. Exaltation. Choc. Vous l’aurez compris, tout était possible ! Fort heureusement pour moi, c’était des réactions auxquelles je saurais parfaitement comment réagir. Malheureusement pour moi, elle avait réagi tout autrement. Sa réaction était clairement quelque chose que je n’aurais jamais pu prédire ou supposer. Pourquoi ? Parce que j’étais bien trop sain d’esprit pour aller aussi loin dans mes idées noires. Et oui, j’étais plutôt soft niveau paranoïa. On n’aurait pas dit comme ça, mais j’étais vachement optimiste en fait. Bien plus optimiste que ce que l’on pouvait penser. J’avais émis des hypothèses simples comme la joie ou encore l’indignation. Si elle tenait à se marier à ce point-là, la première réaction serait tout à fait légitime. En plus, j’étais un excellent parti. Jeune, blond, classe, suffisamment puissant pour que l’on se sente en sécurité à mes côtés, et en plus j’étais accompagné d’une Flashbird, soit la créature la plus jolie qui soit dans ce Royaume !! Je ne me considérais pas forcément comme riche, mais les missions que j’effectuais payaient bien, donc il n’y aurait jamais de soucis de ce côté-là. Le seul défaut que je voyais – en tout (fausse) honnêteté – était mon statut de sans domicile fixe. Oui, je n’avais pas de maison à moi. Je passais mon temps à dormir dans des auberges ou sur des arbres, voire carrément sur Arya. Bien entendu, cette actrice n’en savait rien du tout. Après, au vu de son style vestimentaire et de son métier qui indiquaient un niveau social plutôt élevé, elle pourrait largement se montrer indignée et prétendre qu’un paysan comme moi devrait déjà être content de pouvoir lui adresser la parole.

Mis à part ces hypothèses simples, j’avais également supposé qu’elle pourrait être choquée par la demande d’Hermès. Mais, là encore, je n’avais apparemment pas visé assez haut. En effet, la demoiselle avait complètement perdu la tête. Attention, pas dans le sens hystérique. Non, ça allait encore plus loin que ça ! La demoiselle devant moi était carrément devenue dépressive !! Yep, je ne plaisantais même pas : elle était entrée en pleine dépression !! Le simple fait de l’entendre parler aussi sérieusement m’inquiétait au plus haut point sachant que je n’avais jamais vraiment réfléchi à tout ça. Sur le fond, elle n’avait pas tout à fait tort, mais elle n’avait pas raison non plus. Je trouvais sa façon de voir les choses trop simplistes. Vu que dans sa propre pièce, elle s’était suicidée, je ne dirais pas qu’il s’agissait d’une vie douce et heureuse. Après, ce n’était que mon avis. Par la suite, son humeur s’était encore plus assombrie quand elle s’était mise à parler de la mort et du fait que la feindre sur scène n’était pas la même chose que mourir en réalité. Hmm… Qu’est-ce qu’il lui était arrivé sérieux ?! Apparemment, je n’étais pas le seul à m’inquiéter puisqu’Hermès me dit:

« Psst Tobias… On est en train de la perdre… »
« Ça t’apprendra à demander n’importe qui en mariage… »

Bah oui, c’était de sa faute après tout ! Je n’avais rien fait du tout moi. Ah ? Voilà qu’elle était partie sur les responsabilités et le fait qu’on se devait de les assumer dès lors qu’elles nous tombaient dessus. Pourquoi me disait-elle tout cela ? Au final, c’était bel et bien ça la question principale : pourquoi me sortait-elle toutes ces choses ? Je n’avais fait que reprendre une tirade de sa dernière pièce. Allez savoir comment, elle en avait déduit qu’il s’agissait du moment idéal pour philosopher sur les différences entre la vie réelle et la vie jouée sur scène. Au final, ne sachant pas trop quoi faire d’autre, j’avais mis fin à ses réflexions en répondant à sa première question : je m’étais donc présenté. Un peu tard sans doute, mais bon, c’était maintenant ou jamais. Autrement, elle se serait certainement mise à assombrir tout ce qui nous entourait, y compris ma Flashbird et le ciel. Par chance, mon introduction avait suffi à lui rendre la joie de vivre. Oui, c’était bizarre. Très bizarre. Bon OK, elle semblait se forcer un peu. Cependant, elle semblait d’humeur à se bouger au moins. Actuellement, elle était en train d’enfiler ces souliers par exemple. Et, allez savoir pourquoi, j’avais comme un mauvais pressentiment qui ne me rassurait pas du tout sur son état d’esprit. Qu’allait-il bien pouvoir m’arriver cette fois ? Je m’estimais déjà suffisamment heureux de par le fait que personne d’autre ne l’avait vu s’assombrir et parler de la mort comme si de rien n’était alors que ce n’était pas le genre de sujet de conversation qu’on abordait avec un parfait inconnu !! Encore moins quand on venait tout juste d’apprendre son prénom !! Ah ? Voilà que je me prenais un coup de cheveux maintenant !! Je me retenais à peine de partir en courant tant cette actrice commençait à me faire flipper par ses humeurs et actions étranges et sans suite logiques…

La seconde d’après, elle me tenait par la main…fermement. Euh…Étais-je en droit de réellement paniqué maintenant ? Mais pourquoi elle me faisait courir en plus !? Et Arya qui ne bougeait pas de sa place puisqu’elle continuait de profiter de ses pâtisseries ! Je me faisais littéralement kidnapper sous ses yeux et elle ne levait même pas le bout de son nez – voire carrément de ses deux nez ! – pour voir si j’étais toujours là ou pas. D’une oreille, j’entendis l’actrice me demander si j’avais faim. Puis, sans attendre ma réponse, elle mentionna un restaurant dans lequel on pourrait discuter. Jusque-là, ça avait un minimum de sens. Bien entendu, je me devais d’ignorer sa morbidité passagère pour ne serait-ce que croire un seul instant à cet élan d’enthousiasme. Forcément, j’avais beau être en vacances, je ne perdais pas mes habitudes méfiantes vis-à-vis des comportements étranges. Là, en l’occurrence, j’étais complètement perdu et n’arrivais pas du tout à la cerner. La demande en mariage d’Hermès m’avait tellement pris au dépourvu que je commençais déjà à m’imaginer qu’il s’agissait d’un traquenard ! Yep, à tous les coups, sa famille au grand complet allait débarquer de nulle part dans ce même restaurant, et son père chercherait à nous marier sur-le-champ tandis que son frère me sortirait le speech typiquement intimidant qui ferait que je ne serais plus jamais capable de m’endormir sereinement… Nous nous trouvions à Era en plus, ce n’était pas comme si je pouvais me permettre de déclencher un scandale si près du Conseil de la Magie. De plus, cette actrice ne devait plus être une inconnue. Quant à moi, j’étais reconnu dans pratiquement tout le Royaume en tant que mage et écrivain. Donc, un scandale de ce genre à Era apparaîtrait forcément dans le Sorcerer Magazine ! Et à la première page en plus !!

J’étais foutu. Foutu ! C’en était fini de ma liberté ! Fini mes aventures aux quatre coins du Royaume et même au-delà. Fini mes nuits dans des auberges toutes plus suspectes les unes que les autres. Fini ma vie telle que je la connaissais. J’allais certainement être surveillée tous les jours et toutes les nuits histoire de s’assurer que je ne faisais pas honte à la jeune demoiselle… D’ailleurs, je maintenais toujours mon avis comme quoi elle était reliée à quelqu’un dans l’Armée. Un père ou un frère, sans doute. Elle n’avait pas la tête d’un soldat, et je ne m’estimais pas suffisamment précis dans mes déductions pour avoir deviné qu’elle était constellationniste. Tout en versant une petite larme à l’idée de tout ce que je pourrais perdre en me laissant traîner sans rien dire dans un mariage qu’Hermès – et pas moi – avait demandé, je répondis par réflexe à sa seconde question :

« Mais n’est-ce pas le rôle du fan que de kidnapper son idole pour la conserver égoïstement et éternellement… ? »
« Il marque un point. On dirait que vous vous êtes trompée de script Ô déesse à la chevelure dorée… »

Notre duo de choc avait encore frappé ! Le meilleur moyen de perturber l’ennemi et d’éviter ce mariage forcé – pour ma part – était de l’embrouiller suffisamment pour qu’elle oublie la raison pour laquelle elle nous emmenait vraiment dans ce restaurant ! Quant à Hermès, la phase morbide de l’actrice était – étrangement – parvenue à l’effrayer suffisamment pour qu’il estime que fuir au plus vite était la meilleure solution !! Ainsi, il avait même décidé de continuer d’utiliser le titre qu’il lui avait donné plus tôt en rapport avec ses cheveux pour lui faire croire qu’on n’avait rien compris à ses plans machiavéliques ! Malheureusement pour cette actrice, Hermès et moi n’étions pas nés de la dernière pluie ! On savait exactement ce qu’elle voulait, et nous ferions tout pour éviter de tomber dans son traquenard !! D’ailleurs, si le clin d’œil et le tirage de langue avaient eu pour intention de nous rassurer, ces actions eurent l’effet contraire ! On avait compris du clin d’œil comme une tentative de nous amadouer afin que nous baissions notre garde : bref, de la manipulation de base ! Idem pour le coup de cheveux un peu plus tôt, elle avait cherché à me distraire avec son parfum floral, sans aucun doute pour me séduire et rendre l’idée de l’épouser plus attrayante à mes yeux. Yep, cette actrice était vicieuse, très vicieuse. En ce qui concernait le tirage de langue, ce n’était rien de plus qu’un moyen de focaliser notre attention sur ses lèvres pour la partie finale de la cérémonie qui voulait que l’on embrasse la mariée… Bon d’accord, Hermès voulait, en grosse partie, éviter que je sois celui qui embrasse cette jolie demoiselle. Il ne fallait pas oublier que son but premier était de m’attirer des ennuis avec les femmes pour que celles-ci se vengent sur moi. Le fait de les rendre folle de moi était à l’opposé de ce qu’il avait en tête !! Après, si lors de cette cérémonie, l’actrice dégainait un poignard pour m’ouvrir le ventre, Hermès ne dirait probablement pas non… Le hic, c’était qu’elle ne donnait pas forcément cette impression. Donc, en attendant, il m’apportait son soutien pour m’aider à fuir celle qui était supposée être l’idole et non pas la groupie cherchant à kidnapper le célèbre mage que j’étais.

Arrivés au restaurant, nous nous retrouvâmes à une table de son choix… De mon côté, j’étais particulièrement tendu. J’avais beau cherché à le cacher, ça se voyait clairement que je n’étais pas à mon aise. D’un point de vue extérieur, on pourrait croire que j’étais nerveux du fait de me retrouver face à cette demoiselle pour ce qui semblait être un tête-à-tête. Préférant éviter un silence trop pesant en attendant de trouver une issue de secours pour me barrer et mettre le plus de distance entre Era et moi, je décidai de faire la conversation. Quelque part, je cherchais également à glâner quelques informations qui pourraient me servir et m’indiquer si l’embuscade était proche ou si j’avais encore le temps. Je lui demandais donc d’un ton qui se voulait innocent et curieux :

« Euh… Vous vivez dans le coin ? »
« Oh pas mal comme question ! C’est bien, demande son nom après ! Ça pourra toujours servir pour la déposition… »
« Shht… Elle n’est pas sourde… – fis-je remarquer à Hermès avant de prendre un air horrifié tout en m’adressant à l’actrice – Comment ai-je pu oublier de vous demander votre nom ? Après tout, je ne peux pas continuer de vous appeler par le nom de votre personnage… Ce ne serait pas correct de ma part. »

Avais-je perdu la tête ? Oui. Clairement, la moindre des choses quand on faisait signe à une actrice, c’était de connaître son nom – son vrai nom – et pas seulement celui de son personnage ! Pire encore, Hermès était censé l’avoir demandée en mariage et là elle apprenait que je ne savais même pas comment elle s’appelait ! D’ailleurs, dans le cas où elle n’aurait pas capté que mon béret était doué de parole, elle penserait certainement que j’étais sujet à un dédoublement de la personnalité. Donc, oubli du prénom, dédoublement de la personnalité et tension évidente, serait-ce suffisant pour la repousser ? Ou le fait que je lui pose une question sur elle – et son lieu d’habitation – suffirait à contrebalancer les points négatifs que je ramassais lentement mais sûrement ?

Plus le temps passait et moins je la comprenais. Trop de choses s’étaient passées en trop peu de temps pour que je puisse vraiment analyser chacune de ses actions, chacune de ses phrases afin d’en interpréter chacune de ses pensées. De plus, elle était actrice. Traduction ? Si ça se trouvait, elle se foutait juste de moi depuis le début. Bien entendu, j’avais de gros doutes là-dessus. Après tout, malgré l’air que j’affichais, il était plutôt difficile de me tromper. En effet, depuis que je m’étais fait rouler en beauté par Caitlyn, j’avais pris grand soin de ne plus baisser ma garde et de toujours m’attendre au pire de la part des gens, et ce, peu importait le contexte et le fait qu’ils puissent avoir l’air innocents. Le prix à payer pour cette erreur avait été bien trop gros. Résultat, je faisais gaffe maintenant. Ici, cette actrice était bien trop impulsive et instable pour que je puisse me sentir à l’aise à son contact. Elle alternait enthousiasme et morosité comme personne en l’espace d’un instant ! De même, un coup elle rigolait de son statut d’actrice en me considérant comme un fan, un coup elle partait dans l’autre sens pour me dire d’oublier qu’elle jouait la comédie pour gagner sa vie. Yep, je n’avais toujours aucune idée de sa réelle identité derrière son métier. Je ne pouvais pas assister à chaque pièce de théâtre, et je n’avais pas forcément envie de savoir qui se trouvait derrière le personnage incarné. Tout fan qui se respectait avait un minimum peur de découvrir la véritable personnalité derrière la fausse qui était mise en scène.

Ici, c’était un peu la même chose. Au final, je l’avais vue et l’avais aussitôt hélée pour lui parler. Là maintenant, Hermès et moi étions effrayés. On se sentait tellement coincés et paniqués que nous ne prenions même plus la peine de nous montrer discrets lorsqu’on balançait de petits piques à l’encontre de la demoiselle qui nous faisait face. Pour notre défense, on la pensait complètement tarée ! De notre point de vue, elle écoutait à peine ce qu’on disait et évoluait simplement dans son monde imaginaire où tout se passait à sa façon. Oui, notre avis sur elle était particulièrement méchant, il n’y avait pas d’autre mot pour le dire. Quoiqu’il en soit, perturbés comme on l’était, nous n’avions pas trop fait attention à son histoire sur une audition avec le Conseil. Nous l’avions entendue, mais l’information était actuellement recouverte par tout le reste. Je pensais à Arya qui était toujours en train de manger au même endroit qu’au départ. Elle allait certainement me foutre des coups de bec une fois qu’elle se rendrait compte que je l’avais laissée pour disparaître encore. A côté de ça, il y avait cette histoire d’embuscade et de mariage, et les brusques changements d’humeur de la demoiselle. Bref, il y avait beaucoup de trucs à absorber avant d’arriver à cette histoire avec le Conseil.

Machinalement, j’avais commandé un jus d’orange. Cependant, je n’y avais pas touché du tout. Pour le moment, je pensais toujours que ce restaurant ne tarderait pas à se retourner contre moi. Cette peur ne tarda pas à disparaître par contre. Myrcella Heaven. Ce nom, je le connaissais. Il s’agissait d’une constellationniste de Blue Pegasus. Ça expliquait ses manières, son style vestimentaire et probablement le choix de son métier d’actrice. A côté de ça, cela confirmait mon hypothèse sur son style de combat et le fait que si elle était mage, je ne la voyais être qu’une constellationniste. Grosso modo, j’avais misé dans le mille ! Ajouté à cela, à l’instant même où j’avais été capable de lié son nom à son statut de mage et à sa guilde officielle, tout mon délire sur sa tentative de mariage forcée s’envola. Hermès se détendit également en apprenant le nom de la demoiselle. Lui, c’était surtout le nom de famille qui avait attiré son attention. Il avait dû lire quelque part que la famille Heaven était proche du roi en personne. Tout à coup, c’était elle le bon parti. Elle faisait également partie des mages recrutées par le Conseil pour défendre – bêtement – Gehenna Island durant la tentative d’exécution publique des trois mages noirs. Hmm, une personne bien tout compte fait. Bien, c’était rassurant. Je pouvais donc me relaxer et boire mon jus d’orange tranquillement maintenant. Prenant ainsi mon verre dans une main, j’avalai d’une traite la moitié du contenu tandis que je réfléchissais à la façon dont j’allais pouvoir répondre à sa question. Évidemment, Hermès profita du fait que j’étais en train de boire et réfléchir pour lui offrir une réponse de son propre cru :

« J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous répondre Miss Heaven… Voyez-vous, si je vous disais la vérité, je me verrai forcé de vous planter un couteau en pleine poitrine ! Et quand je dis poitrine, je ne parle pas de vos atouts que vous savez manifestement très bien mettre en valeur, je parle bien évidemment de votre coeur !! Oui, votre cœur ! Dans le cœur le couteau ! »

Je m’étranglai aussitôt avec mon jus d’orange en avalant de travers !! Continuant de m’étouffer et de tousser pendant quelques secondes, Hermès choisit de continuer sur sa lancée et d’en finir une bonne fois pour toute avec mon avenir :

« N’hésitez surtout pas à en parler durant votre audition avec le Conseil d’ailleurs. Je m’appelle Tobias Grant, et je vous ai officiellement menacé de mort dans le cas où je vous révèlerais la vérité sur ma condition. J’ai bien peur que vous ne soyez forcée d’endurer ces remarques étranges pour le moment… Après, on peut toujours négocier… Un petit coup d’œil sous votre robe devrait normalement suffire. »

Posant mon verre sur la table, j’avais fini de m’étouffer avec mon jus d’orange pendant qu’une autre voix s’exprimait pour moi. Prenant une profonde inspiration, je poussai un soupir désespéré pendant un long moment avant de tilter sur cette histoire du Conseil. Une audition avec le Conseil ? Pourquoi ? Et surtout comment ? Tout le monde n’était pas apte à se présenter devant eux juste comme ça. Avait-elle été convoquée ou s’y rendait-elle de son plein gré ? S’il s’agissait de la dernière option : pourquoi ? Telle était la question que je me posais et que je décidai de lui poser. Pour le coup, j’avais décidé de faire comme si de rien n’était et de prétendre qu’Hermès n’avait jamais ouvert sa bouche pour raconter n’importe quoi et m’attirer d’énormes problèmes auprès d’une personne qui aurait accès aux dix personnes les plus influentes du Royaume dans le monde de la magie…

« Vous avez mentionné une audition avec le Conseil… Pourtant, vous n’avez pas vraiment le profil pour avoir été convoquée. D’après ce que je sais sur vous en tant que mage, vous ne faites pas partie de l’Armée et semblez bien trop…précieuse…pour avoir commis un acte susceptible d’être remarqué par le Conseil… Sans vouloir vous offenser, évidemment. »

Ce que je voulais dire par précieuse ? Simple, c’était généralement les mages de Fairy Tail qui se retrouvaient convoqués par le Conseil pour répondre de leurs actes de destruction ! De même, au vu de son style vestimentaire, elle prenait clairement soin d’elle, ce que je voyais comme une preuve de goût pour le contrôle et la propreté. Ainsi, être convoqué par le Conseil pour une mauvaise action ne correspondait pas à ce que je voyais d’elle. Je n’avais rien lu non plus dans le Sorcerer Magazine qui soit susceptible de lui dénicher une audition face au Conseil. Elle était bien connue au sein de Blue Pegasus, aucun doute là-dessus. Le truc, c’était que si quelqu’un comme Ren Ikari n’avait jamais été convoqué par le Conseil pour une audition malgré son parcours et sa personnalité exemplaires, je ne voyais vraiment pas qui pourrait l’être. Une chose était sûre, je ne devais pas du tout arranger l’image qu’elle se faisait de moi avec cette remarque. Je venais littéralement de la catégoriser. Certes, je m’étais à la fois baser sur son apparence et ses actes en tant que mage. Cependant, il était rare que les gens apprécient ce type de catégorisation. De plus, après tout ce qu’Hermès lui avait dit, je devais déjà passer pour un psychopathe agressif, dangereux, légèrement pervers et maintenant, j’avais juste l’air d’un gars qui supposait beaucoup de chose sur une personne qu’il venait à peine de rencontrer.

« Non mais t’as pas bientôt fini de l’embêter avec tes remarques inutiles. Il est pourtant évident qu’elle auditionne là-bas pour la place de mannequin vedette du Sorcerer. »
« Tu crois ? Je vois mal Namine et Aion perdre leur temps à faire passer des auditions pour ça… Après, je ne connais pas les autres et vu qu’ils ont réussi à se mettre d’accord pour le plan le plus stupide du siècle avec cette article annonçant l’exécution publique sur Gehenna puis la mise en place de celui-ci… Tu n’as peut-être pas tort… »
« Tu vois quand tu veux ! Je maintiens que tu devrais écouter mon avis plus souvent. D’ailleurs, avec un peu de chance, Miss Baldur participera et gagnera haut-la-main !»
« Vraiment ? Tu penses sérieusement qu’elle battrait Miss Miriez ? Aucune chance ! Tiens, Miss Heaven, vous en pensez quoi vous ? Pour cette audition de mannequinat, qui gagnerait si on incluait les demoiselles actuelles du Conseil ? »

Oui, on était partis sur une toute autre tangente ! Pendant l’espace d’une seconde j’étais redevenu sérieux en parlant du fiasco qu’était l’épisode sur Gehenna Island, mais juste après – à cause d’Hermès – on en était arrivés à parler de l’audition de Myrcella comme d’un concours de mannequins ayant pour objectif de désigner la future Miss Sorcerer ! Autant dire – et c’était quand même dommage – qu’à aucun moment on s’imaginait à quel point cette audience était sérieuse pour la demoiselle qui nous faisait face. Autrement, on ferait l’effort de se tenir et de bavarder plus sérieusement avec elle. Là, on subissait le contrecoup de notre soulagement. Comprendre qu’elle ne cherchait pas à m’épouser de force dans ce restaurant nous avait complètement rassuré et détendu. Résultat, on s’était mis à bavarder comme si de rien n’était en parlant de tout et de rien. Personnellement, j’avais complètement oublié les menaces proférées par Hermès à l’encontre de Myrcella. Dans tous les cas, je ne lui avais toujours pas expliqué ce qu’était réellement mon béret, donc quelque part, la menace n’avait pas lieu d’être. Après, on venait de partir en débat sur qui – parmi les femmes du Conseil – aurait le plus de chances de représenter Fiore en tant que mannequin sur la couverture du Sorcerer. Hermès misait sur l’une des sœurs Baldur – Leila ou Miria, il ne faisait pas de distinction – tandis que je misais sur la mercenaire Oskana Miriez. Si elle prêtait bien attention à nos propos, elle ne devrait pas tarder à comprendre que – encore une fois – à aucun moment on la considérait comme étant susceptible de l’emporter dès lors que l’une de ces trois-là ferait partie de cette compétition de mannequinat. Ce n’était pas gentil, même pas sympa du tout. Le problème, c’était que ce genre de truc se produisait assez facilement dès lors qu’on prenait trop la confiance. Or, soulagée comme on l’était, on ne prêtait pas vraiment d’attention à nos propos.

Conclusion ? Dans le cas où Miss Heaven rejoignait le Conseil suite à cette audition ou dans les années à venir, il était pratiquement certain qu’elle n’oublierait pas mon nom et chercherait certainement à me tomber dessus avec le marteau de la Justice à la moindre infraction de ma part !! Sans m’en rendre compte, il était possible que je sois en train de me créer l’incarnation la plus dangereuse de tous les temps : la femme blessée dans sa fierté et avide de revanche.