Le marché noir. Kanna n’avait pas mis les pieds en ce lieu depuis un petit moment. La soif de l’aventure ainsi que les voyages « contraignait » la charmante demoiselle à rester loin de son « chez elle » temporaire. Toutefois, elle préférait cette vie-là plutôt que celles de ses congénères condamnés à rester -une large partie de leur vie- dans l’obscurité la plus totale. Pour être honnête, le marché noir en était étouffant.
Se sociabiliser ? Quelle absurde pensée ! Supporter l’existence de son Master était déjà de trop. Outre ceci, la foule, les vas et vient des commerçants, les voix, le brouhaha : autant vous dire que ce mélange répugnait la rousse. Ah, que sa vie sauvage lui manquait ! Dans la forêt, vous n’avez pas besoin de vous préoccuper des gens qui vous bousculent car la forêt dévore les ignorants !
Dans un élan de bonne volonté matinale, la jolie rouquine avait décidé de consacrer un peu de temps à sa propre personne –pour ne pas changer-. Noyée dans une foule, sa petite taille ne fût qu’un inconvénient une fois de plus. L’envie d’user d’une onde de choc pour envoyer valser ces grosses brutes lui était passée plusieurs fois à l’esprit dans l’heure. Malheureusement pour elle, Kanna avait promis bonne conduite à la tête d’algue. Cette promesse était bénéfique pour elle. En effet, la rouquine avait gagné un séjour régulier dans les quelques bibliothèques de ce lieu noir ! Le vrai paradis pour la rousse.
Essayant désespérément d’atteindre son but -c’est-à-dire de s’extraire de cette horde de microbes géants- Kanna atteignit son objectif rapidement à coup d’épaules et bousculades. En un mot : à la manière des personnes peu civilisées. Ceci étant fait, la renarde s’écarta de la foule. Quelle joie ! Quel bonheur d’entendre ces voix s’éteignant peu à peu, ne laissant place qu’à un silence aussi doux qu’une plume se frottant à votre oreille.
Un pas après l’autre, la rousse errait sans réelle direction dans des quartiers où elle n’avait jamais mis les pieds auparavant. L’obscurité venait rognait peu à peu la demoiselle. Toutefois, la maîtresse noire se stoppa dans son élan d’appétit à la vue du lacryma géante. Cette dernière dégageait une lumière quasi aveuglante. Plissant ses grands yeux rouges qui devinrent proches du dorés à cause de la luminosité blanche, Kanna s’approcha de la lumineuse d’un pas lent et hésitant. Faisant rapidement le tour de cette dernière, la demoiselle sentit l’obscurité de tout à l’heure lui caressait l’épaule à l’aide de ses
griffes acérées. Stoppant sa marche, son instinct lui indiqua de se retourner. Chose faite sans broncher.
Et c’est ainsi que la biche rencontra son chasseur.
Dos à elle, voici le chasseur noir scrutant son futur repas. De sa prestance intimidante, même la lumière aveuglante ne semblait pas atteindre le teint obscur de l’individu. Sur le coup, elle crut voir l’un de ces monstres que l’on trouve uniquement dans les contes pour enfants, or il n’en était rien à un détail près. Un détail qui a son importance : ce monstre-là était réel ! Après une longue minute de silence, cette allure, ces traits de visages, ce regard lui revirent à l’esprit à la vitesse d’un éclaire frappant le sol. Écarquillant les yeux sous la peur de reconnaître ce curieux personnage, la renarde garda son sang-froid. De ce fait, elle se tourna vers son interlocuteur, lui faisant face-à-face.
Milo lui avait conté une histoire brève sur celui qui tire toutes les ficelles de cette partie d’échecs. On lui conta les mots suivants :
« Un soir, mère Discorde et Monsieur Chaos eurent un enfant. Le jour de son arrivée au monde, l’enfant ne pleurait pas comme tous les autres chiards. Non. Il riait aux éclats. Il ricanait d’avoir fait souffrir Mère Discorde lors de son accouchement. Grandissant dans un lieu semblable aux enfers, notre jeune garçon -qui naquit avec les pires gênes qui puissent exister- voyait de jour en jour cette lumière dans son regard s’éteindre. Bientôt cette flamme disparut. Comme la fumée de cette dernière, le bon sens du jeune garçon s’envolèrent dans le vent. Nourris par le nectar interdit qui coule en chaque homme, le jeune garçon au teint gris acquis les rudiments de la tragédie. On l’appela Kite Reyes, enfant de la discorde et du chaos, dirigeant d’Oracion Seis, pilier majeur de l’Alliance Baram ».
Soupirant profondément, la renarde observa le jeune homme en haussant un sourcil. Étrangement, sa peur descendit peu à peu. Dans un sens, mettre une étiquette sur un visage rassurait la demoiselle. Néanmoins cette étiquette-là n’était pas la plus rassurante, je vous l’accorde. Ce requin faisait partie des plus dangereux de l’océan. Kanna n’était qu’une silencieuse murène, préférant sa tranquillité aux conflits des autres poissons. Sur le coup, la rouquine ne savait pas comment réagir face au supérieur…de son supérieur. Jetant un regard furtif sur l’épée de son interlocuteur, la demoiselle fronça ses sourcils. Son innocence et son ignorance vis-à-vis des rouages du système hiérarchique la rendait maladroite dans son comportement face aux personnes potentiellement dangereuses voire mortelles. Elle se contenta de croiser ses bras. Ce petit bout de femme était de ceux qui ne craignent pas mort. Nous ne rencontrons jamais la mort. C’est seulement quand on la croise qu’il est trop tard pour s’en rendre compte. Or, Kanna était encore en vie à l’heure actuelle.
« Si j’ai bien compris ma leçon, vous devez êtes le genre d’homme qui sait se faire respecter, n’est-ce pas ? Le bureau du patron n’est qu’à quelques pas d’ici si c’est ça qui vous intéresse ».
Au fond d’elle, la renarde avait hâte d’entendre les premiers mots du chevalier noir.