La carriole s'ébranlait sur les pavages usés des grandes routes de Fiore. Maugréant sur l'état déplorable de routes malmenées par le temps, je resserrais sur mes épaules ma cape déchirée, en aussi piètre état que les chemins sur lesquels je m'aventurais. J'avais quitté Lamia Scale quelques semaines plus tôt et m'étais arrêtée dans une auberge sur mon chemin pour me prendre quelques vivres et donner congé à ma carcasse fatiguée. Les portes de Crocus s'élevaient dans le lointain, citadelle imposante surplombant un décor magnifique de monts perdant leurs têtes dans les nuages et leurs peines dans des landes verdoyantes. À demi-endormie, je caressais du bout des doigts le coffret de mon paternel. Enfin, si cette imminente guilde me prenait dans son giron, je pourrais ouvrir le couvercle de cette boîte de Pandore. La curiosité me ravageait, mais heureusement, mon ventre criait plus fort famine que mon esprit. Je soupirai en entendant mon vieil étalon s'ébrouer doucement, chassant les quelques goutes de rosé s'accrochant farouchement à sa crinière. Mon maigre sac de victuailles se composait d'une miche de pain mouillée par l'averse de l'avant-veille et d'un morceau de fromage douteux. Si Saber Tooth me fermais ses portes, j'avais comme plan de faire un crochet par les bas quartiers vendre des prédictions pour de la nourriture. J'aurai pus vendre, tout au long de mon pèlerinage, mes robes somptueuses tissées par ma mère et moi ou me débarrasser de mes morceaux d'armure, mais je ne pouvais simplement pas. Chaque objet que j'avais traîné avec moi avait son histoire ; l'odeur fleurie de ma mère, la sueur de mon père, le rire sensuel cascadant de la mage guérisseuse qui avait partagé nos vies. Des gens commencèrent à se joindre à moi, soit à pied, à cheval ou traînant des bêtes dans leurs sillage. Derrière l'enchevêtrement de bâtiments pâles et imposant, Mercurius, ce château mythique qui accueillait le roi de Fiore était comme un phare dans une nuit dans lune ; brillant, inspirant et magnifique. Une vielle matrone de fortes proportions me tira de mes rêveries en toussotant. Elle marchait avec un long bâton aussi usé que sa peau fripée par l'épuisement. Elle tenait solidement contre ses côtes un panier tressé emplis de pommes juteuses et d'oranges pulpeuses. Trois gamines maigres comme des os aux yeux renfoncés dans leurs orbites la suivaient de près, bavant en voyant un garçonnet vêtus de lourdes étoffes mâchouiller négligemment un morceau de porc séché. Les gamines aux cheveux crasseux portaient des vêtements trop larges pour elles et rapiécés. Je ralentis mon cheval pour être à la hauteur de la femme.

<< - Madame, veuillez me permettre de vous escorter, vous et votre marmaille, à votre destination. >> Dis-je calmement

La mère me dévisageât outrageusement comme si proposer son aide était chose peu courante à la capitale. Je sortis de mon sac le fromage que j'avais récupérer le long de ma route depuis mon entrée en Fiore central. Je séparais la pointe en quatre généreuses portions et les tendus vers les demoiselles. Elles avaient l'œil pétillant tellement elles voulaient tendre leurs doigts maladroits pour s'emparer de ce Saint Graal. La matrone hocha la tête, aida ses gamines à grimper à l'arrière de mon chariot brique-ballant avant de poser son lourd fardeau avec elles et monter à ma gauche. Les gamines se régalèrent, selon leurs gémissements délicats d'appréciation. La circulation se fit plus lente alors que j'approchais avec mes nouvelles compagnes d'une des entrées principales de la citée.

<< - Comment j'pourrais vous r'mercier mam'selle ? >> Dit la voix grasse et épaisse de ma voisine

Je lui souris simplement. Les gamines avaient un fond dans le ventre, ça faisais mon plaisir. Je ne répondus jamais à la question de la femme, lui laissant le plaisir de me croire soit sourde ou simplement de bonne volonté. Je déposais ce quatuor devant la ville, sur une place bondée, en aidant la petite dernière, avec des cheveux blonds rendus grisâtre tirant sur le noir, à descendre.

<< - Merci, princesse. >> bégaya la gamine

Je remontais à ma place sur le banc de bois bancal avec un sourire niais. Les roues crissèrent sur le gravier emplissant le vide entre les pierres du sol. Je remontais Crocus comme on remontait une rivière. Mon attelage craquait et mon cheval semblait pressé de prendre une pause. Je souris à ma fidèle monture. Il avait bordé plusieurs de mes aventures, plus jeune, ce vieil Olivier. Ses muscles noueux, déjà fatigués dans ma tendre jeunesse, n'avaient pas flanché lorsqu'il m’avait porté contre la montre à travers les bois reliant la longue route de Shirotsume et Blue Pegasus. Par deux fois, il avait porté une gamine effrayée avec succès sur un chemin de terre par des circonstances mélancoliques. Dans ma ville natale, Olivier m'avait aidé à rejoindre un espace un peu plus serein que ma vie de tous les jours.

En repensant à ses souvenirs, je regardais vers le ciel. Je me demandais ce que faisaient papa et maman en ce moment. Peut-être mon paternel s'occupait, les deux genoux dans la terre, avec ses grosses mains calleuses, du potager. Peut-être ma génitrice était assise sur la balançoire, à lire un ouvrage que j'avais négligemment jeté sur sa table de chevet en lui disant qu'elle devrait le lire, humant les effluves de mon odeur qui s'accrochait aux pages cornées. Peut-être que celle qui m'avais appris la magie riait à gorge déployée avec ses semblables pégases, magnifique et ravageuse, se demandant elle aussi où j'étais. Peut-être pensaient-ils à moi, traversant le royaume à la recherche d'une terre d'accueil pour tout recommencer à zéro. Le ciel bleu, moutonné ça et la de nuages épais et lumineux, était d'une vitalité rafraîchissante. Les rues se firent plus étroites et l’essieu de ma roue fendit à quelques mètres de l'auberge Honey Bone. Accroupie devant cette accueillante auberge à constater les dégâts avec quelques hommes bien généreux, je pris le peu de possessions qu'il me restait, les attacha solidement à la scelle d'Olivier et, en remerciement à l'aubergiste d'avoir voulu me donner un coup de main, je lui vendus contre de la viande cuite et quelques carottes bouillies le bois de mon char pour réchauffer ses clients.

Débarrassée de cet amas de vis et de bois, je grimpai sur Olivier en un bond, fière de ne pas retomber de l'autre côté et continua ma progression à travers la ville. Je regardais se dresser dans l'ouest majestueux l'arène que je me promis de visiter plus tard. Domus Flau était le nom de ce géant de pierre, gris, mais ô combien puissant et sublime. J'observais les fleurs qui parcouraient la devanture des coquettes échoppes, bordaient les ponts, se suspendaient dans les arches et répandaient dans le vent une odeur délicieuse et paradisiaque. Mâchouillant avidement mon morceau de viande, je me perdais dans la contemplation d'un lampadaire recouvert de vignes qui détonnerait dans ma paisible Shirotsume. Tout ici était si immense, si vivant et, pourtant, si naturel. Le claquement des sabots de ma monture faiblissant résonnait sur les pierres en un rythme saccadé. Je regardais autour de moi. Les gens riaient doucement, vivaient sans se presser. Je profitais de cette paix pour aborder un duo de pêcheurs qui, assis sur le bord d'un pont, essayaient d'attraper quelconque poisson au cœur même de la ville.

<< - Pardonnez-moi, messieurs. >> Dis-je en adoptant un ton jovial

L'un des deux se retourna, souriant, amical et ses cheveux blancs se perdant dans son chapeau de paille. En quelques minutes, je possédais les indications les plus détaillées possibles pour me rendre à Saber Tooth. Amusée par la simplicité de vie que menaient les gens de la capitale en convoitant la même simplicité de vie que menaient les campagnards, je repris mon chemin à travers le dédale des routes, saluant chaleureusement les gens que je croisais. Je devais vraiment détonner, dans cette ambiance de gens aux cheveux sombres et aux vêtements colorés. Cette dernière année n'avais pas été la meilleure pour ma garde-robe. Sous le tissus écorché de ma cape rugueuse, ma tunique noire déchirée par endroits et mes braies brunes avaient visiblement connus de meilleurs jours. Honteuse de me présenter ainsi à ma nouvelle guilde, avec mes longs et poisseux cheveux blonds tressés et dissimulés sous un fichu noir qui criaient le besoin d'un bon lavage. Je rabattus mon capuchon sur mon visage en m'engageant dans une petite et douillette ruelle qui débloqua sur une avenue sensiblement fréquenté sur laquelle j'aperçut, au prochain tournant, ce que j'espère, deviendrai mon nouveau chez-moi. Un grand édifice aux murs bien droits, une façade bien astiquée avec une minutie presque médicale dans chaque rose, chaque tulipe dans les bacs à fleurs. Je voyais le soleil jouer dans les fenêtres dont certains rideaux étaient tirés. J’observais avec minutie le travail du bois dans les hautes corniches et la longueur presqu’interminable de ce puissant édifice. Énervée par la vue de cette immensité qui me coupais les mots et le souffle, mes mains allèrent danser sur la croupe de mon vieil ami, ma monture, mon compagnon, mon Olivier, rameau de paix dans un monde chaotique. Je sautais sur le sol, mes bottes aux talons arrachés chauffant la plante de mes pieds par la température des pierres qu’elles foulaient. Tirant sur la longue, j’attirai sans efforts mon fidèle partenaire de voyage vers une colonne de la façade. En souriant, mon esprit dans mon monde blanc et parfait, je laissais mes mains nouer solidement la corde m’écorchant doucement mes doigts cornés par la dernière année. Je laissais ses dix doigts courir sur la corde pour caresser sur le visage de mon cheval ses muscles flétrit. Son pelage rugueux était familier sous mon épiderme sale. Je dénouais mes maigres effets personnels de sa croupe et les tira derrière moi, vers les portes de la guilde. Je promis à Olivier de revenir rapidement, mais je ne savais pas si je mentais ou non. D’un pas léger dans mes habits de mendiants qui avaient vus de meilleurs jours, je me dirigeais vers les portes. Un adolescent se tenait devant les battants ouverts. Je devais avoir quelques années de plus à mon compteur que ce jeune homme. Une femme lui faisait face, pleine d’élégance et de distinction. Petite, cette poupée de porcelaine semblait à peine avoir seize ans. Les deux se dévisageaient étrangement. La droiture de la jeune demoiselle me rappelas la voix stridente de ma mère me dire de me tenir droite. L’homme qui lui faisait face avait des cheveux d’un rouge éclatant. Je m’avançais, incertaine de ce que je devais faire. Si le jeune homme était un de ses prétendants, j’étais prête à me mettre devant cette frêle dame pour lui laisser le temps de revenir à l’intérieur. Si c’était l’inverse, ce qui me semblait peu probable, vu l’imminence de leurs différences de classes, je laisserais ce duo mal agencé vivre et entrerais dans l’édifice pour parler au maître. Pour le moment, je restais ainsi, droite, fière, à regarder paisiblement les gens qui passaient, visiblement en train d’attendre que les deux personnes à quelques mètres de moi se décident à bouger. Mon ventre gargouilla. La famine, malgré mon copieux et rapide repas, me tenaillais.

J’attendais, intéressée, détachée, souriante, crasseuse. J’aurais pus être n’importe qui, une nouvelle recrue, une admiratrice, une mendiante, une voyageuse avec peu de moyens ou bien un membre d’une autre guilde venant pour une petite visite. Sous le soleil de Crocus, parmi des parfums entêtants, attendant comme toujours que quelque chose se passe pour que je puisse réagir. Le visage penché sur la droite, mes yeux bleus un peu plissés par la lumière, je les observais en silence. Souriant, attendant, silencieuse. Un fantôme de plus dans une nouvelle ville.

Alors que je me décidais à m’avancer vers la magnifique demoiselle à la longue crinière dorée vu que l’homme à moitié habillé qui se tenais devant elle ne faisais aucun mouvement, tout se déroulas excessivement vite pour mon pauvre cerveau oscillant entre l’analyse mathématique et la spontanéité naturelle de ma personnalité explosive. Entre deux ruelles, je vis un adolescent à la peau dorée et à la chevelure blonde courir jusqu’au duo devant Sabertooth. Je suspendus mon mouvement, prenant un moment pour regarder la course du jeune homme jouer dans les pics relevés de sa chevelure impossible. Lorsqu’il me fit signe de m’avancer, je repris le processus de ma progression lente et peu assurée vers cet étrange et joyeux attroupement sous le soleil parfumé de Crocus.

« - Hey salutations à vous ! Moi je m'appelle Santaz Yotsuki, et je suis un mage de la guilde devant laquelle tu te tiens. Pourrions-nous savoir pourquoi vous êtes devant notre chère guilde ?
- Je me… »

J’eu à peine le temps de faire quelques pas qu’une autre personne apparus dans mon champ de vision. Sur ma droite, une délicieuse demoiselle au sourire délicat se matérialisa. Je réprimai un sursaut. Elle ne s’était pas vraiment matérialisée, elle avait avancé dans mon champ de vision alors que je ne prêtais aucune attention à cette section, trop occupée à regarder les pics blonds de la chevelure de Santaz. Soit elle était excessivement bonne pour le déplacement silencieux ou soit j’étais trop distraite par la fatigue, la faim et le voyage. Justement, mon ventre fit acte de présence en rugissant comme un monstre, vibrant douloureusement contre mon épiderme. J’offris un sourire gêné à la nouvelle arrivante. Une troisième blonde. Si être blond était la norme pour les membres de Sabertooth, j’avais un point de mon côté ! Quoique récemment, avec la terre, la pluie, la saleté et tout ce que j’avais pus ramasser dans mon voyage, mes cheveux tiraient plus sur le brun clair que sur mon blond scintillant naturel. Ce qui me frappait sur la demoiselle qui se tenait sur ma droite, c’était ses yeux. Un bleu magnifique, cristallin, céleste, reflet du tissu clair moutonné de nuages de ce ciel clair et scintillant.

« - Eh bien... Qu’attendez-vous ? Nous ne mordons pas… Enfin presque. Et vu la chaleur qu’il fait aujourd’hui, il serait préférable pour vous de vous installer à une table. »

J’eu un rire délicat, suivit d’une courte quinte de toux. J’avais à peine remarqué la chaleur cuisante tellement la faim me tenaillais. Une autre manifestation de mon estomac vide. Alors que la jolie demoiselle au regard bleu avançais vers les portes, je la suivit, un doux sourire accroché aux lèvres.

« - J’imagine que le voyage a dû être éprouvant et long. Et puis, vous deviez sûrement être affamée... Venez donc vous joindre à nous ! »

J’en bavais presque. Non, Hannah, garde ton calme. Qu’est-ce qu’ils vont penser ? Que tu es une mendiante ? Non, calme-toi ! Malheureusement, mon ventre n’était pas aussi compréhensif que mon cerveau. Il gronda encore une fois, accueillis par un autre rire nerveux. Alors que la sauveuse de son estomac affamé grimpait les marches pour se rendre au trio, je la suivis d’un pas mal assuré. Lorsqu’elle demandait à Santaz de l’aider à porter son panier de provision que je n’avais pas remarqué malgré ma faim, je salivais un peu. Tous les aliments avaient l’air si frais. Mais l’interaction des deux tigres me donnait une idée de leurs relations.

« - Commandez ce que vous voulez, c’est la maison qui offre ! Ceci étant dit, si vous avez des informations à savoir concernant notre guilde, Lisa serait la plus apte à pouvoir vous répondre. Elle est, de nous tous, la plus ancienne membre de Sabertooth. Je vous recommanderais donc d’aller la voir si vous aviez des questions. »

Je tournais mon regard vers la petite, mais ô combien magnifique dame aux longs cheveux blonds qui avait parlé dans le vide de la non-réponse de l’homme à demi-vêtu. Lisa. J’enregistrai ce nom. Il me manquait que le nom de la femme aux provisions et de l’homme sans chandail. Je haussais les épaules.

« - Effectivement, de nous trois, je suis la plus ancienne. Lisa de Valinco, membre de Sabertooth depuis trois ans. Maintenant, je vous laisse vous débrouiller entre vous. Je n'ai pas de temps à perdre avec des nouvelles recrues qui ne sont même pas certaines d'avoir leur place à la guilde. Sur ce, je vous salue. »

Je faillis ouvrir la bouche pour lui demander si elle était toujours aussi imbue d’elle-même, mais je me retins, car je ne voulais pas me mettre une future camarade à dos. Je serrais entre mes doigts le boîtier de mon père. Je montais les deux dernières marches et m’étendus de tout mon long sur la pierre du palier, au pied des trois tigres, les charnières de la vieille boîte se séparant en même temps que mes poumons se vidaient d’air avec une plainte de douleur pour mes côtes meurtries. Un frisson me remontait le long de la colonne vertébrale alors que j’éclatais de rire devant ma chute. Je regardais le cadeau de mon père, qui avait tombé aux pieds de Santaz. Une des charnières avaient simplement abandonné, glissant à part. Le couvercle s’était aussi détaché et des cartes de taro et d’invocation étaient étalées. Je me retournais sur le dos et essayais de me relever seule, échouant lamentablement. À mon second essai, je me relevais, riant de ma méprise.

« - Pardonnez-moi, je me nomme Hannah Clouds, vu que l’on es lancé sur les présentations. Je suis de Shirotsume, dans le nord. Enchantée de vous rencontrer ! »

Je me dirigeais vers la charnière solitaire, la ramassais. Je trouvais ça moyen de découvrir le cadeau d’adieu de mon père de cette façon, mais je ne faisais jamais les choses correctement de toute façon.

« - J’aimerais rejoindre Sabertooth, alors, question numéro un, que faire pour rejoindre les tigres ? »

Alors que je posais cette question, je récupérais une vis de la charnière dans ma paume. Je lui offris un sourire éclatant. Le capuchon de ma cape avait tombé, exposant mes cheveux sales et mon visage taillé par le long voyage, mes joues creuses et mes cernes prononcés de mauve.